b. Le Protectorat français au Cambodge (1863)

En 1856, avant de se rendre à Tourane, Montigny aurait dû rencontrer Ang Duong. En 1854, ce dernier avait envoyé un émissaire auprès du consul de France à Singapour, afin de solliciter l’aide de Napoléon III contre ses deux envahissants voisins, les royaumes de Siam et d’Annam. Il avait notamment fait savoir que les territoires situés entre la branche occidentale du Mékong et le golf de Siam (la région de Ha Tien), annexés en 1846 par le Vietnam, était véritablement terre cambodgienne et réclamait leur restitution. La mission Montigny au Cambodge échoue cependant pour plusieurs raisons. En premier lieu parce que la diplomatie française vise avant tout à conserver de bonnes relations avec le royaume de Siam, avec lequel Montigny signe un traité en 1856. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire des Siamois que Montigny a tout d’abord tenté de rencontrer le roi Khmer. Or le royaume de Siam cherche à renforcer son emprise sur ce qu’il considère comme une « province tributaire », au fur et à mesure que l’autre suzerain du Cambodge, l’Annam, aux prises avec les français, s’affaiblit. Mgr Miche cherche à faciliter l’entrevue :

‘Lorsque je sus que M. de Montigny passerait au Cambodge avec l’intention de s’aboucher avec le roi lui-même, j’en donnais avis à sa majesté. Les mandarins s’opposaient au départ de sa majesté de peur de porter ombrage à la cour de Siam qui craint toujours que le monarque cambodgien ne s’appuie sur les européens pour se rendre indépendant. Malgré cela, le roi m’a fait dire qu’il viendrait lui-même et il envoya un mandarin à Kampot pour lui préparer des appartements1739. ’

Or, ce mandarin est un espion de la cour de Siam. Les semaines passent et Montigny n’arrive toujours pas :

‘Nous voilà en septembre et M. de Montigny attendu tous les jours depuis plus d’un mois ne paraît pas encore. Il paraît que le roi de Siam est la cause de ce long retard. Il retient les français à Bangkok pour donner au roi du Cambodge le temps nécessaire de faire les préparatifs pour recevoir nos compatriotes d’une manière splendide. C’est le roi du Cambodge qui me donne avis de tout cela. En conséquence, on fait une levée en masse dans toutes les provinces de l’Ouest ; non pas de soldats mais de poules, de canards et de cochons pour héberger son excellence et sa suite. Le pauvre peuple ne peut pas s’occuper de la plantation des rizières. Les uns réparent la route, les autres construisent des maisons de relais pour les mandarins et leur suite, ceux-ci vont couper du bois pour les bateaux à vapeur. Le roi vient de m’envoyer deux mandarins pour me prier de faire mon possible afin d’engager M. de Montigny à passer en Basse Cochinchine pour se rendre jusqu’à la capitale en remontant le fleuve du Cambodge. Voyez-vous la ruse ? Les Cochinchinois s’opposeront au passage du bâtiment français. Ceux-ci iront de l’avant et s’il le faut donneront une bonne peignée aux Annamites. Le roi du Cambodge rira dans sa barbe ou peut-être profitera-t-il de l’embarras de ses ennemis pour tomber sur eux. Je ne puis croire que M. de Montigny donne dans ce plan. Ce serait nuire aux négociations qu’il se propose d’entamer avec Hué, à moins qu’il n’eût reçu de l’empereur des instructions qui autorisent une telle conduite1740. ’

Montigny enfin arrive à Kampot, mais aussitôt le roi tergiverse, car il a reçu une missive de Bangkok l’accusant de haute trahison, le soupçonnant « d’appeler les français dans son royaume pour se rendre indépendant. » Une autre lettre est simultanément envoyée à Mgr Miche, dans laquelle le roi de Siam cherche à l’amadouer, regrettant notamment les difficultés rencontrées par les missionnaires au Laos : « Telle est la politique siamoise », soupire Mgr Miche. Finalement, Ang Duong ne paru jamais :

