1.2. De la seigneurie de Valbonne à la châtellenie savoyarde

Bien que Montluel ait été intégrée au royaume de France seulement en 1601, elle dépend au spirituel, dès le Moyen Age, de l'archevêché de Lyon. Cela relève d'une certaine logique géographique, Lyon étant la ville épiscopale la plus proche. En revanche, la châtellenie de Montluel, partie intégrante de la seigneurie de Valbonne, a connu au cours des siècles un destin beaucoup plus complexe, dû en grande partie à sa situation au cœur des conflits régionaux. La Valbonne est en effet voisine du bailliage savoyard de Bugey à l'est, de fiefs devant l'hommage au prince de Savoie au nord et à l'ouest (seigneurie de Thoire-Villars, Beaujolais d'Empire, Franc-Lyonnais) et du Viennois au sud, ce qui explique les convoitises dont elle fait l'objet au début du XIVe siècle, ainsi que les nombreux événements impliquant Montluel, en lien avec l'une ou l'autre de ces entités territoriales.

L'occupation humaine antérieure à l'époque médiévale

On ne dispose que d'informations très limitées sur l'occupation ancienne du territoire de Montluel. Les traces les plus anciennes – une possible cabane excavée et des séries de silos du Bronze final – ont été mises au jour au lieu-dit des Vernes, sur la commune de La Boisse, en 1980 puis en 2006.261 Un foyer, associé à de la céramique engobée de La Tène finale, a été retrouvé sur la commune de Niévroz.262 Le site des Vernes, déjà évoqué, est aussi celui d'un établissement agricole du Ier siècle av. J-C., auquel succède une villa au court du Haut-Empire.263 Plus à l'ouest, la villa des Cabrunes, associée à une nécropole, témoigne, entre autres découvertes, d'une importante densité du peuplement dans ce secteur de la vallée du Rhône autour des IIIe-IVe siècles.264 En revanche, on ne connaît rien sur l'occupation du confluent du Rhône et de la Sereine durant le Haut Moyen Age.

La construction de la seigneurie de Montluel (1080-1304)

Le nom de Montluel apparaît pour la première fois lors de la fondation, vers 1080, du prieuré bénédictin de La Boisse.265 Elle est l'œuvre du chevalier Humbert de Montluel, qui donne dans ce but à l'ordre de Saint-Ruf des terres situées à La Boisse, Saint-André-de-Corcy, Montluel et Girieu, donation confirmée en 1092 par l'archevêque de Lyon. Ces deux actes concernent une seule et même paroisse, celle de La Boisse, dont dépendent alors les chapelles de Girieu et de Montluel.266 Parmi les seigneurs de Montluel dont on connaît l'existence, on peut distinguer Pierre, qui adjoint à sa seigneurie celle de Montanay, au plus tard en 1173.267 En 1176, il réalise d'importants travaux au château de Montluel, dont c'est la première mention.268 Le territoire soumis à l'autorité des seigneurs de Montluel est difficile à cerner, mais il est relativement étendu, comprenant en 1236 le village de Vimiers, sur le mandement de Miribel, localité donnée à cette date à l'abbaye de l'Ile-Barbe.269 En outre, les seigneurs de Montluel assurent la garde du prieuré de La Boisse, qui leur est confirmée en 1259.270 Cependant, une partie des droits seigneuriaux (un droit d'usage sur les moulins de Montluel) appartient au moins depuis 1233 aux seigneurs de Beaujeu, qui tiennent également le mandement de Miribel depuis 1218.271 En 1276, les habitants de Montluel obtiennent une charte de franchises, qui leur accorde notamment le droit de tenir marché et de fortifier leur ville, moyennant leur participation financière et matérielle à la construction des remparts, qui sera achevée douze ans plus tard. En 1289, la chapelle castrale Saint-Barthélémy est érigée en église paroissiale.272

Le temps des troubles (1304-1355)

A la fin du XIIIe siècle, les seigneurs de Montluel sont les vassaux du Dauphin pour leur fief de Coligny-le-Vieux (1280) et du comte de Savoie pour celui de Châtillon-en-Chautagne (1293). 273 Selon le vicariat impérial accordé à Pierre de Savoie par Henri de Cornouailles en 1263, le seigneur de Montluel doit cependant hommage-lige au comte de Savoie pour l'ensemble de ses fiefs. La proximité des terres du seigneur de Beaujeu, autre allié de la Savoie, ne peut que renforcer l'intérêt des seigneurs de Montluel à maintenir leur alliance avec la Savoie. Cependant, la guerre qui oppose les deux principautés à partir de 1282 change la donne. En effet, aux portes de la Dombes et du Bugey, principaux secteurs d'affrontement, Montluel présente un intérêt réel pour tous les belligérants, notamment depuis qu'un traité signé en 1300 entre le comte de Savoie et les Génois impose à ces derniers d'emprunter la route de Bresse et du Bugey pour se rendre aux foires de Champagne, au lieu de passer par le Viennois et Lyon.274

