2.2.2. Les comptabilités seigneuriales

A partir du XIVe siècle, tous les seigneurs appelés à gérer des sommes importantes mettent progressivement en place des systèmes comptables. C'est le cas de la collégiale de Sallanches, dont la comptabilité, sans atteindre la complexité de celle des deux principautés, permet de suivre efficacement l'évolution des revenus et des dépenses de la seigneurie sur plusieurs siècles.83

Les terriers sont des textes inventoriant les diverses tenures d'une seigneurie, avec une localisation parfois très précise des parcelles concernées, de temps à autre une description du bâti, voire un plan pour les plus récents, et toujours le montant du cens dû par le tenancier, ainsi que le nom de ce dernier. Ils constituent de ce fait une source irremplaçable pour l'étude des terroirs médiévaux. 84Ces sources livrent de nombreuses informations, qu'on peut regrouper sous deux grandes catégories. La première information est naturellement la mention des montants des cens, dont l'analyse statistique permet une comparaison avec les autres seigneuries locales ou relevant du même seigneur, ou, dans le cas de séries de terriers, des études diachroniques. Quand le nom des tenanciers est cité, on peut parfois reconstituer les principales exploitations locales et donc évaluer la richesse relative des tenanciers. La seconde catégorie d'informations livrées par ces documents est constituée par des données géographiques : localisation et orientation des routes, des chemins, des cours d'eau, des bois, de certains édifices servant de repères géodésiques (édifices religieux, châteaux, moulins…), type d'exploitation des sols, etc.

Pour cette étude, la documentation consultée concerne presque uniquement les seigneuries ecclésiastiques. Cela est dû à l'absence de terrier laïque conservé pour la plupart des zones étudiées.85 Certains terriers postérieurs au XVe siècle ont également été consultés, parfois faute de document plus ancien, sinon pour appréhender les permanences entre les périodes médiévale et moderne. Deux exemples, traités dans le cadre de travaux antérieurs, ont été en partie réexploités pour cette étude. Le premier est un terrier de l'obéance du chapitre de Saint-Paul de Lyon à Miribel (1358).86 Il s'agit d'un dossier in folio d'une dizaine de pages, rédigé en latin et d'une bonne lisibilité, concernant un ensemble de terres relevant du chapitre, dont l'administration est confiée à un obéancier, officier laïque. Il présente l'intérêt de concerner une paroisse entière de la châtellenie savoyarde, ayant donné naissance à un faubourg de Miribel sur lequel le comte de Savoie semble n'exercer aucun droit.87 En outre, un pouillé du XIIIe siècle de l'église Saint-Paul a permis de remettre ce document en perspective.88 Le second exemple est un ensemble de terriers de la seigneurie de Montfalcon, dressés pour le compte de la commanderie hospitalière de Romans, couvrant une période longue (du XIVe auXVIIIe siècle). Il s'agit de volumineux registres papier, en latin avant 153989, dont seuls les volumes les plus anciens, datés de 1331 et 1374, ont été étudiés.90 Cet ensemble documentaire remarquable permet d'appréhender de manière diachronique l'évolution d'un terroir, mais aussi de compléter les informations fournies par la documentation delphinale.91

Dans ces exemples, contrairement à ce que l'on verra pour les comptes de châtellenies, il n'y a aucune annotation ni aucun commentaire dans le corps du texte donnant les raisons d'éventuelles baisses de cens. En effet, les compléments d'information liés à la conjoncture sont plutôt rares dans les terriers, ce qui confirme que le souhait du commanditaire est d'obtenir et de conserver un état simple de sa seigneurie, pour pouvoir le consulter facilement.

Notes
83.

COUTIN (F.), Histoire de la collégiale de Sallanches. Michel Fol a repris l'étude de cette comptabilité dans le cadre de sa thèse sur les Chanoines et collégiales dans les Alpes du Nord à la fin du Moyen Age.

84.

Pour un éventail des possibilités offertes par cette documentation, voir Fossier (R.), Polyptiques et censiers.

85.

L'inventaire des archives de la Chambre des Comptes de Dauphiné, rédigé au XIXe siècle à partir d'inventaires plus anciens, mentionne plusieurs terriers concernant les mandements de Moras et du Queyras, malheureusement brûlés pendant la Révolution Française.

86.

ADR 13G972 (1358).

87.

Bâtir et dominer, p. 24 et p. 47 à 49.

88.

GUIGUE (M-C.), Polyptique de l'église collégiale de Saint-Paul de Lyon.

89.

A cette date, l'ordonnance de Villers-Cotterêts impose l'usage du français dans les documents administratifs du royaume et, par extension, à ceux du Dauphiné.

90.

ADD 40H104 et 105 (1331 et 1374).

91.

Galaure et Valloire, p. 20-21 et 69 à 74.