c. L’affaire des trois mandarins (1842)

D’où provenait donc l’accalmie relative de la persécution des chrétiens au Vietnam ? La Chine, qui refusait de céder aux instances de l’Angleterre, laquelle exigeait de faire librement le commerce de l’opium cultivé en Inde, était entrée en guerre. En 1839, le Vice-roi Lin Tseu-siu avait fait saisir et brûler une importante cargaison de cette drogue à Canton. Les Anglais ripostèrent par le blocus de cette ville, déclenchant la guerre de l’Opium, qui dura deux ans. Alors qu’il était encore professeur à Penang, Miche, que la situation internationale préoccupait, avait suivi ces événements d’assez près :

‘La guerre de Chine est enfin terminée mais je pense que les Anglais se sont laissés enfoncer de la plus jolie manière. Il fut arrêté que les Anglais auraient l’île d’Hong Kong et que les Chinois payeraient six millions de piastres à l’Angleterre. Or, dès que la flotte a cessé de menacer Canton, le commissaire en bon et rusé chinois, désavoue toutes les stipulations arrêtées. Les détails sont authentiques, je les tiens de M. Rosamel, capitaine de la corvette française la Danaïde, qui vient de Macao1666. ’

De nombreux navires de guerre européens, anglais mais aussi français, croisent depuis lors dans les parages des côtes vietnamiennes. En janvier 1840, Minh-Mang décide d’envoyer une ambassade à Paris pour sonder les intentions françaises : composée de trois mandarins, elle est officiellement chargée de renouer les relations commerciales entre les deux pays. Si le gouvernement de Louis-Philippe s’est engagé au côté de l’Angleterre, c’est qu’il trouve un intérêt économique à l’ouverture des ports chinois au commerce français, conformément aux contours donnés par Guizot aux objectifs de l’expansion française :

‘Posséder sur les points du globe qui sont destinés à devenir de grands centres de commerce et de navigation, des stations maritimes sûres et fortes, qui servent de points d’appui à notre commerce, où il puisse venir se ravitailler et chercher refuge1667. ’

Les envoyés de Minh Mang ne rencontrent pas le roi, mais plusieurs de ses ministres, dont le maréchal Soult, duc de Dalmatie, Président du Conseil et ministre de la guerre. Lors des entretiens, le sort des missionnaires français est évoqué. Les ambassadeurs d’Annam ayant dissipé tous les soupçons au sujet des persécutions, le séminaire des Missions Étrangères adresse à Soult un rapport accablant. Le cardinal préfet de la Propagande, responsable à Rome des missions, est saisi de l’affaire : finalement, le Saint Siège alerte Louis-Philippe. Jean-Claude Miche a été directement mêlé à cette affaire. En octobre 1842, Soult écrit à Jean Jurines, secrétaire du Conseil des Missions Étrangères :

‘Je ne puis trop m’empresser de vous témoigner l’indignation que m’a fait éprouver la lecture de la lettre qui vous a été écrite de Cochinchine par M. l’abbé Miche. Les détails renfermés dans cette lettre sont tellement atroces et si injurieux pour le caractère français qu’ils n’ont pas le moindre degré de vraisemblance. Sans savoir à qui de pareils propos pourraient être attribués, je les repousse comme attentatoire à l’honneur de l’armée française et de mon pays. Je vous demande de vouloir bien écrire de nouveau en Cochinchine pour leur donner le désaveu le plus complet1668. ’

En effet, dans une lettre relatant le retour des trois ambassadeurs à Hué, Miche avait rapporté les propos de l’un d’entre eux :

‘Le lendemain, je fus présenté au mandarin de la guerre. Il me dit : ‘tous ces prêtres qui s’en vont chez vous ne sont que des misérables sans feu ni lieu. S’il plait à votre roi de leur couper la tête, qu’il le fasse, nous ne le regretterons pas.’ Serait-il possible qu’un employé du gouvernement français eut parlé de la sorte ? Si le rapport de ce petit mandarin est infidèle, n’est-il pas bien dur pour nous de nous voir traquer au nom de nos compatriotes ? ’

Jean-Claude Miche dit tenir ses informations d’un prêtre annamite, proche d’un mandarin attaché au ministère impérial1669. Quoiqu’il en soit, les navires de l’escadre de Chine reçoivent l’ordre « de protéger, le cas échéant, les missionnaires, sans cependant engager le drapeau de la France 1670. »

Notes
1666.

Jean-Claude Miche, Pinang, 21 mars 1841, AME, vol. 904.

1667.

Guizot, discours du 31 mars 1832, cité par P. Guillaume (voir bibliographie).

1668.

Maréchal Soult à M. L’abbé Jurines, 11 octobre 1842, AME vol. 749. Jean Jurines, 1806-1845, missionnaire en Indonésie, secrétaire du Conseil des M.E.P. à partir de1839, auteur de compte rendus qui exposaient la situation politique de l’Europe.

1669.

Mgr Miche, 27 octobre 1841, AME vol. 749

1670.

In A. Launay, op cit., Histoire des prêtres du Tonkin, chap. XIII, p. 83. Alors même que se déroulait cet échange de correspondances, l’Angleterre signait, le 29 août 1842, le traité de Nankin qui contraignait la Chine à ouvrir cinq de ses plus grands ports et à lui céder l’île de Hongkong. Deux ans plus tard, le 24 octobre 1844, par le traité de Whampoa, la France obtint les mêmes avantages commerciaux et, en outre, la tolérance de la religion chrétienne et de la présence des missionnaires.