1. Une société de prêtres séculiers « forte de sa tradition »

Les Missions Étrangères de Paris, dont la fondation fut approuvée par Louis XIV le 26 juillet 1663, sont généralement considérées comme la plus ancienne des sociétés missionnaires françaises1795. Leur création officielle survint trois ans après l’envoi en mission des pères fondateurs, Pallu et Lambert de La Motte, premiers vicaires apostoliques, représentant le Saint-siège en Asie et relevant directement de la Propaganda Fide. A partir du milieu du XIXe siècle, les M.E.P. occupèrent, dans le champ des missions d’Asie, une position nettement dominante. Au début du XXe siècle, elles étaient solidement implantées en Asie du Sud-Est, de l’Inde à la Chine et jusqu’au Japon. L’une des singularités de cette société tient au fait qu’elle fut en contact avec une grande variété de cultures, comme l’atteste notamment l’apport considérable de ses missionnaires à la connaissance des langues asiatiques1796. Autant qu’à la conversion des populations, c’est à la formation du « clergé indigène »qu’elle était destinée, conformément aux Instructions édictées par la Propagande en 1659, à l’intention des nouveaux missionnaires. Il s’agit, aujourd’hui encore, d’une société de prêtres séculiers sans voeux, placée sous l’autorité directe de la Congrégation de la Propagande, – désormais dénommée Congrégation pour l’évangélisation des peuples1797 –, et non d’une congrégation religieuse. Jusqu’au début du XXe siècle, cette société était administrée collégialement et de façon décentralisée, par le Conseil des directeurs du séminaire de Paris, chaque vicaire apostolique ayant rang d’évêque dans sa mission, avec les pouvoirs y afférents. Mais en 1921, tenue de se mettre en conformité avec le nouveau code de droit canonique, elle réforma son règlement et institua, non sans de longs et pointilleux débats, l’élection d’un supérieur général, placé à la tête du séminaire de Paris comme de l’ensemble des missions1798. Cet épisode n’est pas sans rapport avec ce qui suit; l’adaptation à la modernité n’était pas, semble-t-il, très spontanée dans une société ecclésiastique qui, au contraire, lors des travaux de son assemblée générale romaine, en février 1921, revendiquait avec fierté son ancienneté :

‘Nous serons autant que jamais la vieille société des Missions étrangères, consciente de sa place dans l’Eglise et du but qu’elle poursuit, fidèle à son passé, forte de sa tradition1799.’

Cette tradition était-elle vraiment une force ? Héritière du catholicisme français « classique », puis devenue bien plus familière des lointaines contrées d’Asie que de sa nation d’origine (à laquelle elle se rattachait pourtant par la nationalité de ses membres, de langue maternelle française obligatoirement), la société des Missions Étrangères se trouva plongée, soudainement, dans les transformations socio-culturelles profondes et rapides de l’Entre-deux guerres, transformations auxquelles les autres congrégations missionnaires, plus récentes et enracinées dans la métropole, se sont apparemment mieux faites. Cette étude vise à décrire les modalités et les effets du processus d’aggiornamento que déclencha la chute brutale des vocations de missionnaires, survenue à cette époque; elle tente d’en comprendre les ressorts organisationnels et institutionnels, s’appuyant essentiellement sur des documents inédits, conservés aux archives du séminaire des Missions Étrangères, rue du Bac, à Paris.

Notes
1795.

Sur les origines de cette société religieuse, cf. Henry Sy, La société des Missions Étrangères, la fondation du séminaire, 1663-1700, études et documents n° 10 Eglises d’Asie, série histoire, 2000.

1796.

Gérard Moussay (M.E.P.), Missions étrangères et langues orientales : contribution de la Société des Missions Etrangères à la connaissance de 60 langues d’Asie, bibliographie, archives & bibliothèque asiatique, Paris, 1997.

1797.

Depuis la constitution Regimini Ecclesiae universae, du 6 août 1967.

1798.

Le premier supérieur général fut Mgr J.-B de Guébriant, vicaire apostolique de Canton.

1799.

Bull. des Missions Etrangères, n° 1, p. 8, février-mars 1921.