6. Réforme des méthodes ; l’ouverture de petits séminaires

A partir de 1930, plusieurs commissions, constituées au sein des M.E.P., édictent une série de directives et de recommandations. D’autre part, des rapports officiels sans complaisance et une abondante correspondance sont régulièrement adressés au Conseil des Missions étrangères par les recruteurs eux-mêmes qui, observateurs directs de la réalité concrète, multiplient les propositions. La première réforme importante consiste en la fondation d’un petit séminaire des Missions étrangères, établissement dont l’absence, nous l’avons dit, est unanimement jugée préjudiciable au recrutement1863. Le premier petit séminaire de la Société ouvre donc ses portes à Beaupréau (Maine et Loire) en 19311864. Mais un seul établissement de ce type ne peut suffire ; on décide d’en fonder un second. Trois hypothèses sont alors examinées :

‘Premier projet ; Petit séminaire, immeuble spécial, direction, enseignement et formation morale entièrement assurés par des missionnaires de la Société. Deuxième projet ; Petit séminaire, immeuble spécial, direction et formation morale assurés par des missionnaires de la Société, enseignement donné par des professeurs non missionnaires (…). Des professeurs laïcs seraient peut-être préférables car ils nous laisseraient toute liberté morale, nous serions débarrassés des entraves diverses que la législation canonique crée avec des ecclésiastiques et nos élèves ne cherchant que dans les deux ou trois missionnaires directeurs de l’établissement la formation morale, des influences toujours à craindre si nous nous adressions à des religieux professeurs ne pourraient exister. Troisième projet ; Petit séminaire comme organisation et direction générale avec placement des séminaristes dans quatre ou cinq établissements étrangers à la société1865.’

La deuxième solution eût notamment évité de dégarnir les rangs déjà clairsemés des missionnaires en activité ailleurs, sans introduire le loup dans la bergerie ! C’est la première pourtant, qui est finalement choisie. On décide de construire cette école missionnaire dans le diocèse de Nancy. Les études y sont poussées jusqu’au baccalauréat, indispensable pour entrer au grand séminaire ; les missionnaires-professeurs sont choisis pour leur aptitude à la pédagogie et, dans la mesure du possible, les familles concourent au règlement des charges financières :

‘a/ Au point de vue des études, le baccalauréat terminera normalement les études. b/ On fera pour le corps professoral les sacrifices nécessaires et on ne voudra pas utiliser des missionnaires qui se trouveraient surtout désignés parce qu’on ne peut les utiliser ailleurs. c/On évitera tout ce qui pourrait donner à cet établissement le caractère de maison de vocation au rabais. Bien qu’il y ait assurément souvent lieu de donner des bourses, il sera entendu que la gratuité absolue n’est pas la règle de la maison1866.’

En janvier 1938, le nouveau petit séminaire, placé sous le patronage de Théophile Vénard1867 ouvre ses portes en Meurthe-et-Moselle, à Ménil-Flin. Le Père Prouvost, ancien supérieur du Collège Saint-Joseph à Mysore (Inde), en prend la direction. Il évoque, douze ans plus tard, cette double innovation :

‘La fondation du Séminaire Th. Vénard à Beaupréau en 1931, puis de l’École missionnaire de Ménil-Flin en 1937, marquent un pas en avant dans la campagne destinée à nous procurer davantage de vocations. Graduellememt, on abandonna le placement d’enfants dans des collèges et on confia toute la formation aux confrères de la Société professeurs dans nos propres séminaires1868. ’

Des religieuses et quelques jeunes missionnaires non encore affectés à une mission (les partants, selon la terminologie des M.E.P.), prêtent main-forte, à l’occasion, aux missionnaires chargés de l’enseignement dans ces maisons1869. A Beaupréau, les débuts sont incertains :

‘Le Petit Séminaire de Beaupréau, après quatre ans d’exercice, n’a encore que 17 élèves. Il devrait compter normalement à la prochaine rentrée 11 élèves de plus, nos postulants de quatrième. 17 se préparent pour l’an prochain et 33 pour la rentrée de 1937. Combien auront dû être rendus à leur famille avant la fin de leurs études ? Vraisemblablement un tiers. Ce n’est donc là qu’un début bien humble1870. ’