‘Le roi prétexta un malaise qu’il n’avait pas et ne vint pas : il envoya ses trois premiers ministres à Kampot avec quelques présents en sucre et poisson sec pour les bâtiments français et en ivoire et soie pour l’empereur. M. de Montigny leur demanda s’ils avaient des lettres de plein pouvoir pour traiter : leur réponse fut négative1741. ’

En revanche, ils étaient porteurs d’une lettre adressée à l’évêque de Dansara. Curieusement, le roi Khmer s’y plaignait non du Siam, mais de la Cochinchine, qui lui avait enlevé près de la moitié de son héritage et demandait à Mgr Miche qu’il traduisît sa lettre à M. de Montigny, « pour obtenir aide et secours. » Il est probable qu’elle lui avait été dictée par les mandarins au service du Siam. De plus Montigny, que Mgr Miche juge cassant, auquel il reproche de gâter les affaires et de ne jamais écouter ses conseils, charge un missionnaire, Arsène Hestrest, de faire savoir au roi cambodgien qu’en échange de la protection française, il pourrait avoir à céder l’île de Koh Tral (Phu Quoc), dans le golfe de Siam, parce qu’elle présente un intérêt stratégique pour la marine. Hestrest est fort mal reçu et sa démarche provoque même un accès de persécution religieuse à Battambang, où des chrétiens sont forcés à assister aux cultes superstitieux. L’évêque de Dansara se rend chez le roi : « L’urbanité, lui dis-je, doit être observée au moins aussi strictement entre deux puissances qu’entre des particuliers et quand s’est la plus forte qui se trouve offensée, il peut en résulter de graves conséquences 1742. » Le roi, entouré d’espion, parvient à lui chuchoter : « ‘Que voulez-vous que je fisse ? Si vous étiez venu vous-même, nous aurions traité l’affaire en tête à tête.’ Voilà donc la clef du mystère, semblable à un automate, il n’a de mouvements que ceux qui lui sont imprimés par la main de fer du roi de Siam. » Peu après la prise de Saigon par la marine française, en 1859, une révolte éclate en Basse Cochinchine. Elle est fomentée, si l’on en croit Mgr Miche, par le roi lui-même, sur les conseils de deux missionnaires :

‘Mgr Lefebvre et M. Borelle ont fait dire au roi du Cambodge qu’ils le verraient avec plaisir attaquer les Annamites par le Nord. Notre monarque, poussé par le désir d’avoir sa part du gâteau, l’a fait, à mon grand déplaisir. Quelle honte pour la France de mendier l’appui du Cambodge pour réduire la Basse Cochinchine1743. ’

Les troupes cambodgiennes, comptant prématurément sur un soutien militaire français qui tarde à se manifester, essuient une défaite : « Les Cochinchinois n’ont qu’à se montrer pour causer une déroute générale et, dans ce cas, s’en est fait de tous nos établissements », déclare l’évêque de Dansara, qui milite désormais pour une intervention française énergique au Cambodge : 

‘Le sentiment de Monseigneur, écrit Jean-Baptiste Barreau, c’est que s’en est fait du Cambodge si les français ne viennent au plus tôt achever la guerre de Cochinchine. Fiat ! Peut-être qu’un changement dans les affaires du gouvernement emmènera une meilleure disposition vers la religion1744.’

En dépit de ces troubles, l’infatigable prélat occupe son poste sans désemparer :

‘Par suite de la guerre du Cambodge avec la Cochinchine, guerre bien plus innocente que celle de Garibaldi en Italie, tous nos chrétiens ont été continuellement employés à l’armée, au point que nos églises étaient presque désertées. Il ne restait que les femmes et les enfants. Il reste encore une vingtaine de catéchumènes. Il y a eu 1462 confessions et 1387 communions. Le nombre d’enfants de payens baptisés in art. mortis est de 4001745. ’

