3.3. Le château de Sallanches et la maison de Gex

Contrairement aux exemples précédemment étudiés, le château de Sallanches est un ensemble fortifié complètement distinct de la ville elle-même, dont il est distant de plusieurs kilomètres. Il présente l'avantage d'avoir déjà été en partie étudié par Louis Blondel, dont les hypothèses, observations et relevés ont enrichi la présente analyse.

Un château hors les murs

La localisation du château de Sallanches nous est donnée par l'illustration dessinée en 1674 par Borgonio pour le Theatrum Sabaudiae (doc. 100). En effet, le seul château désigné comme tel est celui dit de Bourbonges, associé à l'église Notre-Dame du Château, l'ensemble dominant la vallée de la Sallanche, au sud-ouest de la ville.

Doc. 100. Sallanches d'après le Theatrum Sabaudiae (1674)
Doc. 100. Sallanches d'après le Theatrum Sabaudiae (1674) D'après l'édition en couleur du Theatrum Sabaudiae publiée par Itinera Alpina.

Le site est parfaitement identifiable aujourd'hui encore, par la permanence du toponyme du Château. Il était ignoré par la plupart des prédécesseurs de Louis Blondel, en raison de son appartenance à la commune de Cordon, malgré le fait qu'il soit plus proche de Sallanches que de son chef-lieu. Or, on ne peut que constater que l'épithète accolée au nom de l'église voisine, attestée en 1405614, est sans équivoque. La présence d'une église paroissiale – statut rappelé dans la légende du dessin de Borgonio – immédiatement à proximité du château est un indice indéniable de son ancienneté et de son importance. Les historiens locaux ont pourtant longtemps identifié le château évoqué dans les sources médiévales aux différentes maisons-fortes situées à la périphérie du cœur historique de Sallanches, elles aussi représentées dans le Theatrum Sabaudiae. Cette confusion est due, pour une grande partie, à l'emploi actuel du terme de "château" pour qualifier pratiquement tous les ensembles fortifiés du Faucigny.

Doc. 101. Vue aérienne du site du château de Sallanches © IGN
Doc. 101. Vue aérienne du site du château de Sallanches © IGN

Le site ne conserve aujourd'hui plus grand-chose de sa morphologie médiévale et moderne (doc. 101). Une ferme a été bâtie au XIXe siècle à l'emplacement de l'église Notre-Dame et de son cimetière, tandis que la route, qui longeait encore l'église en 1730, a été remplacée par un virage en lacet. Du château lui-même subsistent un grand logis approximativement carré et un petit bâtiment, lequel surplombe le ravin de la Sallanches. Louis Blondel a pu en proposer un plan par recoupement entre la mappe sarde de 1730 et ses propres observations (doc. 102).

Doc. 102. Le château de Sallanches en 1730 d'après Louis Blondel
Doc. 102. Le château de Sallanches en 1730 d'après Louis Blondel BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 291.

Si l'emplacement du château est bien identifié, il reste à déterminer sa fonction au sein de la châtellenie. Pour cela, il faut s'intéresser au contexte de l'annexion de 1355. Humbert II décède en effet le 22 mai 1355. En vertu de l'acte cité plus haut, Jean de Chalon aurait donc dû être propriétaire du château le 9 juillet de cette même année, date de l'entrée des représentants d'Amédée VI à Sallanches. La prévôté de Paris délivre son vidimusle 6 septembre suivant, mais seuls deux actes lui sont parvenus : l'ordre de l'ancien Dauphin et la réponse du châtelain de Châtillon.616 On ne sait pas si son homologue sallanchard a fait de même. Or, dans les années qui suivent l'annexion, Viffrey Forrier effectue de nombreux travaux dans la maison de Gex, qui a bien le statut de centre seigneurial.617 En outre, selon un acte de 1533, l'église Notre-Dame du Château se trouve au "lieu de Gex".618 Une mention de 1367 confirme cette identité entre maison de Gex et château :

‘(…) in reparatione domus seu castri domini uocati de Gayo siti ibidem (…)619

Enfin, le compte de 1394-1396 confirme que la maison de Gex est bien située au-dessus de Sallanches, description qui ne peut correspondre, comme on l'a vu, qu'à l'édifice qualifié de château de Bourbonges au XVIIe siècle.620 Il paraît donc vraisemblable que la cession du château à Jean de Chalon ait été purement et simplement annulée. Ces informations contredisent l'hypothèse d'un transfert du centre du mandement à Sallanches même dès 1355, avancée par L. Blondel.621