En 1304, le Dauphin et le comte de Savoie revendiquent-ils tous deux la suzeraineté sur Montluel et Villars. On ne connaît pas avec certitude les résultats des négociations entreprises à cette occasion, mais la seigneurie de Montluel bascule peu à peu dans la mouvance dauphinoise. Ainsi, en 1323, un nouveau litige oppose le Dauphin et le sire de Beaujeu à propos du contrôle de la Valbonne. Edouard de Savoie, dans son arbitrage, reconnaît à Guigues VIII la suzeraineté sur la ville de Montluel, sur le port de la Bâtie et sur l'essentiel de la seigneurie, à l'exception de quelques droits et enclaves tenus en coseigneurie par Guichard II de Beaujeu.275 Cette situation est largement simplifiée par les événements de l'année 1326. Tout d'abord, Jean de Montluel vend au Dauphin la seigneurie de ses ancêtres, au plus tard au cours du mois de février.276 Montluel intègre donc le domaine delphinal, hormis les droits codétenus par Guichard II. Cependant, ce dernier est fait prisonnier le 7 août à la bataille de Varey. En échange de sa libération, qui ne survient finalement qu'en novembre 1327, il doit renoncer, entre autres, à toute revendication sur la Valbonne.277

L'année suivante, le Dauphin promulgue une nouvelle chartre de franchises aux habitants de Montluel, dans laquelle il s'engage à restaurer à ses frais les remparts de la ville. En 1329, il exempte les Montluistes de tout droit féodal dans l'ensemble du Dauphiné.278 Cependant, contrairement à l'accord de 1327, Guichard II n'a toujours pas cédé Miribel au Dauphin. Au cours de l'année 1330, celui-ci rassemble des troupes à Montluel au moins à deux reprises : pour assiéger justement – en vain – le château de Miribel, puis pour attaquer le chantier de la bâtie que le comte de Savoie fait construire à Jonage, sur la rive opposée du Rhône.279 Ayant préservé ses terres grâce à l'intervention de troupes savoyardes, le seigneur de Beaujeu doit cependant attendre 1333 pour contre-attaquer, en ravageant les environs de Montluel.280 Cette même année débute une série de rencontres, dont une à Montluel, qui aboutissent à la signature du traité de Chapareillan, par lequel le comte de Savoie renonce notamment à tout droit sur la Valbonne.281 Cependant, les seigneurs de Beaujeu et de Thoire-Villars maintiennent des revendications sur Miribel et Montluel, qui sont réglées en 1339 à l'occasion de négociations locales.282 La paix s'installe peu à peu, troublée par une chevauchée savoyarde en 1349 (l'église Saint-Barthélémy est dévastée).283 Il est probable que la peste commence alors à toucher la région, même si aucune mention n'en a été trouvée dans la documentation étudiée. En 1355, en application du traité de Paris, Miribel, Montluel et l'ensemble de la Valbonne passent sous contrôle du comté de Savoie.

Montluel savoyarde (1355-1601)

Montluel devient le chef-lieu d'une châtellenie et du nouveau bailliage savoyard de Valbonne. Amédée VI promulgue une nouvelle charte de franchises, complétée par deux lettres de 1357 et 1360 : la première confie aux bourgeois pour quinze ans l'entretien des fortifications de Montluel, pour lequel ils peuvent lever le vingtain ; la seconde les autorise à construire des fours en échange d'un cens annuel de 30 s tournois.284 Il fait également procéder à de nombreux travaux au château. Malgré la fin du conflit delphino-savoyard, Montluel reste touchée par les fameux "malheurs du temps" : à partir de 1362, la région lyonnaise est frappée à la fois par une nouvelle résurgence de la peste et par les dévastations causées par les Tard-Venus de Séguin de Badefol, compagnie de mercenaires installée au château d'Anse285, victorieuse de l'armée royale devant le château de Brignais286. Le bailli de Montluel doit faire appel en 1363-1364 à une autre compagnie de mercenaires pour les éloigner de la Valbonne.287

La paix revenue, le comte de Savoie peut s'intéresser aux questions économiques. Il achète ainsi à un notable local le péage de Montluel, qu'il afferme à la communauté juive, contre 1 florin annuel par juif et par année de résidence.288 Ce choix est à la fois économique et politique. On peut, en effet, supposer que la communauté juive est suffisamment importante pour assurer au comte un revenu important et régulier. En outre, à une période où les juifs sont régulièrement accusés d'escroquer leurs clients ou d'être à l'origine de l'épidémie de peste, il s'agit d'une marque de confiance importante de la part du pouvoir comtal. De nouveaux troubles sont à signaler à la fin des années 1370 : des "Bretons" (sans doute des mercenaires sans emploi) sont signalés à Miribel en 1375289, tandis que des exactions commises en Valbonne, en 1378, par des hommes du seigneur de Beaujeu, et le refus de ce dernier de rendre hommage à son suzerain provoquent une chevauchée savoyarde dans le Beaujolais d'Empire.290 A cette période, la châtellenie de Montluel passe aux mains de la famille de Crangeat, dont l'un des représentants est déjà bailli en 1356-1357.291 En effet, Jean de Crangeat, puis ses héritiers Antoine et Pierre, occupent l'office baillival de 1373 à 1417.292

