9. Les moyens de la propagande missionnaire

Le contenu des conférences et des prédications ne nous est connu qu’indirectement. Il varie selon le conférencier et son public, mais l’objectif est partout le même : faire connaître les Missions étrangères. Dans les séminaires, les recruteurs parlent aux élèves, rencontrent les professeurs, célèbrent parfois la messe de communauté, partagent un repas à la table du supérieur, donnent une lecture spirituelle, s’adressant aux étudiants réunis pour l’occasion :  

‘Voici quel a été mon travail : grand séminaire ; conférences à tous les élèves réunis : qu’est-ce qu’un prêtre des missions étrangères ? Un groupe missionnaire s’est formé avec l’encouragement des supérieurs ; il compte 3 théologiens et 8 philosophes. Tous ne se destinent pas aux M.E.P., mais il y en aura un pour nous. Petit séminaire, il y en a 4. Très bien accueilli. J’ai présenté dans ces maisons un film de projections fixes sur Théophane Vénard avec commentaire. Je n’ai aucune idée des résultats de ces conférences. Il me semble qu’au petit séminaire d’Espalion, l’impression laissée a été plus profonde ; deux élèves dont un hésitant non sur la vocation qui semble être en lui, mais sur le choix d’une forme plus haute de vie apostolique, sont venus me trouver1914. ’

Le thème de la conférence peut également être proposé par les professeurs : « Hier soir, j’ai pu donner à Metz (Grand-Séminaire) une conférence d’une demi-heure (la sixième depuis que je m’occupe de recrutement) sur l’attitude du gouvernement français en face de l’apostolat missionnaire en Indochine, sujet qui m’avait été demandé par l’abbé S., le président du groupe d’études missionnaires de l’établissement1915. » La Société étant souvent méconnue, les séminaristes sont mal informés et leurs questions portent parfois sur des sujets épineux. Est-il vrai que les missionnaires soient isolés en mission ? Les Missions étrangères étant une Société sans vœux de religion dont les membres restent prêtres séculiers, cet état les conduit-il, autant que celui de missionnaire moine ou religieux, vers la perfection ? Un document destiné aux recruteurs fournit des réponses toutes prêtes : la densité de population est telle en Asie et le nombre de chrétiens et de prêtres indigènes si élevé que « nulle part au monde, le missionnaire n’est moins isolé que dans les pays à la charge des Missions étrangères1916. » Quant aux vœux, ils ne changent rien à l’état de missionnaire qui « n’est pas compatible avec les observances monastiques ni avec la vie de couvent1917. » L’utilisation de cette dialectique ne produit pas forcément les effets escomptés :

‘Au sujet des conférences dans les collèges et séminaires, je ne crois pas qu’il soit bon d’insister ni sur le fait que nous sommes une Société religieuse sans les vœux de religion, ni de prouver que nous avons été calomniés quand on nous a dépeints comme des isolés en mission (…). Qui veut trop prouver ne prouve rien du tout quand cela n’aboutit pas au contraire du but qu’on se propose : en effet, il est des jeunes gens qui, à cause précisément de leur générosité, croient que les vœux de religion, fussent-ils simples, sont le nec plus ultra de l’abnégation, et on ne ferait qu’ancrer les auditeurs dans cette idée en voulant essayer de les convaincre que l’esprit religieux peut remplacer les vœux1918. ’

Un autre sujet, fruit de la concurrence entre sociétés missionnaires, demande à être traité avec une grande persuasion. Il s’agit de la comparaison de l’Afrique et de l’Asie, qui penche, nous l’avons signalé, au détriment de cette dernière. Pour contrebalancer cet engouement, les propagandistes des Missions Étrangères se livrent à la confrontation critique de l’action des sociétés missionnaires, insistant notamment sur l’urgence de la prédication en Asie, continent le plus peuplé du monde :