Le château passe cependant, à un moment donné, entre les mains de la famille de Menthon. L. Blondel signale que celle-ci possède déjà des biens dans l'enceinte du château en 1308. Les testaments de François de Menthon (1415), de son fils Pierre (1451) et de son petit-fils Nicod (1471) nous apprennent que N.-D. du Château est la sépulture dynastique de cette famille.622 Or, en 1410, la maison de Gex est qualifiée de domus fortis dans une composition.623 On a vu qu'en Savoie, l'emploi de l'épithète fortis était habituellement le signe d'une inféodation. Cependant, des travaux y sont réalisés au nom de Bonne de Berry jusqu'en 1423-1424, ce qui signifie que le comte de Savoie tient toujours l'édifice en question. En revanche, elle disparaît pratiquement de la documentation après 1424, ce qui confirme son inféodation à Pierre de Menthon le 6 mars 1426.624 Il faut toutefois attendre 1445 pour trouver une mention de ce même Pierre, auquel le duc cède cette année-là la quasi-totalité des recettes en blés de la châtellenie.625 A chaque reddition de compte, le lieutenant s'engage pourtant toujours à maintenir en état le castrum de Sallanches, ce qui indique que les Menthon ne tiennent pas encore la totalité du château.626 D'ailleurs, en 1449-1450, le compte mentionne des travaux au château et dans la halle, sans en préciser la nature.627 L'acquisition définitive de la totalité du château est sans doute réalisée par Claude de Menthon, qui prête hommage pour ce château au duc de Savoie en 1467.628

Les enceintes

L'organisation des enceintes de l'ensemble castral est assez similaire à celle du castrum de Moras : un premier mur enserre la totalité du site, un second isolant la maison de Gex, qui en occupe la partie sommitale, tandis qu'une seule voie semble traverser l'ensemble. Le tracé des braies ne s'appuie que sur les indications de la mappe sarde, car le déplacement de l'église et la modification du tracé de la route ont bouleversé la topographie du site. L'enquête de 1339 signale cite deux portes permettant de la traverser, dont celle de la Motte, située du côté de Sallanches.629 L. Blondel considère qu'il devait s'agir d'une porte fortifiée.630 On ne sait rien de ses dimensions ni des matériaux mis en œuvre pour sa construction, mais L. Blondel affirme avoir pu observer "une partie des murs d'enceinte vers l'ancienne porte de la Motte".631 A moins d'une erreur d'interprétation de l'auteur, une partie au moins du rempart était donc maçonnée.

On passe de la basse-cour au donjon par la porte de Sallanches, entièrement reconstruite en 1366-1367.632 En 1396-1397, les émeutiers y mettent le feu dans une vaine tentative de pénétrer dans la domus.633 Située dans le mur nord de l'enceinte du donjon, la grande porte en est le principal accès, mais pas le seul. En effet, le compte de 1369-1370 évoque aussi une poterne, sans préciser son emplacement.634 On peut supposer que cette dernière est l'accès actuel du site, déjà utilisé en 1730, à l'angle sud-est du donjon.

L'enceinte du donjon, au moins partiellement en bois, est renforcée en 1367-1368. 635 La nouvelle palissade dressée au nord mesure 20 toises de long sur 12 pieds de haut. Grâce à un arrêté datant de la mise en place du système métrique dans le département du Léman, on sait que le pied local mesure environ 35 cm.636 Par conséquent, en retenant l'équivalence de six pieds par toise, la palissade mesure 42 m de long sur 4,20 m de hauteur. Le mur situé de l'autre côté du château est renforcé la même année sur une longueur de 10 toises et une hauteur de 8 pieds, soit 21 m par 2,80 m. La différence de hauteur s'explique par la forte pente : la palissade doit ainsi atteindre la même hauteur de part et d'autre du donjon. Le rempart nord est qualifié en 1370 de palanchia.637 Ce terme, ordinairement masculin, désigne exclusivement des aménagements en bois, souvent la barre de fermeture d'une porte, comme lors de l'incendie de 1397. Ici, il s'agit plutôt d'une palissade faite de rondins plantés verticalement.638

Une seule tour de l'enceinte, non mentionnée dans la documentation médiévale, est en partie parvenue jusqu'à nous (doc. 103). Elle occupe l'ouest du donjon, défendant ainsi l'angle sud-ouest du château du côté de la Sallanche. Il s'agit d'un bâtiment trapézoïdal dont les côtés mesuraient 4 et 6 m de longueur selon Louis Blondel et dont ne subsiste qu'un pan de mur, qui ne donne aucune indication fiable quant à sa hauteur initiale.