L’allusion à Garibaldi n’est pas surprenante de la part d’un ecclésiastique appartenant qui plus est, à une société religieuse d’esprit ultramontain, l’unité italienne portant préjudice aux intérêts territoriaux de la papauté. En novembre 1860, le roi Ang Duong s’éteint1746. Dans tout le pays, les hommes doivent se raser la tête et porter, jusqu’à la repousse des cheveux, des vêtements blancs en signe de deuil : « Vous savez déjà, écrit Mgr Miche, que notre vieux monarque est décédé en octobre dernier. En bon bouddhiste, il a ordonné dans son testament de déchiqueter sa chair pour la donner en aumône aux vautours et aux corbeaux ; les charcutiers ont été payés d’avance 1747 ! »

La disparition du roi et l’avènement de son fils aîné Norodom, n’altèrent pas davantage les relations de la cour cambodgienne avec les missionnaires. Certes, Mgr Miche ne sent aucune estime pour le jeune monarque : « Son fils aîné lui succède et le fait déjà regretter. C’est un jeune homme distrait, sans aplomb, à qui la couronne a fait tourner la tête 1748. » Son entourage est pire encore, bien que partiellement composé de chrétiens : « Il choisit ses mandarins parmi la fine fleur de la canaille. Nous avons maintenant trois de nos chrétiens grands mandarins. Si j’avais eu voix d’exclusion, je n’aurais rejeté que ces trois mauvais garnements qui sont d’origine portugaise. Il faut subir ce méfait. » Dans une lettre plus ancienne, le prélat s’indignait déjà des intrigues menées auprès du roi par « un portugais mormon polygame 1749. » Le schisme de Goa, au cours duquel missionnaires français et portugais s’affrontèrent pour la suprématie sur les territoires des missions en Indes et en Malaisie a, semble-t-il, laissé quelques mauvais souvenirs ! Si l’évêque de Dansara n’est pas dupe, il n’est pas inquiet non plus. Il sait que Norodom, élevé à Bangkok, est une créature du Siam et n’a pu accéder au trône qu’avec l’assentiment du monarque siamois : « Je suis toujours en très bon termes avec la nouvelle majesté. Mais je ne m’y fie pas. Elle sait que le roi de Siam, son suzerain, m’aime et m’estime et cela suffit pour la maintenir dans les bornes du devoir et de la stricte équité envers nous 1750. » En dépit de l’échec de la mission Montigny, le Cambodge reste un élément non négligeable de la stratégie française en Cochinchine. Il pourvoit aux besoins en viande du corps expéditionnaire (7 à 8000 bœufs) et se trouve sur une route commerciale, drainée par le cours inférieur du Mékong et aboutissant à Saigon. Enfin, l’Angleterre, déjà présente en Malaisie, exerçant maintenant son influence sur le Siam, menace les positions françaises dans la région. Paris en vient donc à envisager non seulement de se substituer à l’Empire d’Annam au Cambodge, mais aussi d’en écarter le royaume de Siam. Mgr Miche s’attendait à une reprise des négociations. En février 1861, il écrit :

‘Les grosses cloches n’ont pas encore sonné. Les présents de l’empereur au roi du Cambodge sont à Saigon. Nous allons donc voir un contre-amiral ou vice-amiral au Cambodge. On fera un traité car il y a des relations internationales à régler. Je tiens à me trouver sur les lieux quand le moment sera venu de mettre la main à l’œuvre afin de sauvegarder les intérêts de ma mission, fut-ce en pure perte1751. ’

Il voyait juste. Les ambassades se succèdent au Cambodge. L’Amiral Charner, commandant le corps d’occupation française à Saigon, envoie à Norodom un message d’amitié en mai 1861 :

‘Nous avons eu à Kampot, note Mgr Miche, la visite d’un vapeur français. Le bon, l’excellent commandant Lespès avait été député de Saigon par M. Charner pour présenter enfin à notre roitelet les présents de l’empereur (2 vases de porcelaine de Sèvres ; margaritas ante porcos). Il avait ordre de s’entendre avec moi. Je l’ai donc conduit à ma résidence et j’ai fait mon possible pour lui procurer une réception splendide. J’ai réussi et j’ai grandi d’un mètre1752 !’