‘Les caractéristiques de la Société des M.E.P. sont les suivantes : (…). 5°/ Elle est la plus chargée de responsabilités, car sur le milliard de païens qui existent encore sur le globe, elle en évangélise 250 millions, c’est à dire le quart, chiffre très supérieur à celui des autres Congrégations missionnaires dont beaucoup même parmi les principales ont à peine 10, 20 ou 30 millions d’infidèles à convertir. Ajoutons que les populations qui lui sont confiées appartiennent presque toutes à la puissante race jaune dont la formidable vitalité soulève le plus grave peut-être des problèmes de l’avenir1919. ’

L’envoi en Asie de nouveaux missionnaires est d’autant plus urgent que le nombre « d’âmes à sauver » y est plus élevé qu’ailleurs. Par ailleurs, les congrégations missionnaires sont de plus en plus souvent taxées de colonialisme, y compris dans les milieux ecclésiastiques ; embarrassante accusation dont les missionnaires d’Asie croient pouvoir se laver plus aisément que ceux d’Afrique : «  En outre, si l’on excepte 20% des païens qu’elle évangélise, la Société des M.E.P. a en face d’elle non pas des populations soumises au domaine colonial des Blancs, mais le paganisme maître chez lui et donc tout puissant comme en Chine, au Japon, en Corée, au Siam, au Tibet 1920 » Lorsqu’elles ne visent pas à rétablir la vérité sur la Société, les conférences exaltent l’abnégation et parfois même l’héroïsme des missionnaires. Le thème du martyre y perce quelquefois, à travers le récit de la vie des grands précurseurs ou leur invocation lors d’une oraison. Elles décrivent l’utilité sociale des œuvres missionnaires, leurs écoles, les dispensaires. Elles vantent la beauté de l’Asie mystérieuse et l’intérêt de ses cultures, la valeur du clergé et des communautés chrétiennes indigènes ; ces discours suscitent parfois un vif enthousiasme :

‘Lorsque je vis hier matin la grande salle des fêtes du collège St Vincent pleine à craquer avec sa magnifique assistance de 650 prêtres et séminaristes, je fus atterré. Mon émotion s’accrut encore lorsque j’entendis le premier rapport, d’une haute tenue d’idée et de préoccupation. Que suis-je venu faire ici ! me répétai-je, et il n’y avait plus moyen de fuir ! Lorsque vint le moment de parler je fis une petite prière à tous nos Bienheureux et je me lançai. L’exemple du Père D., 71 ans d’apostolat sans retour en France, arracha des applaudissements. Les applaudissements redoublèrent lorsque j’eus montré par l’exemple des lépreux, les joies que la vie missionnaire apporte à ceux qui s’y dévouent. Et quant j’eus fini, ce fut une ovation qui dura près d’une minute. Je vous dis tout cela bien simplement sans en tirer vanité, car c’est bien à l’idée des Missions et aux missionnaires plutôt qu’au rapporteur que tout cela est destiné1921.’

Mais finalement, la principale modernisation consiste essentiellement en la diffusion d’imprimés et l’utilisation d’images : les M.E.P. imitent d’ailleurs en cela d’autres sociétés missionnaires, comme les Pères blancs, très avancés sur ce plan. Les recommandations de 1933 prévoient déjà l’expédition aux recruteurs de livres et de brochures de propagande, de vues pour projections1922. Quinze ans plus tard, cette orientation est confirmée et même renforcée :

‘À Paris, le directeur de la propagande organisera un centre d’information et de diffusion missionnaire. A lui de faire éditer livres, brochures, images, tracts. (Ces derniers seront simples, bon marché, pour pouvoir être distribués largement et renouvelés de temps en temps.) Dès maintenant, il se procurera des objets d’Extrême-Orient pour aider les missionnaires. Il mettra à leur disposition appareils, films, vues de projections qui seront cataloguées pour éviter leur disparition. Il fera éditer un tract aussitôt que possible et un calendrier pour l’année 19481923.’