La faiblesse et parfois même la diminution du nombre d’entrées annuelles s’expliquent probablement par le fait que la réputation de ces établissements n’est pas assez solidement établie. Parallèlement, les conditions d’admission aux petits séminaires restent résolument élitistes, la Société  préférant « recruter de préférence des jeunes gens de bonne famille ayant déjà fait une partie de leurs études et susceptibles d’être placés de suite soit au petit soit au grand séminaire des Missions étrangères 1871 . » Les missionnaires chargés des admissions se montrent sourcilleux et même procéduriers sur les questions d’état civil :

‘Il entre dans l’esprit de l’Eglise de n’admettre aux ordres que les enfants légitimes. Ceux qui auraient été légitimés peuvent être acceptés, s’ils ont été élevés par des parents qui ont vécu en parfaite entente conjugale1872. Si l’enfant est orphelin, il y a souvent plus d’espoir de persévérance quand il est élevé par une famille chrétienne que dans un orphelinat. Admission : Pour les petits séminaristes, on demandera le certificat de naissance (papier libre), de baptême, confirmation, mariage religieux des parents, du médecin, ainsi qu’une demande de l’intéressé visée par les parents ou tuteurs, une lettre du curé et le cas échéant du supérieur de maison d’éducation avec le dernier bulletin trimestriel1873. ’

Effectivement, pour s’assurer de la valeur des postulants, de véritables enquêtes de moralité sont menées auprès des curés de paroisse :

‘Monsieur le curé, je viens de recevoir la lettre ci-jointe. Et en particulier je vous serais obligé de me dire etiam sub secreto ce que vous pensez de cette vocation, des qualités morales du jeune homme, de l’honorabilité des parents, ajoutant tout renseignement que vous auriez pouvant m’être utiles en vue de prendre une décision à son sujet. P.S. Si l’enfant était illégitime, nous ne pourrions l’accepter et il serait inutile d’entreprendre quelque démarche que ce soit à son sujet1874. ’

Les réponses des curés, confidentielles, sont souvent fort touchantes, surtout lorsqu’ils plaident pour un petit protégé :

‘J’ai un petit bonhomme que j’ai placé à Saint-Charles il y a un an. Enfant bien doué, franc bon cœur et ayant le désir du sacerdoce et des missions. Malheureusement cet enfant est enfant naturel. Il ignore sa situation. La mère est une excellente femme qui est heureuse des dispositions de son enfant qu’elle a très bien élevé. Cet enfant à qui j’ai fait faire sa première communion était ici dans un des pensionnats de Neuilly, très laïc et malgré les difficultés du milieu a toujours été attiré par les choses de Dieu. Il va avoir douze ans, il est intelligent. Je paierais moi-même les frais accessoires, la mère s’occuperait de son entretien. Je le prendrai chez moi toutes les vacances. Vous m’aiderez mon Révérend Père à donner à Dieu une bonne petite âme et à faire un prêtre et un missionnaire1875. ’

Le postulant doit être issu de préférence d’un milieu chrétien uni : « Les enfants de parents divorcés se trouvent dans une situation plus critique que les enfants illégitimes. (…). Si les parents sont séparés, ne pas rejeter l’enfant a priori mais examiner le cas avec plus de soin1876. » Paradoxalement, certaines correspondances présentent cependant les Missions étrangères comme un possible débouché à des jeunes gens désireux d’être prêtres, mais auxquels « l’inconduite » notoire des parents interdit définitivement toute carrière ecclésiastique dans leur diocèse d’origine. En contrepartie, les recruteurs savent souvent ne pas se montrer trop intraitables, comme dans ce cas :

‘Un élève de Lesneven, y faisant d’excellentes études est désireux d’entrer à Beaupréau l’an prochain (…), mais le papa et la maman vivent séparés. Les torts sont à rejeter sur le papa ; la maman ne recherche nullement ma protection et est navrée de la décision de son fils au point qu’il faudra m’attendre à des difficultés de sa part (…). En toute conscience je crois que nous pouvons accepter cet enfant1877. ’