Par la suite, Montluel connaît une certaine tranquillité, à peine troublée par le passage de l'empereur Sigismond en 1416. Par sa proximité avec Lyon, Montluel devient l'un des lieux privilégiés de la diplomatie savoyarde. Amédée VIII y organise ainsi deux réunions pour tenter de rapprocher Armagnacs et Bourguignons (1424 et 1425)293, tandis que deux conférences s'y déroulent en 1467 pour régler les différends entre la Savoie, la France et Genève à propos de la concurrence entre les foires de cette dernière et celles de Lyon.294 Aucun événement majeur n'est à signaler ensuite avant la première annexion de la Valbonne par la France entre 1536 et 1559. On peut noter que François Ier ne modifie pas l'organisation territoriale des territoires conquis, même s'il remplace le bailli savoyard par Guillaume Rubat, puis son parent Balthazard.295 En août 1600, l'armée royale pénètre à nouveau en Valbonne, détruisant en partie les châteaux de Miribel et de Montluel. Le traité de Lyon (1601) sanctionnera l'acquisition définitive par la France des territoires savoyards les plus occidentaux : Bresse, Bugey, pays de Gex,  Valbonne et Valromey.

Notes
261.

www.archeodunum.ch, janvier 2008.

262.

BRAVARD (J.-P.), Le Rhône. Du Léman à Lyon, p. 59. PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 7 évoque une possible fosse-dépôtoir de l'Age du Bronze située sur la commune de Montluel, sans plus de précisions.

263.

BUISSON (A.), Carte archéologique de la Gaule. L'Ain, p. 112 et www.archeodunum.ch, janvier 2008.

264.

Ibid., p. 112-113.

265.

PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 8.

266.

GUIGUE (M.-C.), Cartulaire lyonnais, t. I, n°11.

267.

GUICHENON (S.), Histoire de Bresse et du Bugey, III, p. 273 et suivantes.

268.

PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 9.

269.

GACON (M.), Histoire de Bresse et du Bugey, p. 111-115.

270.

GUICHENON (S.), op. cit., II, p. 25.

271.

DECHAVANNE (S.) et FAVIER (F.), Carte archéologique des cantons de Miribel et Montluel, t. 1, p. 118.

272.

PERCEVEAUX (P.), op. cit., p. 31-45.

273.

GUICHENON (S.), op. cit., p. 273 et suivantes.

274.

KERSUZAN (A.), Défendre la Bresse et le Bugey, p. 46.

275.

GACON (M.), Histoire de Bresse et du Bugey, p. 141-185.

276.

GUICHENON (S.), Histoire de Bresse et du Bugey, p. 273 et suivantes.

277.

Ibid., p. 39 et 61. Selon KERSUZAN (A.), op. cit., p. 67, cet accord concerne aussi les seigneuries de Loye, Meximieu, Montellier, Corzieu et Bourg-Saint-Christophe.

278.

PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 46-77.

279.

KERSUZAN (A.), Défendre la Bresse et le Bugey, p. 72.

280.

Ibid., p. 76.

281.

Ibid., p. 78-79.

282.

Ibid., p. 83.

283.

PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 46-77.

284.

GUIGUE (M.-C.) et VALENTIN-SMITH (M.), Bibliotheca Dumbensis, t.2, Trévoux, 1854-1885, doc. CLXXXII, p. 251 et DECHAVANNE (S.) et FAVIER (F.), Carte archéologique des cantons de Miribel et de Montluel, p. 118.

285.

Château de l'archevêque de Lyon, au sud de Villefranche (Rhône), à la limite des terres du seigneur de Beaujeu.

286.

Autre château du Lyonnais et de l'actuel département du Rhône, au sud de Lyon.

287.

ADCO B8360, Miribel (1364-1365).

288.

PERCEVEAUX (P.), Histoire de Montluel, p. 46-77.

289.

ADCO B8371, Miribel (1375).

290.

ADCO B8373, Miribel (1377-1378).

291.

ADCO B8547, Montluel (1356-1357) : il s'agit de Pierre de Crangiat.

292.

ADCO B8557 à 8584, second compte (1373-1384).

293.

LEGUAY (J.-P.) (dir.), Histoire de la Savoie, t. 2, p. 302.

294.

Ibid., p. 426-427.

295.

ADCO B8651 à 8653, Montluel (1540 à 1554).