d. Une réalpolitik

Le providentialisme du jeune missionnaire des débuts semble bien avoir cédé la place au pragmatisme de l’homme d’expérience. Pourquoi Jean-Claude Miche souhaite-t-il l’intervention de forces militaires dont le premier objectif n’est pas d’étendre le domaine de la chrétienté, mais de promouvoir le commerce maritime et d’asseoir l’influence française en Asie ? C’est qu’il espère que l’évangélisation en sera facilitée, le joug des mandarins ne pesant plus sur des peuples devenus libres d’embrasser la religion chrétienne. De plus, la soumission presque complète de l’ensemble de la région par la marine française autorise le remaniement des vicariats apostoliques. Il apparaît à cet égard, que les idées (révolutionnaires) de droit des peuples, de frontières politiques ou ethniques, n’entrent nullement dans les calculs de l’évêque de Dansara. Il ne s’agit que d’agrandir le royaume de Dieu sur terre et l’appartenance au peuple chrétien l’emporte sur toute autre nationalité. En Cochinchine, Mgr Miche n’œuvre pas pour la grandeur de la France, mais dans l’intérêt des missions. Voilà pourquoi, alors que l’établissement du protectorat et le couronnement de Norodom ont permis de maintenir une entité cambodgienne dans la région, l’évêque de Dansara persiste à réclamer au Saint Siège l’annexion d’une partie de la Cochinchine à son vicariat du Cambodge, quitte à ce que les frontières de l’administration française et celles du vicariat apostolique ne coïncident pas. L’alliance avec les autorités françaises est à double tranchant, car rien ne garantit que l’indépendance des missionnaires sera sauvegardée, une fois l’autorité coloniale établie en Indochine. De plus, à l’opportunisme tactique du missionnaire pourrait répondre celui des populations locales, le baptême n’étant qu’un moyen intéressé pour obtenir la protection des Français. Comment être sûr, dans ce cas, de la sincérité et de la pérennité des conversions ?