7. Le « bon recruteur »

Les recruteurs eux-mêmes, chevilles ouvrières de la propagande, doivent être à la fois mieux dirigés et mieux soutenus. L’impéritie de tel ou tel d’entre eux a pu être déplorée, parfois amèrement. Aussi, les recommandations faites par les commissions successives dessinent-elles un édifiant portrait du bon recruteur. Le rapport sur le recrutement de 1938, par exemple, dresse sans détour l’inventaire des multiples mérites requis :

‘Serait-il vrai qu’il est plus difficile de trouver un bon recruteur qu’un supérieur de maison ? La chose est possible, car le bon recruteur doit être vigoureux physiquement, être vivant et optimiste, savoir parler aux adultes comme aux enfants, savoir mieux encore se taire quand il le faut, être capable d’avaler bien des couleuvres, témoigner d’une certaine culture, faire preuve de bonne éducation et de savoir-faire, être doué d’une bonne piété M.E., aimer les jeunes gens et plaire aux hommes faits. Et par-dessus tout, aimer à plein cœur la Société et non seulement les missions. Un recruteur auquel il manquerait trop de quelques-unes de ces qualités ne peut qu’être dangereux pour le recrutement1887. ’

Des diverses recommandations, il ressort tout d’abord que la fonction de recruteur ne doit être désormais attribuée qu’avec circonspection. Manifestement échaudés par quelques mauvaises expériences du passé, les membres des commissions attendent des futurs recruteurs deux vertus préalables : « Il va sans dire qu’un confrère découragé ferait un bien mauvais agent de propagande missionnaire de même que celui qui aurait une certaine démangeaison de parler de tout ce qu’il a vu et entendu ou cru voir et entendre 1888 » A ces prémisses – optimisme, discrétion – s’ajoutent les qualités qu’implique la fonction même du recruteur : toujours sur les routes et par tous les temps, ce qui réclame une bonne santé, il doit être capable de captiver des auditoires variés : simples collégiens, séminaristes avertis, assemblées de fidèles plus ou moins éduqués, curés de paroisse plus ou moins bien disposés. Les recommandations insistent particulièrement sur cette dernière catégorie. Puisqu’on ne peut plus compter seulement sur les grands séminaires, les curés et leurs vicaires peuvent se révéler d’utiles auxiliaires, par le biais des activités paroissiales : catéchismes, aumônerie des écoles catholiques, patronages1889. Il revient donc aux recruteurs de tisser des liens de confiance réciproque et de les entretenir : « Méthodes : Les recruteurs se souviendront que ce qui importe le plus c’est de gagner la sympathie du clergé. (…). Etablir des contacts, rendre des services pour des messes, des confessions, retraites, etc 1890 » Les quêtes pour les missions sont particulièrement redoutées des curés de paroisse, qui ont parfois le sentiment que leurs ouailles sont mises en coupe réglée par les prédicateurs des diverses congrégations qui se succèdent en chaire, leur propre casuel s’en trouvant diminué ; d’où cet avertissement : « En ce qui concerne les paroisses, et c’est l’avis de Monseigneur, je crois qu’une grande discrétion est de rigueur pour les quêtes ; nous avons fait si souvent appel à la générosité de nos diocésains 1891 » Aussi les recruteurs sont-ils appelés à procéder avec tact : « Plus ils se montreront discrets sur les questions d’argent, plus on se montrera généreux à leur égard 1892 . »

Il est également recommandé de veiller à ne placer d’abonnement aux Annales de la Société qu’avec l’assentiment des curés, pour ne froisser personne1893. La quête ne devant jamais passer, aux yeux des paroissiens, pour une fin en soi, seule prime la qualité de la prédication. Il faut aux recruteurs de la faconde, mais sans mondanité excessive, pour ne pas créer d’équivoque : la vie qui attend le postulant missionnaire est rude et austère : « Ils feront ressortir l’aspect dur et généreux de la vie en mission, passant rapidement sur la part d’exotisme et d’aventure que comporte l’apostolat actuel 1894 . » Le succès du prédicateur suppose également qu’il ait une bonne culture générale ainsi qu’une excellente connaissance de l’Asie : « Ils mettront en valeur l’importance de l’Asie dans les temps à venir, la richesse de civilisation de beaucoup des peuples que nous évangélisons 1895 » Il ne s’agit nullement de faire assaut d’érudition, même devant des auditoires éclairés ; les conférenciers doivent donner une information mise à jour, de sorte qu’un éventuel postulant puisse choisir les missions en toute connaissance de cause :

‘Une remarque générale m’a été faite par plusieurs Supérieurs et directeurs de Grands Séminaires : nous ne demandons pas chez vous le talent oratoire de Mgrs Chappoulie et Lavarenne1896, toujours fort goûtés de notre jeunesse ; ce qui serait désirable et bien accueilli : de simples et bonnes conférences assez préparées, une ou deux fois l’an sur des thèmes missionnaires théologiques ou apologétiques un peu spécialisés, par ex : Religions comparées, brahmanisme, bouddhisme, civilisations orientales ; obstacles fonciers à l’évangélisation ; quelques traits choisis du martyrologe contemporain ; quelques grandes figures-type de l’apostolat missionnaire moderne ; problème du salut des infidèles. Et que ces conférences soient faites par des hommes venant de là-bas1897. ’

Cette dernière requête est souvent répétée ; y satisfaire risquerait cependant de contrevenir aux statuts de la Société en dégarnissant les rangs des missionnaires en Asie. Mais elle paraît tellement s’imposer qu’en 1947, les membres de la commission chargée du recrutement n’hésitent plus à affirmer : « L’idéal serait de rappeler de mission un père relativement jeune qui serait recruteur pendant quelques années puis rejoindrait l’Extrême-Orient 1898 »

Notes
1887.

Substance du rapport sur le recrutement 1938-1939, DB 54 –1939 / 24.

1888.

Père Cuenot.

1889.

Voir notamment à ce sujet : Cholvy G., Le Patronage, ghetto ou vivier ? Actes du colloque des 11 & 12 mars 1987, Paris, Nouvelle Cité, 1988.

1890.

Compte-rendu de la première réunion de travail sur le recrutement.

1891.

Le Vicaire général de Saint-Dié au Père Cuenot (1942).

1892.

Compte-rendu de la première réunion de travail sur le recrutement.

1893.

Père Cuenot.

1894.

idem

1895.

Idem, en 1937

1896.

Mgr Henri Chappoulie (1901-1959), fut aumônier de la Ligue Missionnaire des Etudiants de France, directeur des Œuvres Pontificales Missionnaires, président de l’Œuvre de la Propagation de la Foi et de l’Œuvre de St Pierre Apôtre, directeur de l’Union Missionnaire du clergé, évêque d’Angers, auteur de Aux origines d’une Eglise : Rome et les missions d’Indochine au XVII e siècle, paru en 1943. Mgr Joseph Lavarenne, (1885-1949) secrétaire général des Œuvres Pontificales Missionnaires, de l’Œuvre de St-Pierre Apôtre et de l’Œuvre de la Propagation de la foi, créateur de la chaire d’études des missions aux Facultés catholiques de Lyon et fondateur d’un laboratoire de recherche sur la lèpre, protonotaire apostolique.

1897.

Père Bibollet, Compte-rendu d’une tournée de propagande missionnaire, juin-juillet 1942, DB 54 - 1942 / 24.

1898.

Compte-rendu de la première réunion de travail sur le recrutement.