L’enquête porte également sur la santé et requiert un avis médical ; le postulant doit absolument jouir d’une bonne santé, puisqu’il lui faudra peut-être supporter, sous de lointaines latitudes, un climat insalubre. Plus généralement, on prend des garanties contre les mauvaises surprises : « Quand on rencontre des tares dans la famille, considérer si elles sont héréditaires ou seulement le fait d’un accident passager 1878 » Là encore, la loi peut se trouver adoucie, dans la pratique, par exemple si le milieu familial paraît fiable :

‘Voici les papiers d’un enfant que j’avais cru devoir négliger. Les parents sont revenus à l’assaut Voici les raisons qui m’avaient découragé : 1° La mère morte tuberculeuse il y a 4 ans. Les enfants ont été isolés pendant la maladie bien entendu mais je croyais qu’il y avait à craindre. 2° Les oreilles du petit sont légèrement paresseuses. Je vous ai dit ce que cet enfant a contre lui ; il a pour lui d’appartenir à une bonne famille chrétienne de la campagne, d’être un élève d’une bonne moyenne1879.’

Le mérite individuel peut sauver une cause mal engagée :

‘A.L., n’a que le pouce à la main droite, fait fonction de clerc de notaire, a un frère postulant à Beaupréau. Il est bien vrai que cette infirmité n’est pas un empêchement si surtout elle est balancée par de belles qualités morales et une instruction qui d’ordinaire manque aux sujets qui se présentent chez nous1880. ’

Notons enfin que la décision ultime est collégiale, comme il est d’usage dans la très démocratique Société des Missions Étrangères : il revient donc à une commission permanente de statuer sur les demandes d’admission, au vu des dossiers constitués par les recruteurs :

‘La commission permanente de Propagande et de recrutement a seule qualité pour prononcer ou refuser une admission. Les recruteurs auront soin de ne transmettre que des dossiers complets et attendront la réponse du Directeur chargé des admissions avant de prendre à l’égard des futurs postulants quelque disposition ou engagement que ce soit1881. ’

Le nombre d’entrées dans les deux établissements, à l’exception de quelques années fastes (trente nouveaux à Beaupréau, en classe de troisième, l’année scolaire 1937-38) reste toutefois relativement modeste1882. Un rapport de 1938 fournit les indications suivantes : « Sur 71 postulants que nous avions en 1937-1938, 21 nous ont quittés. Pour les postulants de 4 e qui devaient entrer à Beaupréau en 3 e , 12 pertes. Sur ces 12 « pertes », il faut compter 7 postulants partis d’eux mêmes ; 4 renvoyés ; 1 redoublant 1883 » En dépit des précautions tatillonnes prises pour sélectionner les candidats, il faut soustraire chaque année, du nombre déjà trop faible d’élèves, les enfants jugés indésirables et passés, semble-t-il, à travers les mailles du filet : « La raison des pertes de postulants se ramène à deux principales : enfants n’ayant pas de vocation missionnaire et venus à nos écoles pour différents motifs, le plus souvent par manque de réflexion : enfants italiens, sans attache au sol ; enfants suspects ou déjà vicieux 1884 »

Or la demande se fait toujours plus pressante :

‘Pour nous tenir au niveau du recrutement des autres congrégations plus ou moins missionnaires et avoir à diriger des missionnaires vers notre champ d’apostolat, bien supérieur à celui des Pères blancs, des pères du Saint-Esprit ou des lazaristes (…), Beaupréau devrait fournir chaque année une cinquantaine de nouveaux, à supposer que notre propagande puisse en attirer le même nombre des collèges ou séminaires de France1885. ’

Dix ans plus tard, Mgr Lemaire ne déborde pas d’enthousiasme à ce sujet :

‘Si encore nos petits séminaires regorgeaient de candidats, nous aurions bon espoir. Ce n’est pas que les vocations missionnaires manquent en France, mais elles se dirigent vers d’autres congrégations. En 1939, la Congrégation du Saint-Esprit comptait environ 900 prêtres français, mais plus de 300 scolastiques et 800 apostoliques. A l’heure actuelle on m’affirme que les Pères blancs viennent d’ouvrir une nouvelle maison près de Paris pour y déverser le trop-plein de leurs petits séminaires. C’est dire que les recrues ne font pas défaut, mais depuis longtemps, elles ont oublié le chemin de la rue du Bac1886. ’
Notes
1863.