Doc. 103. Vestiges de la tour de l'enceinte du château de Sallanches
Doc. 103. Vestiges de la tour de l'enceinte du château de Sallanches

La position excentrée de cette tour, au-dessus du ravin de la Sallanche, fait douter de son intérêt défensif réel. Peut-être s'agissait-il d'une tour de guet.

La maison de Gex

La mention la plus ancienne du donjon du château date de 1286 :

‘Item computat quod emit et tradidit ad coperiendum domum castri (…)639

Comme on l'a vu auparavant, l'expression domus castri désigne en effet souvent la partie résidentielle du château, celle où le châtelain loge et exerce son autorité. Dans les comptes postérieurs à 1355, il n'est plus question que de la domus de Gayo, seule concernée par les différents travaux réalisés par les châtelains savoyards, avec l'enceinte évoquée précédemment. Le bâtiment principal, en 1730 comme aujourd'hui, est un vaste logis rectangulaire, parfois mentionné en tant que tour.640 Les façades mesurent 19,50 m au sud-est et au nord-ouest, 21 m au sud-ouest et au nord-est, avec des murs extérieurs de 1,80 à 2 m d'épaisseur (doc. 104).641

Doc. 104. Façade sud-est du logis du château de Sallanches
Doc. 104. Façade sud-est du logis du château de Sallanches

Les multiples remaniements qu'il a connu au cours des siècles ont profondément modifié son allure. Sur la façade sud-est, seul l'encadrement de quatre des cinq ouvertures et quelques blocs pris dans la masse, sans doute en remploi, témoignent de l'ancienneté du bâtiment. Il s'agit de pierre de taille schisteuse, de moyen appareil, alors que le reste de la façade alterne tout-venant et gros blocs de grès, ces derniers servant aux chaînages d'angles. L'emploi de grès (grea) dans les réparations du bâtiment et de la cuisine est attesté en 1370.642 Un étage en bois, typique des chalets savoyards, surmonte l'ensemble. Le logis du XIVe siècle est déjà surmonté d'une toiture en bois, couverte de bardeaux ou essandoles (scindula).643 Ces bardeaux et les gouttières, présents dans tous les édifices du donjon, sont remplacés ou rénovés pratiquement chaque année. La charpente doit être entièrement refaite en 1396-1397. Le texte nous en donne une description assez précise :

‘(…) unam fileriam, de longitudine triginta pedum, et unum liour, subtus los tirens, eiusdem longitudinis, et duas columpnas, qualibet longitudinis uiginti sex pedum ; item duas pecias uocatas estrelles, qualibet de longitudinis duodecim pedum, una cum quinque peciis maherie pro exparris dicti edifficii et ipsius reparatione, qualibet longitudinis quatuordecim pedum ; ac etiam aliam maheriam in dicta reparatione neccessariam, quas maherias dictus uicecastellanus ministrauit dictis carpentatoribus sumptibus domine (…)644

La profondeur de l'édifice est ainsi donnée par celle de la panne (fileria), ou poutre maîtresse, soit environ 10,50 m. La hauteur des poteaux porteurs (columpne) est de 9,10 m, ce qui indique que le bâtiment comprend probablement trois niveaux, pour une hauteur équivalente à ce qu'elle est aujourd'hui. L. Blondel évoque une hauteur maximale de 16 m, sans indiquer d'où il tient cette information.645 En revanche, il indique que le bâtiment est divisé en deux parties égales par un mur de refend, ce qui signifie que la réfection de la charpente peut n'avoir concerné qu'une moitié du bâtiment. Seule une étude de bâti approfondie permettrait de confronter précisément ces différentes informations. La toiture, vraisemblablement à deux pans d'après la description précédente, déborde des deux côtés, formant ainsi autant d'avant-toits.646 Sans doute l'espace ainsi protégé des intempéries est-il notamment utilisé pour le stockage du bois de chauffage. Il permet aussi de protéger l'escalier par lequel on entre dans le bâtiment, évoqué en 1396.647L'emplacement de cet escalier n'ayant pas pu être identifié, on ne peut que proposer un système similaire à l'aménagement actuel, à savoir un escalier extérieur donnant sur la galerie.