Car les recruteurs sont régulièrement sollicités par des directeurs d’école ou de séminaires qui réclament des documents pour mieux informer leurs élèves : « Un jeune homme que je dirige vient, à la suite d’une retraite, de se décider à se faire missionnaire. Mais il ne possède aucun renseignement sur les différents instituts missionnaires. Pourriez-vous m’adresser des notices, brochures ou publications, je pourrais ainsi le renseigner », écrit le directeur du grand séminaire de Vannes1924. D’autres souhaitent enrichir la bibliothèque de l’école ou décorer une salle d’exposition sur les missions :

‘Toutes les brochures et tous les livres dont peut disposer votre service de propagande auront leur place dans notre bibliothèque d’Action Catholique et serviront surtout au moment des retraites. Vous avez si bien comblé mes désirs par des graphiques fort éloquents, des statistiques, des livres, une carte magnifique ! De cette façon nous avons pu commencer à garnir les murs de notre petite salle d’A.C. qui manifestement fait de la propagande pour votre chère Société. A la longue, nous veillerons à camoufler nos sympathies…Et pour ne pas toujours tendre la main je crois pouvoir vous annoncer qu’un de nos rhétos se propose d’entrer chez vous dès que possible1925. ’

Les élèves parfois, prennent eux-mêmes l’initiative, souvent après la tenue d’une conférence dans leur école :

‘M’occupant au Collège d’un groupe missionnaire et voulant intéresser mes camarades sur ce sujet si capital, je viens vous demander si vous n’auriez pas des prospectus, des livres, des images qui pourraient me servir dans ce but. Si vous pouviez me donner des conseils également pour savoir comment faire aimer les missions à mes camarades de Rhétorique et de Philosophie, je vous en serais bien reconnaissant. Je suis en correspondance avec plusieurs Malgaches et je tâche de les aider par mes prières1926. ’

Certaines correspondances nous fournissent un utile inventaire des ouvrages proposés alors par les Missions étrangères :

‘Cher Monsieur l’Abbé, ces jours derniers des anciens de Maîche devenus aspirants missionnaires me disaient que vous désirez recevoir quelques brochures et livres de propagande de chez nous. Je vous adresse donc aujourd’hui ce qui suit : Georges Goyau, Les prêtres des Missions-Etrangères ; Notice biographique de Mgr de Guébriant ; Mgr de Guébriant, Une visite aux missionnaires d’Extrême-Orient ; Chanoine Trochu, Le Bienheureux Théophane Vénard ; Abbé Monteuis, L’âme d’un missionnaire, le P. Nempon ; P. Dourisboure, Les sauvages Ba-haars.  ; Le clergé tonkinois et ses prêtres martyrs ; Le clergé annamite et ses prêtres martyrs ; Le clergé chinois du Setchoan et ses prêtres martyrs ; Le clergé indien et birman des Missions Étrangères de Paris ; P. Destombes, Le collège général de la société des M.E.P.  ; Fr. Trochu, Petite vie du Bienheureux Théophane Vénard. ; P. Philannam, 4 brochures, drames missionnaires ; Quelques feuilles de propagande : Partez hérauts ! Chant du départ des missionnaires, Chant des martyrs1927. ’

Sans vouloir entrer dans un commentaire exhaustif de cette liste d’ouvrages, soulignons tout de même qu’une place importante y est attribuée au martyre. Ce thème tient une place centrale tout au long du XIXe siècle, puis tend à s’effacer progressivement de la propagande des Missions étrangères et l’on pourrait s’interroger sur sa capacité à éveiller des vocations dans l’entre-deux-guerres et plus encore au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Enfin, les journées missionnaires, organisées à l’occasion de la fête d’un saint lié aux Missions ou lors d’une communion solennelle, sont mises à profit pour distribuer des brochures d’information, proposer des abonnements aux Annales de la Société, dédicacer des livres, vendre des bibelots asiatiques, présenter une exposition sur les missions, projeter des images fixes ou animées, passer des disques : « Disques : ne pourriez vous pas vous procurer chez Columbia quelques disques de musique chinoise (hymne national etc.) cela ferait très bien pendant l’entracte. Films : l’idéal serait d’avoir 2 films par mission : l’un sur le pays lui-même (paysages, races, mœurs, faune, pagodes et coutumes païennes) et un second sur le travail missionnaire lui-même (églises, chrétiens, écoles, dispensaires, clergé indigène etc.) 1928 »

L’audiovisuel étant entré dans les mœurs, les missionnaires s’efforcent de satisfaire à la demande de leur public :