C’est alors qu’une guerre civile déchire le pays, opposant Norodom à son frère Siwotha, jeune prince que Mgr Miche avait rencontré lors des funérailles de leur père :

‘Dernièrement, le plus jeune frère, otage du roi de Siam, est revenu au Cambodge pour assister aux funérailles de son père. Il s’est empressé de me faire une visite et il a eu le front de me dire à l’oreille ; le jour où vous voudrez, je serai roi du Cambodge. Je lui répondis que je n’étais rien au Cambodge, que je ne fais pas de politique et que mon unique soin était d’instruire mes chrétiens et de leur apprendre à servir Dieu et le roi avec une fidélité inviolable. Malheureusement pour moi, le roi de Siam est convaincu que je suis tout au Cambodge et c’est pour cela qu’il cultive mon amitié1753. ’

À la rébellion s’ajoute soudain une révolte des Chams. Réfugiés en Basse Cochinchine, où ils vivent pauvrement, explique Mgr Miche, ils se sont alliés aux Malais, musulmans comme eux, qui les suivent aveuglément, reconnaissant en eux des descendants du prophète. Les chrétiens sont parmi leurs premières victimes : « Le lendemain matin, des Malais et des Chams ont pénétré dans notre église pendant l’office et se sont avancés insolemment jusqu’au Maître-autel. Avertis de se retirer, ils ne l’ont fait qu’en murmurant des menaces 1754. » Le prélat, plus que jamais convaincu de la nécessité d’une ingérence française au Cambodge, ne cesse d’envoyer des lettres à l’amirauté, à Saigon : « Je donne tous les renseignements capables de faire tourner l’expédition à bonne fin, soit pour la France, soit pour les missions 1755. » La plupart sont interceptées : « Un chef de brigand avait arrêté et brûlé à plusieurs reprises mes lettres à M. Charner. Que dis-je ? Ce Robespierre du Cambodge avait décapité un de mes courriers, coupable du seul crime d’avoir été trouvé nanti d’une de mes lettres à l’adresse de M. l’amiral 1756. » Mais la ténacité finit par payer. A plusieurs reprises, un bâtiment de la marine française se montre à proximité des côtes cambodgiennes, rétablissant temporairement le calme :

‘Vous savez qu’à ma demande, M. Desvaux, commandant supérieur de My-Tho, nous a expédié une canonnière qui est arrivée ici le 1er septembre. Elle a reparu dans nos eaux deux autres fois et chaque fois, sa courte apparition a produit un excellent effet, en dépit des instructions beaucoup trop limitées données à M. le commandant Salmon qui s’est montré envers nous comme un véritable ami 1757. ’

L’opération était apparemment destinée à soustraire les missionnaires aux rigueurs de la guerre civile en les rapatriant vers la Cochinchine pacifiée : « L’unique but de la mission de cet officier était de nous prendre à son bord et de nous conduire à son bord à My-Tho. Inutile de vous dire que cette offre a été refusée ; que seraient devenue les brebis en l’absence du pasteur ? » Non seulement Mgr Miche reste à son poste, mais il parvient à obtenir du chef des rebelles une indemnité de 60 barres d’argent, qui est distribuée aux chrétiens de Battambang et surtout à ceux de Phnom Penh, plus directement exposés aux pillages : « Tout fut promis, car le canon rayé faisait peur. » Peu après, il apprend que les Siamois, toujours poussés à maintenir leur tutelle sur le Cambodge, tentent de porter le prince révolté sur le trône, à la place de son frère : « On est venu m’annoncer que quatre bateaux à vapeur siamois venaient d’arriver à Kampot amenant le prince rebelle pour monter sur le trône ! J’ai peine à en croire mes oreilles. Nous attendions le prince légitime dans la huitaine et la même nouvelle porte qu’on va le conduire de Battambang à Bangkok. C’est tout juste le contraire qu’il fallait faire. » Norodom, en effet, est provisoirement assigné à résidence à Bangkok. L’amirauté française n’ignore rien de ces manœuvres, dont l’Angleterre tire les ficelles : « La politique d’usurpation que mène le Siam depuis l’affaiblissement par nos armes de la Basse Cochinchine, que dirige une main plus puissante, réduira à néant, si nous n’y prenons garde, l’admirable position que nous avons en Cochinchine 1758. » Cependant, la décision d’agir n’est pas encore prise. En revanche, la France cherche à éteindre la rébellion par des moyens détournés. Dans une lettre du 6 mai 1862, Mgr Miche raconte que neuf francs-tireurs, qu’il surnomme les neuf garibaldiens français, sont logés chez lui. Ce petit groupe, composé de « deux sergents libérés du service, d’un nègre de la Martinique, de deux cuisiniers, de deux maîtres d’hôtel et de deux matelots », fait discrètement des opérations de sabotage dans les lignes rebelles :

