4.1. Châteaux et châtellenies : une série de microanalyses

L'étude archéologique et historique des sites retenus constitue bien évidemment la première partie du travail effectué. Il faut cependant se garder de penser qu'elle ne serait qu'un simple inventaire des sources écrites et des vestiges apparents de chaque château. En effet, chaque étude a donné lieu à un travail de synthèse et d'analyse sur la nature du site, les liens qu'il entretient avec son environnement physique, les centres d'habitat et les autres lieux de pouvoir et l'évolution de ces paramètres sur deux siècles, voire plus. Le choix des quatre châtellenies a été réalisé de manière à assurer à la fois une représentation des différents milieux ayant vu l'implantation de châteaux (avec également des statuts juridiques différents) et une étude approfondie grâce à la conservation de séries importantes de comptes de châtellenies. Voici les principales caractéristiques des châtellenies retenues :

  1. Montluel (Ain) : châtellenie s'étendant entre la vallée du Rhône et la Dombes, chef-lieu du bailliage de Valbonne, propriété du seigneur de Beaujeu jusqu'au début du XIVe siècle, puis du Dauphin jusqu'en 1355 et enfin du comte de Savoie.
  2. Moras (Drôme) : vaste châtellenie de plaine, à vocation essentiellement agricole (céréaliculture), au cœur du Viennois, appartenant aux Dauphins depuis le début du XIe siècle.
  3. Sallanches (Haute-Savoie) : châtellenie de moyenne montagne, comprenant la ville la plus peuplée du Faucigny, point de passage obligatoire dans la vallée de l'Arve, et un grand nombre de hameaux et d'alpages. Elle appartient successivement aux mouvances savoyarde, puis delphinale, avant de devenir définitivement savoyarde en 1355.
  4. Queyras (Hautes-Alpes) : châtellenie de haute montagne, correspondant à l'un des Escartons du Briançonnais, relevant des Dauphins depuis le début du XIIIe siècle.

On peut considérer que cette première partie de l'étude s'est déroulée en deux temps : l'association déjà évoquée entre prospections systématiques et dépouillement des comptes de châtellenies, puis la réalisation d'une étude géographique et historique à l'échelle de la châtellenie, permettant d'intégrer les informations récoltées précédemment dans un contexte plus large. Il est nécessaire de rappeler que le corpus de comptes n'a pas été dépouillé en intégralité. Des sondages ont été effectués sur des périodes relativement longues (de 10 à 50 ans), sur lesquelles les comptes ont été effectivement étudiés de manière exhaustive, permettant ainsi des analyses diachroniques et, par leur cohérence chronologique, des comparaisons entre les différentes châtellenies. Des sondages plus restreints ont également été effectués hors des séries analysées, pour pouvoir améliorer la qualité de l'étude diachronique et vérifier les hypothèses formulées. Les informations issues du dépouillement de ces comptes ont été versées dans une base de données relationnelle, "Comptes de châtellenies", développée comme la précédente sous Microsoft Access™. La disparité des recettes des quatre châtellenies étudiées a contraint à créer une table et un formulaire distincts pour chacune (doc. 9).

Doc. 9. Extrait du formulaire "Queyras" de la base "Comptes de châtellenies"
Doc. 9. Extrait du formulaire "Queyras" de la base "Comptes de châtellenies"

Chaque formulaire reprend les mêmes informations de base : cote, dates de l'exercice, noms du châtelain et de son éventuel lieutenant, recettes en nature puis en numéraire, opera castri, dépenses et solde, sans oublier bien entendu un champ descriptif permettant de noter toute information complémentaire. Pour une meilleure cohérence, les sommes ont été systématiquement converties a priori en deniers tournois de bon poids, les autres unités utilisées étant précisées pour chaque recette. La base de données contient également une table "Châtelains" (doc. 10), réunissant les rares informations rassemblées sur les châtelains ayant exercé leur office dans les secteurs étudiés, exploitée plus loin dans l'étude du groupe des officiers delphino-savoyards.106

Doc. 10. Extrait du formulaire "Châtelains" de la base "Comptes de châtellenies"
Doc. 10. Extrait du formulaire "Châtelains" de la base "Comptes de châtellenies"

Une fois ces informations collectées, la progression a été la même pour chaque exemple étudié : identification du site castral, étude détaillée de ce dernier, de l'organisation interne de la châtellenie, de l'exploitation des ressources naturelles dans cette dernière et enfin de l'économie locale et de la politique fiscale princière à l'échelle de la châtellenie. Les résultats de ces études de cas sont présentés dans le quatrième chapitre, en reprenant cette logique de progression

Dans le cadre de l'étude des recettes et des dépenses des châtellenies, j'ai fait appel à un certain nombre de méthodes statistiques, en exploitant les données numériques issues des séries de comptes grâce à Microsoft Excel™. Ce logiciel a été choisi en raison de sa compatibilité totale avec les autres logiciels utilisés, de sa facilité d'utilisation, notamment pour la construction de graphiques, ainsi que de son important moteur statistique intégré. Parmi les méthodes utilisées, celle du khi deux a notamment servi à tester la normalité des distributions et à comparer la structure du budget local d'une période à une autre. Des formules de régression ont également été élaborées pour étudier les tendances des recettes et des dépenses sur de longues périodes. Les séries chronologiques ont été étudiées de manière descriptive, en s'intéressant aux évolutions climatiques, aux mécanismes économiques, budgétaires et fiscaux et à l'impact des événements politiques et militaires.

Notes
106.

Voir chapitre 6.