Dans une lettre du 25 novembre 1849, l’évêque de Dansara annonçait la convocation par Pie IX, pour 1850, d’un concile des évêques de Chine et d’Indochine à Hongkong afin, « de délibérer sur le projet d’ériger nos vicariats apostoliques en évêchés titulaires et quelques-uns en Archevêchés, de subdiviser plusieurs missions et de créer de nouveaux vicariats apostoliques. » Il ne comptait pas se rallier au projet pontifical qui lui semblait prématuré, du fait de l’instabilité de la position actuelle des missions : « Je suis décidé à voter contre les deux projets 1699. » Cependant, en 1850, le Saint Siège détache le Cambodge et le Laos de la mission de Cochinchine occidentale et, par un bref du 27 avril de la même année, Mgr Miche est désigné pour l’administration du nouveau vicariat apostolique. Or, il ne semble pas avoir approuvé les frontières dévolues à son propre vicariat apostolique, en partie à cause des difficultés de déplacement dans cette région et aurait préféré que l’on rattachât le Laos au Siam et le Cambodge à la Cochinchine :
‘Vous avez su probablement avant moi que le Cambodge vient d’être détaché de la Cochinchine occidentale pour former avec le Laos un nouveau vicariat apostolique qui m’est dévolu. Je regrette que ceux qui ont sollicité cette mesure aient agi sans connaissance de cause car c’est encore un problème de savoir si on peut pénétrer au Laos par le Cambodge. J’ai fait une tentative il y a deux ans pour remonter le grand fleuve du Cambodge jusqu’au Laos mais elle n’a pas réussi parce que les eaux étaient fort basses à raison de la sécheresse. A mi chemin je me suis vu arrêter par des cataractes et des récifs dont le lit du fleuve est, pour ainsi dire, pavé. 1700 ’Sa nomination est, de plus, à l’origine d’un assez sérieux démêlé avec Mgr Lefebvre, dont il a été le coadjuteur et qui l’a sacré évêque. L’incident est relaté dans une lettre du 26 mai 1852. Le vicaire apostolique de Cochinchine occidentale refusait d’allouer plus du quart du temporel attribué aux missions de Cochinchine à celle du Cambodge. Miche en réclamait le tiers, pour une mission où tout était à faire. Cette attitude, écrit-il, serait imputable à l’amour propre. Le prélat aurait « prophétisé » l’élection d’un autre missionnaire, Jean Borelle, au vicariat du Cambodge et non celle de Mgr Miche, dont le caractère était sans nul doute moins docile. Mgr Lefebvre refusait donc de se ranger à la décision de Paris : « Mon cher M. Borelle, c’est vous qui êtes l’élu du Seigneur pour le vicariat du Cambodge. Que voulez-vous que j’y fasse, moi pauvre diable, c’est Dieu lui-même qui le veut !!! », ironise Mgr Miche, contrefaisant son confrère1701. Cependant, Miche est bel et bien nommé par une lettre du séminaire de la rue du Bac :
‘Cette lettre ne laissait aucun doute sur le fait de ma nomination. Je la communiquai à Mgr Lefebvre qui en fut tout morfondu car cela lui fit comprendre qu’il s’était trop avancé et qu’il allait passer pour un visionnaire aux yeux de tout le monde. Il me répondit : ‘je veux bien croire que vous êtes nommé : comme en pareil cas une défense absolue de ma part de vous rendre au Cambodge pourrait paraître à certains esprits non pas illégale mais trop dure ; je vous laisse libre extérieurement parlant mais intérieurement non !’ Cette dernière phrase me paru plus qu’extraordinaire. Pour sonder les intentions de sa grandeur, et m’assurer si la boussole marquait encore le nord, je lui écrivis en ces termes : pour me conformer tout à la fois à vos deux volontés contradictoires, je partirai extérieurement de corps, mais je resterai en Cochinchine intérieurement et en esprit1702.’Mgr Lefebvre lui enjoint alors de ne rejoindre son poste qu’en cas de maladie. Fort opportunément tombé malade, Jean-Claude Miche peut partir et s’atteler à sa nouvelle tâche. Son élévation au rang de Vicaire apostolique n’a pas fait que des mécontents. Jean Claudet, missionnaire en Thaïlande, s’en réjouit ouvertement. Dans une lettre adressée au séminaire de Paris, il réclame l’intervention du nouveau vicaire apostolique comme négociateur dans un conflit qui oppose Mgr Pallegoix à ses missionnaires :
‘Mgr de Dansara connaît très bien le système des bouddhistes ; il a été informé de ce qui s’est passé l’année dernière au sujet de l’offrande des animaux. Si la sacrée congrégation se refusait à donner une décision définitive sur nos affaires et qu’elle voulut charger un vicaire apostolique voisin d’examiner le cas et de juger sur les lieux, je ne vois aucun prélat plus apte à cette négociation que l’est Mgr Miche1703. ’De quoi s’agissait-il ? Pendant l’effroyable épidémie de 1849, Rama III avait consulté ses devins. D’après eux, les étrangers seraient responsables du fléau, pour avoir tué un trop grand nombre d’animaux. Aussi avaient-ils conseillé au roi d’exiger des Européens de Bangkok qu’ils fissent dans des pagodes, l’offrande de poules et de canards vivants. Sollicité par les chefs des communautés chrétiennes, Mgr Pallegoix accepta de se plier à la volonté royale, après avoir reçu toutefois la promesse formelle qu’il ne s’agissait pas d’un rite superstitieux ; mais huit de ses missionnaires refusèrent d’obtempérer, ce qui leur valut d’être chassés du Siam sur ordre du monarque, au motif qu’ils n’obéissaient ni au roi, ni à leur évêque ! La Sacrée Congrégation de Propaganda Fide trancha finalement l’affaire en 1850, autorisant les offrandes, sans que Mgr Miche n’eût à intervenir.
Rappelons que les six premiers évêques chinois n’ont été consacrés à Rome par Pie XI qu’en 1926, l’année même de la promulgation de Rerum Ecclesiae, créant un clergé indigène.
Mgr Miche, lettre à M. Libois, 15 juin 1851, AME, vol. 748.
Mgr Miche, lettre à M. Libois, 26 mai 1852, AME, vol. 748.
Lettre à M. Libois, 26 mai 1852, AME, vol. 748. A ce sujet on trouve aussi cette lettre de M. Libois : « Des lettres de Mgr Miche m’apprennent qu’il a enfin reçu ses bulles et qu’il s’est rendu au Cambodge, non sans opposition de Mgr Lefebvre avec lequel il est peu d’accord pour le règlement des comptes entre les deux missions. Pour comble de misère, M. Beurel a envoyé à Mgr Lefebvre l’allocation du Cambodge. Il ignorait sans doute que Mgr Miche était parti de Cochinchine. Craignant que cette nouvelle mission soit dans la détresse, j’ai envoyé il y a quelques jours à M. Beurel 1000 £ avec recommandation de les expédier par la première occasion sûre à la mission du Cambodge. Mgr Miche me prie de vous envoyer une lettre de Mgr Cuénot afin de nous faire connaître les intentions de sa grandeur relativement aux tribus laotiennes », M. Libois, Hong Kong, 23 août 1852, AME, vol. 314.
M. Claudet à M. Langlois, Penang, 6 décembre 1850, AME, vol. 890. L’affaire est évoquée dans les Lettres Communes à la date du 4 août 1849. Mgr Jean-Baptiste Pallegoix, 1805-1862, évêque de Mallos, coadjuteur de Mgr Courvezy, vicaire apostolique de Siam. Le roi dont il question ici est Rama III.