En règle générale, les deux administrations ont fait des choix radicalement opposés en termes de présentation physique des comptes de châtellenies : des rouleaux de parchemin en Savoie, des registres en papier en Dauphiné.
En Dauphiné, les comptes sont rédigés sur des feuillets pliés in quarto, cousus en cahiers, dont le nombre de pages, différent selon les châtellenies concernées, est défini a priori. On peut l'affirmer par la présence de pages vierges, parfois de feuillets entiers à la fin d'un cahier, dont le nombre varie en fonction des châtellenies. Chaque cahier concerne en général le bilan de l'exercice d'une unique châtellenie, mais plusieurs comptes consécutifs peuvent être accolés et d'autres éléments évoqués lors de l'audition peuvent y être annexés, notamment des recettes de péages, des listes de dépenses exceptionnelles ou, plus rarement, les comptes de châtellenies tenues par le même châtelain. Ainsi, entre 1321 et 1323, Pierre de Crest est châtelain de La Motte-de-Galaure, de Serves et de Vals : les comptes de ces châtellenies et celui du péage de Serves se succèdent avec des renvois dans l'introduction aux documents précédents.111
Ces cahiers sont à leur tour reliés en registres regroupant tous les comptes de châtellenies et de judicatures d'un bailliage donné. La plupart de ces registres possède une couverture faite d'un parchemin plié en deux (doc. 11). Il semble y avoir à la Chambre des comptes une réelle volonté d'économie, car les parchemins sont souvent recyclés, les extraits encore visibles montrant qu'il s'agit de documents officiels (chartes désuètes ou copies de mauvaise qualité).
Sur le verso de la page de garde, on trouve en règle générale le sommaire du registre (doc. 12), lequel compte parfois quelques omissions ; elles rendent nécessaire l'examen des différentes entrées lorsqu'on recherche une châtellenie particulière.
En Savoie, le choix de rouleaux de parchemins (rotuli) renvoie aux pipe rolls adoptés en Angleterre au plus tard dans les années 1110-1120 (doc. 13). Le Domesday Book, pour citer l'exemple le plus connu, se présente sous cette forme.113 En France, ce format est aussi employé à la même époque pour les comptes royaux.114 Ces rouleaux sont constitués de peaux cousues entre elles au fur et à mesure (aucun feuillet n'est donc vierge). Chaque rouleau concerne une châtellenie et est rédigé lors de la reddition des comptes, ce qui implique qu'il peut correspondre à plusieurs exercices. Ce système permet également d'ajouter des informations à la suite d'un compte, notamment lorsque le châtelain régularise sa situation après la reddition du compte. Comme en Dauphiné, deux châtellenies dirigées par un même homme peuvent être traitées dans le même compte, formant alors un seul rouleau.115 Les parchemins choisis sont de bonne qualité et de première main ; leur verso doit en effet pouvoir être utilisé pour apporter des corrections ou des compléments. Ce principe, généralisé, est l'une des différences entre ce système et celui des pipe rolls anglais.
Au fil du temps, les comptes de châtellenies savoyards deviennent de plus en plus volumineux, alourdis par des précisions toujours plus abondantes. Précisons cependant que le registre n'est pas totalement inusité en Savoie. Certains comptes particuliers peuvent en effet être rédigés sur des cahiers, comme le compte de travaux annexé à celui de 1359-1360 pour la châtellenie de Miribel.117 En outre, certains comptes de la fin du XVe siècle sont conservés sous la forme de registres, par exemple à Montluel à partir de 1492.118 L'usage des rouleaux de parchemins est d'ailleurs définitivement abandonné par l'administration ducale au XVIe siècle au profit des registres. Ceux-ci représentent d'ailleurs la forme la plus fréquemment rencontrée pour ce type de documentation : parmi les exemples abordés dans le cadre de cette étude, on trouve ainsi les comptabilités des chanoines de Sallanches119 ou de Sens120, ou encore celle des ducs de Bourgogne.121 Même dans le monde anglo-normand, le pipe roll n'est plus, au début du XVe siècle, le seul support employé par l'Echiquier.122
ADI 8B353 et 355, La Motte, Serves et Vals (1320-1321 et 1322-1323).
ADI 8B697.
GENET (J.-P.), "Le premier Etat moderne…", p. 15.
LAUER (P.), "Fragments de comptes royaux".
Par exemple ADS SA13783, Flumet et Sallanches (1383-1386).
D'après DUPERRAY (A.), Inventaire-index des comptes de châtellenies et de subsides, illustration de la couverture.
ADCO B8355, Miribel, pièce-jointe (1361). Voir Bâtir et dominer, p. 21 à 23, pour une description plus complète.
ADCO B8643 (1492) et suivants.
COUTIN (F.), Histoire de la collégiale de Sallanches, p. 18.
ROUILLARD (J.), Moulins hydrauliques du Moyen Age, p. 10-13.
Voir l'inventaire de ces comptes disponible sur www.archives.cotedor.fr, septembre 2008.
CURRY (A.), "L'administration financière de la Normandie anglaise", dans La France des principautés, p. 84.