‘Il paraît que le gouvernement français qui a des vues sur le Cambodge, les soutient en secret. Si l’Angleterre et Siam font une réclamation on dira que ce sont des gens sans mission et s’ils échouent on les désavouera. Je ne me suis pas caché pour leur dire qu’ils me compromettent. C’est chez moi qu’ils logent et qu’ils mangent, qu’ils préparent leur armement et c’est chez moi encore qu’ils entassent leur butin. Comment voulez-vous que je ne passe pas pour être l’âme de tout ? Nos hauts bonnets à Saigon font volontiers de moi un moyen ; sauf à ces voltairiens à me sacrifier au besoin. Je n’entends pas les choses de cette oreille. Nos flibustiers partiront demain pour une seconde expédition. Dieu veuille que j’en sois délivré. La bande noire se dévore elle-même : je n’entends parler à ma table que de provocation en duel, de balles logées dans la poitrine et de six pouces de fer enfoncés dans le corps. Canailles ! 1759.’

En 1862, l’amiral Bonard se rend au Cambodge, visite Angkor, observe la situation qu’il juge préoccupante, le royaume de Siam cherchant plus que jamais à renforcer son emprise sur le Cambodge, qui s’enfonce dans le désordre. Des bandes armées écument le pays ; Mgr Miche lui-même est menacé :

‘M. Cordier [provicaire de Mgr Miche] annonce qu’il a reçu des nouvelles du Cambodge. La barque envoyée pour porter des lettres à Mgr Miche, ses deux rameurs et les lettres ont été saisis par les pirates des mandarins : l’un des deux rameurs sur lesquels on a fait jouer le rotin pour tâcher d’en obtenir des révélations a réussi à s’échapper et c’est de lui que M. Cordier nous dit avoir reçu beaucoup de nouvelles extrêmement tristes. Une lettre de Mgr Miche datée du 15 janvier et arrivée à My-Tho par une barque payenne confirme ces nouvelles. Le bruit qui avait couru est bien exact ; les rebelles voulaient s’emparer de Mgr Miche et de ses missionnaires et même de ses chrétiens pour les livrer aux mandarins annamites1760. ’

En février 1863, le contre-amiral de la Grandière, successeur de Bonard, arrive à Saigon. La Cochinchine est soumise, il peut donc regarder en direction de Phnom Penh. Or, en juin, il apprend par Jean-Claude Miche que Norodom, rentré de Bangkok, rechercherait la protection de la France1761. La Grandière, avant même que Paris n’ait donné son aval, dépêche un aviso à Oudong, (la capitale traditionnelle des Khmers), avec à son bord le capitaine de frégate Doudart de Lagrée1762. Une entrevue à lieu avec le monarque : Mgr Miche traduit. Le 11 août 1863, Doudart signe avec Norodom un traité dont l’article 1er dispose que : « S.M. l’empereur des Français accorde sa protection au roi du Cambodge. » En échange, le roi accepte l’installation d’un résident français, reconnaît la liberté de circulation aux français, le droit de prêcher aux missionnaires, accorde à la France divers avantages économiques, notamment l’exploitation des forêts pour la construction des navires, interdit le commerce de l’opium et cède un terrain à Phnom Penh où l’on construira un fort1763. Subitement, Norodom recule, cédant devant l’indignation du Siam qui s’estimait spolié de ses droits sur le Cambodge : « La cour de Siam va de l’avant, déclare le traité nul et va députer ici trois grands mandarins pour couronner le roi du Cambodge, à la barbe des officiers français qui sont en station à une lieue et demi de la capitale. Je crains fort que la France ne fasse une reculade 1764. » Mais Norodom vient à résipiscence et, le 3 juin 1864, il est couronné à Oudong en présence des officiers de la marine française1765. Grâce au traité de protectorat, la France contrôlait désormais le cours inférieur du Mékong, voie qui, espérait-on, permettrait d’atteindre la Chine intérieure. Il ne restait plus à La Grandière qu’à œuvrer pour rétablir de bonnes relations avec le Siam : le traité franco-siamois de 1867 y pourvut, moyennant quelques modifications de frontières, au détriment du Cambodge1766.

