Le 16 septembre 1856, le Catinat jette l’ancre à Tourane, port de la capitale impériale. Porteur de lettres et de présents, il attend l’arrivée de Charles de Montigny, plénipotentiaire chargé d’une mission diplomatique auprès de l’empereur Tu Duc1736. Or, l’attitude de l’empereur d’Annam à l’égard des Occidentaux s’était considérablement durcie, allant jusqu’à interdire formellement tout contact avec eux. En butte à la mauvaise volonté des mandarins, le commandant du Catinat fait bombarder les forts de Tourane, afin d’obtenir que les lettres soient portées à Hué et que l’on ravitaille son navire. Montigny ne paraissant pas, le navire français repart pour Hongkong, décision que les Vietnamiens interprètent comme un aveu de faiblesse. Au mois d’octobre, un second navire, la Capricieuse, mouille à son tour dans le port de Tourane. Le commandant Collin entame les négociations, en l’absence de Montigny. Au nom du gouvernement français, il demande la liberté de commerce, la résidence d’un consul à Hué, le droit d’établir un comptoir à Tourane, (droit accordé autrefois par Gia Long) et la liberté religieuse pour les missionnaires et les chrétiens. Alors même que se déroulent ces pourparlers, Tu Duc met ses armées sur le pied de guerre. Montigny n’arrivant toujours pas, les français lèvent l’ancre sans avoir rien obtenu et regagnent Hongkong. Montigny ne parvient à rallier Tourane qu’en 1857. Son navire, quittant la Thaïlande, est dérouté par un typhon ; il doit faire relâche à Singapour, se rendre à Bornéo, puis à Manille. Il met enfin le cap sur Tourane, où il n’arrive que le 23 janvier, à bord d’un petit navire à vapeur. Mgr Miche est du voyage, en tant qu’interprète et ami des rois de Siam et du Cambodge. Le 21 novembre 1856, il écrit de Singapour, à M. Martin, supérieur du Collège de Pinang :
‘Vous savez que M. de Montigny en quittant Bangkok, a passé par Campot pour me prendre et me conduire en Cochinchine. C’est le 22 octobre que nous avons mis à la voile. Arrivés sur les côtes du Ciampa, nous avons trouvé la mousson du Nord Est si bien carabinée qu’après 8 jours d’une lutte inutile et dangereuse nous avons été forcés de mettre le cap sur Singapour. Nous manquions de charbon, nous allions manquer de vivre et la machine était toute détraquée. Je pense que nous pourrons partir au commencement de décembre. Mais en faisant le grand tour par les Célèbes et Manille. Ce contretemps pourra faire échouer la mission de M. de Montigny à Hué, car le Catinat et la Capricieuse, qui nous attendent depuis longtemps à Tourane, ne nous voyant pas venir, pourront fort bien partir pour la Chine et le cas échéant, M. le Plénipotentiaire n’aura pas assez de force pour intimider le gouvernement annamite en cas de besoin. ’C’est exactement ce qui s’est passé. Privé de l’appui des canonnières, les négociations, qu’il reprend pourtant, n’ont guère de chance de succès. Il quitte finalement la Cochinchine en février, débouté de toutes ses requêtes, mais en recommandant expressément les missionnaires à l’empereur Tu Duc. Après son départ, les persécutions reprennent avec une violence telle qu’un évêque missionnaire en Cochinchine, Mgr Pellerin, décide de rentrer en France pour réclamer le secours du gouvernement1737. A Biarritz, en 1858, il obtient une entrevue avec Napoléon III, qui lui promet d’agir. Napoléon III, quant à lui, cherche l’appui des catholiques. Malgré l’attentat d’Orsini en janvier 1858, il a conservé son soutien à la cause de l’unité italienne. Préjudiciable à la papauté, cette politique lui vaut l’hostilité croissante des milieux catholiques. En allant au secours des missionnaires, il espère apporter la preuve de ses bonnes dispositions envers l’Église1738. Entre 1858 et 1860, deux nouvelles interventions anglo-françaises ont eu lieu en Chine, afin d’assurer la sécurité des marchands et des missionnaires. Pékin est occupé et deux traités sont signés, (Tien-tsin en 1858, Convention de Pékin en 1860), accordant aux Occidentaux l’ouverture de nouveaux ports et l’installation de missions chrétiennes dans l’intérieur de l’Empire. C’est également sous prétexte de protéger les missionnaires qu’en 1858, l’escadre franco-espagnole de l’Amiral Rigault de Genouilly, de retour de Chine, reçoit l’ordre de bombarder Tourane. L’Amiral faisait ainsi le premier pas français vers la colonisation du Vietnam, rapidement suivi par la prise de Saigon, en 1859. Entre 1861 et 1864, les troupes françaises des amiraux Charner et Bonard se lancent à la conquête des trois provinces de l’est de la Cochinchine, Bien Hoa, Gia Dinh et Dinh Tuong, régions-clés de l’approvisionnement en riz. Tu Duc, harcelé de toutes parts, (une révolte vient d’éclater au Tonkin), finit par céder. Il se résigne à signer, le 5 juin 1862, le traité de Saigon, qui ouvre trois ports, dont Tourane, au commerce français et garantit la liberté religieuse aux missionnaires et aux catholiques.
En 1844, Charles de Montigny accompagne M.-Th. de Lagrené, ministre plénipotentiaire envoyé en Chine par Louis-Philippe, pour négocier un traité de commerce. En 1848, Montigny est chargé d’installer le premier consulat français à Shangaï ; il lui faut alors intervenir pour protéger les missionnaires (jésuites notamment).
François Pellerin, 1813-1862, vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale. Entre 1857 et 1862, 30 000 chrétiens au moins périrent dans les persécutions, sur une population chrétienne de 500 000 personnes (estimations M.E.P.). Des notables furent arrêtés, des couvents dispersés, des villages détruits, des prêtres martyrisés ; parmi ces derniers, on trouve des vietnamiens comme Pierre Quy ou Pierre Luu et des missionnaires français, Théophane Vénard ou Mgr Cuenot et d’autres, qui furent canonisés ultérieurement.
La politique de Napoléon III en Extrême-orient est diversement jugée par les historiens. Sa cohérence n’est pas frappante et l’on doit tenir compte des initiatives individuelles du ministre Chasseloup-Laubat, de l’Amiral Cécille, rival de Lagrené, etc. En ce qui concerne les missionnaires, les M.E.P. ne sont pas les seuls concernés. Il faut compter aussi avec les jésuites et les Lazaristes. Or, ces religieux ne s’accordent pas sur la nécessité d’une collusion avec les autorités civiles et militaires.