‘Boulogne-sur-mer : je me fais un devoir d’aller saluer le nouveau curé du Portel. Très flatté de ma visite il me parle avec enthousiasme des missionnaires originaires de cette paroisse (…). Il me demande de venir un de ces jours faire une conférence avec projection à ses paroissiens, décidé qu’il est, ajoute-t-il, à y faire éclore le plus de vocations possible. Profitant de ses bonnes dispositions je lui dis que si quelque enfant de sa paroisse désirait se faire missionnaire et tout en offrant de sérieuses dispositions dans ce sens éprouvait quelques difficultés à commencer ou à poursuivre ses études secondaires nous pourrions l’aider1929. ’

Les Missions étrangères sont désormais engagées sur une voie où elles sont parvenues à exceller et qu’elles n’ont plus quittée depuis ; celle de la documentation et de l’édition. Le Père Prouvost, dans son rapport sur la propagande de 1950, décrit longuement les progrès considérables accomplis en quelques années dans ce domaine. Un Service de renseignements, auxiliaire de la propagande, disposant d’un fichier documentaire et d’un Comité de presse, rassemble et fournit des informations récentes, extraites de toutes les revues et publications missionnaires. Pour la diffusion, une revue moderne, Missionnaire d’Asie, se substitue aux anciennes Annales des Missions étrangères et de l’Œuvre des Partants. L’exceptionnel fonds photographique de la Société (ainsi que ses archives) est mis en valeur, des films sont réalisés et édités, un calendrier annuel est tiré à 30 000 exemplaires, « destiné à assurer la présence M.E.P. dans des foyers français 1930 »

Ainsi, la crise des vocations a-t-elle une conséquence inattendue ; elle fait entrer pleinement les Missions Étrangères de Paris dans l’âge de la communication moderne. Faut-il voir pour autant, dans les stratégies du recrutement, comme dans le recours aux technologies de l’édition audiovisuelle et de l’information, les signes d’une sécularisation ?

Notes
1914.

Père Chatelain, M.E.P., (1905-1983) missionnaire en Chine, tournée dans l’Aveyron, lettre du 30 / 05 / 1945 ; il écrit également : « Il y a surtout dans les villes, les groupes de jeunesse, JEC, JOC, JAC, dans lesquels on trouve généralement l’atmosphère la plus favorable à tout ce qui est apostolat », DB 54 - 1945-1946 / 5.

1915.

Père Flachère, DB 54-1938 / 5.

1916.

Les caractéristiques de la Société des M.E.P.

1917.

Ibid.

1918.

Père Cuenot.

1919.

Les caractéristiques de la Société des Missions étrangères.

1920.

DB 54-1933 / 5.

1921.

Lettre du Père Bonis, M.E.P. (1899-1959), missionnaire en Inde, au Père Sy, le 27 octobre 1938, DB 54 -1938 / 24.

1922.

Quelques recommandations à MM. les propagandistes.

1923.

Compte-rendu de la réunion sur le recrutement.

1924.

DB 54-1943 / 6.

1925.

Supérieur du petit séminaire de Fuans (Doubs) au Père Beaudeaux, 28 avril 1942, DB 54 – 1942 / 11.

1926.

Lettre d’un élève du Collège St-Joseph de Sarlat (Dordogne) DB 54 – 1944 / 7. Dans Les armes d’une mobilisation. La littérature missionnaire de la fin du XIX e siècle à 1940, Labor, 1995, Jean Pirotte a montré le rôle de la ligue Pro apostolis, et de la revue belge du même nom, destinées aux adolescents de l’enseignement secondaire; fondée en 1913 à Turnhout, la ligue réunissait des jeunes gens qui voulaient prier ensemble pour les missions.

1927.

Courrier adressé à l’abbé C., professeur au petit séminaire de Maiche (Doubs) DB 54 – 1941 / 10.

1928.

Lettre du Père Beaudeaux, 29 octobre 1942, DB 54 – 1942 / 27. Il signale dans cette même lettre l’envoi de films sur la Thaïlande, l’Inde, la Malaisie, le Manchu Kuo.

1929.

Père Gérard.

1930.

Père Prouvost, Rapport sur la propagande.