1.2.2. Les recettes

Il est sans doute significatif que le détail des recettes vienne immédiatement après l'introduction. En effet, cela permet aux auditeurs des comptes de vérifier que le châtelain a tenu compte des moyens dont il disposait et donc qu'il a bien rempli son office. Ces recettes sont généralement présentées en deux temps : prélèvements en nature, puis revenus en numéraire.

  1. Les recettes en nature Dans tous les comptes étudiés, les premiers paiements enregistrés sont des prélèvements effectués sur les récoltes, pour l'essentiel dans le cadre de l'exercice de la seigneurie foncière. Les produits échangés dépendent bien entendu des ressources locales, mais on peut noter que les premières rubriques concernent systématiquement les céréales (froment, seigle, orge, avoine, millet). Cette primauté accordée aux céréales traduit probablement leur rôle central dans l'alimentation médiévale, et donc dans l'économie agroalimentaire et manufacturière. La structure des comptes de châtellenies semble donc obéir à des règles non-écrites, traduisant la perception du fait économique par les contemporains. Après les céréales, d'autres produits – bruts ou transformés – peuvent être recensés, avec une extrême variété selon les lieux et les années. A Sallanches, en 1430, sont ainsi comptabilisés des fèves (fabe), du pisé (pisa), de la paille (pallee), des noix (nuces), des vacherins (uacherini) et de la cire (cera)ADS SA14243, Sallanches (1429-1430)., alors que la châtellenie du Queyras ne recense que de la cire en 1337.ADI 8B620, Queyras (1336-1337). Dans les exemples étudiés, on trouve des paiements en châtaignes (castanetae), en miel (miellum), en poivre (piper), en chanvre (canabum), en vin (uinum), en volailles (galline et pullici) et en d'autres sortes de fromages. Les paiements en vin et en cire relèvent de la seigneurie banale : il s'agit du droit de banvin (prélèvement sur les vendanges) pour les premiers et de droits divers pour les seconds (droit de garde, autorisation d'exercer la profession de notaire). Les unités permettant de mesurer les quantités représentées par ces paiements sont régulièrement définies par rapport à leurs subdivisions et parfois rapportées à une mesure locale. En 1362, Pierre de Crangiat reçoit ainsi pour la châtellenie de Montluel neuf ânées de froment à la mesure de Montluel et une ânée à celle de Vimiers, village situé sur le territoire voisin de Miribel.ADCO B8548, Montluel (1361-1362). Le tableau de l'annexe 3 récapitule les principales unités rencontrées dans les textes, leurs subdivisions et leurs équivalents modernes, quand ceux-ci sont calculables. Il arrive que le châtelain effectue une ponction sur ces paiements pour s'acquitter de dettes diverses. En 1337, ce sont ainsi seulement 3590 sesterées de blé et de seigle qui sont comptabilisées dans les revenus de la châtellenie du Queyras, sur les 3670 sesterées initialement reçues par Guigues de Lonczon.
  2. Les recettes en numéraire Le deuxième volet des recettes est constitué de l'ensemble des droits payés directement en monnaie, surtout dans le cadre de l'exercice de la seigneurie banale. L'ordre des rubriques du compte de 1430 est quasiment immuable dans les comptes savoyards : denier de cens (denarium census), tailles (tallie), hommages et leurs conséquences (sufferte homagiorum et recognitiones homagiorum), gardes (garde), taxes foncières (theysie domorum), entretien du château (bastimentum), fermes (firme), lods et ventes (laudi et uendis), droits de justice (banna, clame), échutes (excheyte), introges (introgia), traite des animaux sauvages (tractus ferarum), inventions (inuenta)C'est-à-dire les objets et animaux trouvés sur la voie publique., usage des forêts (forestagium) et ventes (uenditiones).Il ne s'agit ici que du prix perçu pour la vente des vacherins. Certaines rubriques peuvent être omises en fonction des années ou des réalités locales. Les taxes foncières perçues à Sallanches, source remarquable sur les sociabilités locales et sur l'organisation du tissu urbain, sont ainsi liées à l'importance de la ville de Sallanches et n'apparaissent dans aucun autre exemple étudié. En Dauphiné, les rubriques sont moins nombreuses et souvent moins détaillées. On retrouve grosso modo les mêmes entrées, avec quelques différences intéressantes, en particulier l'existence d'une rubrique aurum dans certains comptes, correspondant au paiement de droits de garde dans le compte queyrassin de 1337.ADI 8B620, Queyras (1336-1337). Il s'agit selon toute vraisemblance d'or provenant des mines de Saint-Véran, et non de pièces de monnaies, car il est indiqué comme vendu. Chaque rubrique, qu'elle concerne des versements en nature ou en numéraire, est suivie d'un sous-total, des éventuelles libéralités et du solde dû par le châtelain. Enfin, cette deuxième partie du compte est conclue par la somme des recettes réelles (les dépenses déjà citées en étant déjà déduites), dans les différentes monnaies utilisées. Dans les comptes delphinaux, ces totaux sont ramenés à un seul, avec mention des taux de conversion utilisés.