Notes
1739.

Lettre de Mgr Miche, Singapour, 21 mars 1857, AME, vol. 765.

1740.

Lettre de Mgr Miche, 8 septembre 1856, AME, dossier Miche, vol. 748.

1741.

Lettre de Mgr Miche, 30 janvier 1856, AME, vol. 765

1742.

Mgr Miche, 18 décembre 1857, AME, vol. 765.

1743.

Mgr Miche, 15 avril 1860, AME, vol. 765.

1744.

Jean-Baptiste Barreau, missionnaire au Cambodge, Kampot, 15 mai 1860, AME, vol. 765.

1745.

Mgr Miche, Kampot,1er février 1861, AME., vol. 765.

1746.

« Emporté par une maladie honteuse », affirme Arsène Hestrest, missionnaire au Cambodge, (fondateur de la paroisse de Kampot), dans une lettre de janvier 1861, AME, vol. 765.

1747.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME, vol. 765. M. Hestrest note quant à lui : « Il avait donné le singulier ordre de faire partager son cadavre, immédiatement après son décès et de l’exposer aux oiseaux de proie qui sont très nombreux à Oudon, la capitale. », Arsène Hestrest, Kampot, janvier 1861, AME, vol. 765.

1748.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME, vol. 765.

1749.

Mgr Miche, 27 juin 1858, AME, vol. 765.

1750.

Mgr Miche, Kampot, 15 mai 1861, AME, vol. 765.

1751.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME, vol. 765.

1752.

Mgr Miche à M. Libois, 29 mai 1861, AME, vol. 765.

1753.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME, vol. 765.

1754.

Mgr Miche, lettre du 20 décembre 1861, AME, vol. 94.

1755.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME. vol. 765

1756.

Mgr Miche, lettre du 20 décembre 1861, AME, vol. 94.

1757.

Mgr Miche, 26 décembre 1861, AME, vol. 94.

1758.

Lettre du ministre Chasseloup-Laubat, 6 septembre 1863, cité par Ch. Fourniau (voir bibliographie).

1759.

Mgr Miche, lettre du 6 mai 1862, AME, vol. 95.

1760.

Lettres communes, mars 1862, AME, vol. 171.

1761.

L-E Louvet, La Cochinchine religieuse, op. cit., p. 333 : « Le Vicaire apostolique, Mgr Miche, avait une très grande influence sur l’esprit du roi Norodom, auquel il avait rendu les services les plus signalés. Le prélat usa de cette influence en faveur de notre pays. Grâce à lui, le gouverneur français se vit reçu avec toutes sortes de prévenance ; le roi se montra très désireux d’échapper aux Siamois pour ce mettre sous la protection de la France. »

1762.

Il fut avec Francis Garnier, l’un des premiers explorateurs du Mékong lors de l’expédition fameuse de1866, qui cherchait à vérifier s’il était possible d’arriver en Chine par ce fleuve.

1763.

« Art. 15 : Les missionnaires catholiques auront le droit de prêcher et d’enseigner. Ils pourront, avec l’autorisation du gouvernement cambodgien, construire des églises, des séminaires, des écoles, des hôpitaux, des couvents et autres édifices pieux sur tous les points du royaume du Cambodge. »

1764.

Mgr Miche, Pinhalu,15 janvier 1864, AME, vol. 118.

1765.

La couronne avait été rapportée de Bangkok par un représentant de la France.

1766.

Trois provinces revenaient au royaume de Siam : Battambang, Siem Reap, Sisophon.