Les archives de la Société conservent sept boîtes concernant les deux petits séminaires ; listes des élèves, règlements, notes et appréciations etc. les composent, qui mériteraient à elles seules une étude complète.

1864.

Cf. Lettres communes, 1930, p. 244, « Au cours des vingt-sept séances tenues du 15 juillet au 4 août, l’Assemblée s’est occupée de l’étude des questions inscrites au programme. Une des décisions les plus intéressantes concerne la fondation reconnue nécessaire pour le recrutement des ouvriers apostoliques, d’un petit séminaire. Un heureux et providentiel concours de circonstances a permis l’acquisition, à Beaupréau (diocèse d’Angers), d’un immeuble parfaitement adapté au but proposé ». Son premier supérieur est le Père J. Davias-Baudrit, M.E.P. (1899-1976) missionnaire en Malaisie, ancien Supérieur du Collège général de Penang.

1865.

Père Cuenot,1936.

1866.

Père Cuenot.

1867.

Missionnaire français martyrisé à Hanoï, le 2 février 1861.

1868.

Père Prouvost, p. 590.

1869.

On peut à ce sujet, consulter les rapports sur les établissements communs de la Société, publiés chaque année.

1870.

Père Thibaud, Compte-rendu pour l’année 1934.

1871.

Extrait des Directives de l’Assemblée Générale de 1930, DB 54-1934 / 2.

1872.

Cf. D.T.C., vol. VII, col. 744, 1922. Au point de vue du droit canonique : « C’est la conception qui détermine la qualité de l’enfant. » Les fils nés hors mariage « ex defectu natalium » sont « inhabiles » à recevoir la tonsure et les ordres, à moins qu’ils ne soient légitimés par le mariage de leurs parents postérieurement à leur conception ou s’ils ont prononcé des vœux solennels de religion ; faute de quoi l’évêque ne peut en aucun cas les accueillir dans un séminaire. Mais ils sont à jamais, même en cas de légitimation, écartés des fonctions du haut clergé (pourpre, épiscopat, supériorat)

Idem, vol XIII, col. 2173, 1937 : « Parmi les empêchements de droit commun, maintenu à titre de droit particulier dans les constitutions de certains instituts, la naissance illégitime. »

1873.

Compte-rendu de la première réunion de travail sur le recrutement, 21 février 1947, DB 54 – 1947-49 / 3.

1874.

Père Thibaud, 11 septembre 1937, DB 54 - 1937/24.

1875.

Lettre adressée au Père Thibaud, DB 54 – 1937 / 25.

1876.

Compte rendu de la première réunion de travail sur le recrutement.

1877.

Père Lerestif, 5 août 1937, DB 54 – 1937 / 19.

1878.

Compte rendu de la première réunion de travail sur le recrutement.

1879.

Père Lerestif, 10 & 23 septembre 1937, DB 54- 1937 / 30-31.

1880.

Courrier du 7 septembre 1937, DB 54-1937 / 21.

1881.

Quelques recommandations à MM les propagandistes, DB 54 – 1933 / 2.

1882.

159 élèves au total dans les deux établissements, de la 6e à la philosophie en 1937 / 38 ; 142 en 1938 / 39 ; 85 en 1945 / 46 (cf. DB 54-1939 / 24 &1945-1946 / 13)

1883.

Année scolaire 1938-1939 : Rapport sur le recrutement.

1884.

Année scolaire 1938-1939 : Rapport sur le recrutement.

1885.

Père Thibaud, Ménil-Flin, 23/06/1937, DB 54 – 1937 / 14.

1886.

Mgr Lemaire, (1946).