b. Les fruits de l’alliance

En dépit de ses réticences et avant même la fin des opérations en Cochinchine, Mgr Miche se prononçait en faveur de l’expédition militaire française :

‘J’attends avec impatience des nouvelles de l’intervention des français dans les affaires de Cochinchine. Qu’y fera-t-on ? Si on occupe une partie du pays, cela pourra nous faire du bien ici. Si on se contente d’un traité, notre position sera toujours aussi précaire que par le passé1773. ’

Quels fruits la politique de la canonnière et le protectorat ont-ils portés au Cambodge ? En premier lieu, les rapports de forces se renversent au profit des missionnaires français. Les autorités locales, sentant le vent tourner, cherchent à se concilier les bonnes grâces des nouveaux maîtres :

‘On connaît partout les bonnes intentions dont le roi est animé à notre égard. Il ne fait pas un secret du projet qu’il a conçu de me confier ses deux fils pour faire leur éducation, les baptiser et les instruire comme je voudrai, sauf à leur faire faire quelques études en France, car il veut en faire des français ! Il nous a donné une lettre royale revêtue de son sceau qui nous permet de prêcher la religion de J.C. dans tous ses états et à ses peuples de l’embrasser. Cependant n’allez pas conclure de là que la moisson est déjà mûre. Ce serait une grande erreur. Tant que quelques princes ou quelques grands personnages n’auront pas donné le branle aux conversions par leur exemple, le peuple sera toujours timide pour entrer dans cette voie de peur de déplaire à ses chefs1774. ’

Une partie de la population, qui leur était précédemment hostile, se rallie aux missionnaires, appâtée maintenant par les protections et l’aisance relative dont ils jouissent et qui rejaillissent sur l’ensemble des chrétiens :

‘Aujourd’hui, il faut être chrétien pour être respecté. Des païens, les plus riches commerçants de Penompink, se réfugient auprès de nous et cherchent à Pinhalu un asile qu’ils ne trouveraient pas si assuré partout ailleurs. Depuis un mois, les chrétiens de Basse Cochinchine arrivent ici par centaine : persécutés par les mandarins, pillés, dévastés par des bandes de brigands, ils viennent chercher près de nous une sécurité qu’ils ne peuvent plus trouver dans leur patrie. Tous les jours, je fais des distributions de riz à 8 ou 900 de ces infortunés dont un bon nombre n’a apporté au Cambodge que ses quatre membres, mais mon grenier s’épuise et la faim renaît tous les jours1775.’

Trois ans après l’établissement du protectorat, Mgr Miche, ayant quitté le Cambodge pour Saigon, montrait rétrospectivement un fort optimisme : « La population, tyrannisée jusqu’à présent par les mandarins, appelaient les Français comme des libérateurs. Ces libérateurs sont venus maintenant, les Cambodgiens dans l’allégresse entendent volontiers la Bonne Nouvelle 1776. »

Mais quelques années plus tôt, il semblait se faire encore assez peu d’illusion sur la sincérité de ces conversions : « Il n’y a pas un Cambodgien qui ne sache aujourd’hui qu’on ne peut pas toucher impunément à un cheveux des chrétiens. Aussi bon nombre des payens se déclare-t-ils chrétiens en arrivant aux douanes afin d’éviter toute vexation, et beaucoup plus encore viennent me demander un passeport. Mon sceau est un véritable passe-partout1777. »

Notes
1773.

Mgr Miche, 24 avril 1858, AME, vol. 765.

1774.

Mgr Miche, 18 janvier 1864, AME, vol. 118. In Cl. Prudhomme, op. cit.: « On voit à travers ces expériences où allait initialement la préférence missionnaire. Non pas à la colonisation, car elle introduit une autorité civile concurrente de l’autorité missionnaire sans garantie d’obtenir l’appui d’Etats européens en voix de laïcisation. Mais à l’alliance avec des chefs locaux christianisés qui protègent et encouragent la mission. », (p. 77).

1775.

Mgr Miche, 26 décembre 1861, in Lettres communes, 1862, AME, vol. 171.

1776.

Mgr Miche, 28 juin 1867, AME, vol 148.

1777.

Mgr Miche, 26 décembre 1861, AME, vol. 765.