c. Un projet : le rattachement de la Basse Cochinchine au vicariat du Cambodge

Très tôt, l’évêque de Dansara paraît avoir douté qu’il fût possible de convertir les populations cambodgiennes et laotiennes. Dés la création de son vicariat apostolique, dont il avait immédiatement critiqué les frontières, une idée lui était venue :

‘Si j’avais été appelé à donner mon avis dans cette affaire, j’aurais voté pour qu’on adjoignit au Cambodge la dernière province de Basse Cochinchine où il y a quatre ou cinq petites chrétientés qui auraient servi de noyau pour en former d’autres. En cas d’insuccès au Cambodge, chose qui est hors de doute, les missionnaires auraient pu travailler avec fruit sur une terre féconde1778. ’

Aussi, lorsque la France parut décidée à s’installer durablement en Cochinchine, c’est vers cette région qu’il tourne plus que jamais ses regards :

‘Les raisons qui ont guidé Mgr Lefebvre en demandant l’érection du Cambodge en vicariat apostolique vont disparaître complètement avec l’occupation française de toute la Basse Cochinchine, car désormais, les relations entre les deux pays n’éprouveront plus aucune entrave et seront fixées par un traité d’amitié et de commerce. C’est ce que m’ont écrit les chefs de l’expédition ainsi que M. le Consul de France à Bangkok. Mu par ces considérations et après m’être entendu avec mes missionnaires, je viens d’écrire une lettre à la Sacré congrégation de la Propagande pour qu’elle daigne rattacher au vicariat apostolique du Cambodge les 3 provinces occidentales de la Basse Cochinchine. De plus, les Annamites croyant à une occupation française définitive, les conversions se font en masse. Dans le cas où ma proposition sera agréée, le Cambodge, qui ne promet rien pour l’avenir, ne serait plus qu’une partie accessoire de ma mission1779. ’

Il souhaite ce rattachement de la Basse Cochinchine pour plusieurs raisons. Les unes tiennent à la nature de ses habitants, les autres à l’ancienneté de sa christianisation et enfin à la pacification dont l’amirauté, désormais, répondra. Même au Cambodge, en pleine tourmente, les convertis étaient essentiellement des réfugiés Cochinchinois : « Malgré ces obstacles, nous avons pu baptiser près de 40 adultes, tous Cochinchinois 1780. » Plus tard, tandis que les communautés cambodgiennes stagnent, en dépit du protectorat, ­– ­« Battambang me désole, les chrétiens sont de glace et les progrès de la mission sont très lents. Quant au poste de Kampot, c’est un chancre pour notre mission », écrit-il en janvier 1864 –, les seuls signes encourageants proviennent des chrétiens venus d’Annam : « A six lieues de Phnom Penh, il se forme une chrétienté annamite qui prend tous les jours de l’accroissement 1781. » Si Mgr Miche ne croit plus à l’évangélisation du Cambodge seul, il compte en revanche sur le fécond voisinage de la Cochinchine. C’est pourquoi il en est venu naturellement à souhaiter la fusion des deux peuples :

‘Il faut que cette race se fonde avec la race annamite et alors tout va bien. Si l’expédition française aboutit, notre ministère sera immanquablement plus fructueux, car dans ce cas, nous nous porterons vers la frontière où il y a beaucoup de villages cochinchinois placés sur le territoire du Cambodge. Mgr Lefebvre regarde comme une belle mission celle qui comprend un vaste territoire et beaucoup de chrétiens. Et moi, j’appelle belle mission celle qui, quoique restreinte, offre le plus de facilités pour la conversion des âmes1782. ’

Or, en Cochinchine précisément, les conversions connaissent, depuis l’occupation française, un essor fulgurant : « Le P. Arnoux m’écrit de Saigon : il faudrait une machine à vapeur pour suffire aux baptêmes. Voilà qui va vous faire venir l’eau à la bouche1783. » C’est à Saigon, du reste, que l’évêque de Dansara envoie les rares recrues d’origine cambodgienne, afin qu’on leur prodigue une formation qu’il n’est pas possible de leur donner au Cambodge :

‘À Pinhalu, nous avons un instituteur, mais son école est mixte, faute de femmes capables pour instruire les petites filles. J’espère que dans peu, notre couvent de Phnom Penh nous fournira des religieuses pour combler cette lacune. D’ailleurs, j’ai envoyé trois jeunes filles cambodgiennes à l’orphelinat de Saigon pour les former sous la direction des religieuses de Chartres. L’amiral La Grandière a eu la bonté de leur accorder des bourses1784. ’

De même, il ne prévoit pas d’investir davantage, pour le moment, les finances des missions étrangères dans son vicariat du Cambodge : « Quand nous aurons assez de chrétiens pour remplir de grandes églises, nous démolirons les petites 1785. »

Notes
1778.

Mgr Miche, lettre à M. Libois, procureur à Hong Kong, 15 juin 1851, AME, vol. 748.

1779.

Mgr Miche, 24 juin 1861, AME, vol. 765.

1780.

Mgr Miche, Kampot,1er février 1861, AME, vol. 765.

1781.

Mgr Miche, Pinhalu, 15 janvier 1864, AME, vol. 118.

1782.

Mgr Miche, Kampot, 1er février 1861, AME, vol. 765.

1783.

Mgr Miche, 24 juin 1861, AME, vol. 765.

1784.

Mgr Miche, Pinhalu, 15 janvier 1864, AME, vol. 118.

1785.

Mgr Miche, 2 septembre 1864, AME, vol. 125.