3.1. Un inventaire des ensembles fortifiés

Pour analyser la place des ensembles fortifiés dans l'espace delphino-savoyard, il était nécessaire de faire plusieurs choix en ce qui concernait le degré d'exhaustivité recherché et l'échelle la plus appropriée pour un inventaire. Devant l'impossibilité matérielle de réaliser seul un inventaire exhaustif des ensembles fortifiés dauphinois et savoyards, une analyse à double niveau a été mise en œuvre : un travail de récolement des inventaires existants à l'échelle régionale et une recherche approfondie au niveau local.

Il n'existe pas d'inventaire des sites castraux, et encore moins des ensembles fortifiés, au sens large, à l'échelle des deux principautés. Ce type d'inventaire, mené depuis plusieurs années dans le Maine, en Basse-Normandie98 ou en Bourgogne99, est un travail de longue haleine, qui nécessite l'association d'équipes pluridisciplinaires et n'était donc pas envisageable pour une personne seule, sauf à constituer le cœur du sujet, ce qui n'était pas le cas ici. Pour les nécessités de cette étude, il a donc fallu rassembler, dans un premier temps, les informations issues d'ouvrages de portée variable. Les travaux qui ont servi de base à cet inventaire sont surtout ceux de Michèle Bois100, Elisabeth Sirot101 et une partie des synthèses d'Henri Baud et Jean-Yves Mariotte102, auxquels il faut ajouter les études d'Alain Kersuzan, Nathalie Nicolas, et Marie-Pierre Estienne déjà mentionnées. La précision de l'inventaire publié par cette dernière a même permis d'intégrer les Baronnies comme le cinquième bailliage-témoin de cette étude. Bien sûr, d'autres travaux auraient sans aucun doute mérité d'être intégrés dans ce corpus, mais la priorité a été accordée à ces diverses études, pour plusieurs raisons : leur souci d'exhaustivité, le grand nombre de sites qu'elles énuméraient, le fait qu'elles concernaient en particulier les bailliages auxquels appartenaient les châtellenies étudiées, ou encore la période chronologique concernée, principalement la même que celle définie comme bornes de cette étude.

Deux autres critères, plus terre à terre, mais extrêmement importants, devaient également être pris en compte : la possibilité d'accéder à ces travaux, qui ne sont pas disponibles partout, et celle de vérifier la localisation précise des sites répertoriés. Cette vérification a été effectuée sur place dans la plupart des cas, au minimum à partir des cartes anciennes et récentes, ou encore sur les photographies aériennes et les images satellitaires disponibles. Cette première  liste de sites géoréférencés, identifiés et caractérisés, offrait un cadre propice à l'analyse spatiale, malgré quelques vides, comme la Tarentaise, par exemple. Pour combler partiellement ces lacunes, tous les ensembles fortifiés ayant servi, au moins un temps, de chefs-lieux des différents bailliages ou des principales seigneuries laïques et ecclésiastiques ont été retenus. En privilégiant ainsi l'unité fonctionnelle, l'objectif était de parvenir à identifier les caractères communs des principaux relais du pouvoir princier dans la région delphino-savoyarde.

Le second niveau d'analyse retenu a été celui du bailliage. A l'échelle de chacun de ceux auxquels appartiennent les châtellenies étudiées, tous les ensembles fortifiés dont l'emplacement est connu avec certitude103 ont été recensés, afin d'analyser leur répartition de manière plus fine. Chacun a fait l'objet d'une vérification sur place et d'une localisation précise, avec l'utilisation d'un GPS quand le site n'était pas mentionné sur les cartes au 1/25000e. Ont été considérés comme ensembles fortifiés tous les sites conservant des éléments de fortifications (enceintes, tours, fossés) attribuables à l'époque médiévale, par leur architecture ou par leur mention dans les sources. Lorsque les sources écrites n'étaient pas assez claires quant à l'appartenance d'un ensemble à tel ou tel mandement, il a fallu considérer les limites communales actuelles comme suffisamment significatives. Les toponymes pouvant évoquer la présence ancienne d'un ensemble fortifié (ex : La Tour, Châtel, Le Châtelard, Le Château, Châtelet, etc.) ont été recensés dans la même base de données, mais avec une mention spécifique, pour ne pas les considérer au même niveau que les autres.

Une base de données relationnelle a en effet été développée sous Microsoft Access 2003™ pour réunir les principales informations concernant chaque ensemble : coordonnées géographiques et altitude, localisation administrative (commune actuelle, châtellenie) type d'ensemble, statut dans l'organisation territoriale des deux principautés (siège ou non d'un châtelain) et informations connues sur ses passages d'une mouvance à une autre (doc. 7). Les coordonnées des ensembles sont en Lambert 2 étendu, privilégié aux systèmes internationaux de type UTM en raison de sa simplicité (les coordonnées sont exprimées en mètres et non en degrés) et du fait que les bailliages étudiés étaient situés sur le territoire français, à l'exception d'une partie du Briançonnais.

Doc. 7. Extrait du formulaire "Ensemble" de la base "Fortifications"
Doc. 7. Extrait du formulaire "Ensemble" de la base "Fortifications"

La base "Fortifications" a ensuite été liée à un système d'informations géographiques (SIG), associant les logiciels GRASS 6.3.0 pour le traitement des données et Quantum GIS 0.11 pour leur visualisation. L'utilisation d'un système de projection unique induit un risque de distorsion, car sa fiabilité diminue à mesure que l'on s'approche des marges. En pratique, cela signifie que les distances et surfaces peuvent être légèrement faussées dans les parties les plus excentrées de la zone étudiée. Néanmoins, ce défaut est mineur, étant donné que les calculs de distance effectués l'ont été au maximum à l'échelle des bailliages. Les cartes créées à partir de ces données ont été mises en forme à l'aide d'Inkscape 0.46.

Au final, le corpus ainsi constitué regroupe 543 ensembles fortifiés attestés, auxquels il faut ajouter 52 sites supposés, soit 595 sites inégalement répartis sur l'ensemble du territoire delphino-savoyard (doc. 8).

Doc. 8. Carte de répartition des ensembles fortifiés inventoriés
Doc. 8. Carte de répartition des ensembles fortifiés inventoriés

La différence de densité entre les bailliages-témoins étudiés, flagrante notamment si on compare le Faucigny au Briançonnais, montre les difficultés inhérentes à ce genre d'exercice. D'une part, il est impossible d'affirmer avec certitude qu'un secteur a été complètement exploré, surtout quand on sait que certains sites ont pu être tout simplement rayés de la carte. D'autre part, comme j'aurai l'occasion de l'évoquer abondamment plus loin, les réalités locales diffèrent considérablement d'un bailliage à l'autre. L'analyse de ce corpus a donc dû prendre en compte ces deux facteurs, auxquels s'ajoutent d'autres contraintes liées à la typologie des ensembles, sur lesquelles je reviendrai dans le chapitre 5.

Notes
98.

FICHET DE CLAIREFONTAINE (F.), "Bilan patrimonial de la Basse-Normandie", communication au colloque "Châteaux et fortifications en Normandie".

99.

MOUILLEBOUCHE (H.), "L'inventaire des châteaux bourguignons : bilan et perspectives".

100.

BOIS (M.) et al., Châteaux médiévaux en Rhône-Alpes. BOIS (M.) et BURGARD (C.), Fortifications et châteaux dans la Drôme.

101.

SIROT (E.), Noble et forte maison.

102.

BAUD (H.) et al., Châteaux et maisons fortes savoyards. MARIOTTE (J-Y.) (dir.), Histoire des communes savoyardes.

103.

Qu'ils soient encore en élévation ou que leur emplacement soit connu par des opérations archéologiques ou par les sources écrites et cartographiques.