L'angle nord-est du bâtiment est enfin flanqué d'une tour rectangulaire de 8 m sur 5 m, mentionnée en 1369-1370 (doc. 105).648 Louis Blondel attribue bien son architecture aux XIVe-XVe siècle.649

Doc. 105. Façade nord-est du logis et tour d'angle du château de Sallanches
Doc. 105. Façade nord-est du logis et tour d'angle du château de Sallanches

Le compte de 1369-1370 nous indique la présence de quatre ouvertures, dites parua hostia suturni, hostia camere deffenserie, hostium camere supra pelulum et hostium parue posterle.650 On apprend ainsi l'existence, dans la grande tour, d'un cellier (suturnum) et d'une camera comprenant deux ouvertures. Il pourrait s'agir d'un volume en bois faisant saillie d'un côté du bâtiment : le terme deffenseria évoque en effet celui de defensa, synonyme de chaffal en Briançonnais651 et désigne de toute évidence un élément dont la vocation est en partie défensive. En outre, on peut deviner sur l'illustration du Theatrum Sabaudiae des chaffaux ou échauguettes situés de part et d'autre du bâtiment. Le mot pelulus désigne pour sa part un battant ou un loquet652 et indique donc l'existence d'une porte extérieure donnant directement dans la camera, surmontée d'une fenêtre. Le sol de cette pièce est maçonné.653

L'écurie ou étable (selleria), citée en 1356 en même temps que les latrines654, abrite aussi une prison, construite en 1357 ou 1358 dans un de ses angles, pour un coût de 110 sg (environ 9 s 7 dt), elle aussi en bois.655 Elle accueille notamment trois prisonniers pendant quatre semaines en 1360-1361.656 Entre 1416 et 1418, elle est pratiquement entièrement reconstruite, de manière à occuper la moitié de l'écurie, en associant des éléments boisés et maçonnés. La description de ces travaux est de loin la plus précise lue dans les comptes de la châtellenie et elle permet de décortiquer le mode opératoire des ouvriers. Ceux-ci dressent d'abord, au milieu de la pièce, un mur de 43 cm de large, en pierre et mortier de chaux, jusqu'aux poutres. Du milieu dudit mur à celui du mur oriental (du côté de la Sallanche), sur la même hauteur, ils construisent un second mur de 33 cm d'épaisseur, qui partage l'espace carcéral en deux espaces identiques, avant de l'enduire du côté intérieur et d'obstruer les anciennes fenêtres. Ils posent enfin dans le premier mur une porte carrée extrêmement étroite (76 cm de côté), en pierre, avec un chambranle de chêne doublé de sapin et un mécanisme (gond et serrure) acheté ailleurs.657 Cette prison est toujours utilisée par le châtelain après l'inféodation de la maison de Gex. En effet, en 1438-1439, un condamné est gardé pendant quelques jours dans les "prisons vendues".658 En 1443-1444, un autre justiciable est retenu au château, le texte précisant que ce dernier n'est pas suffisamment sûr pour qu'on puisse y laisser des prisonniers sans surveillance.659 Cette crainte est justifiée en 1448-1449, quand un autre condamné, lui aussi incarcéré au château de Gex, s'en échappe "sans autorisation".660 On peut supposer que ce bâtiment est le même que l'écurie reportée sur la mappe sarde, située au sud du logis.

On sait que les latrines déjà citées sont en bois.661 Située du côté de la poterne, elle est complètement ruinée en 1394-1396.662 Le terme prelentum employé en 1355-1356 pourrait être une déformation de praelitum – crépi – et donc indiquer que ses parois sont couvertes d'un enduit pour améliorer l'isolation. La cuisine, évoquée pour la première fois en 1369-1370, est située du côté de la grande tour. Elle comprend logiquement une cheminée, réparée lors des grands travaux de cette année-là.663 Ladite cheminée est rehaussée en 1394-1396 pour limiter les risques d'incendie.664 Pour des raisons d'ordre pratique, le cellier est certainement situé sous la cuisine, des travaux étant régulièrement réalisés dans les deux pièces. Il possède apparemment deux accès distincts : une trappe, sans doute aménagée dans le plancher de la cuisine, et une porte vers l'extérieur, peut-être celle qui est encore visible du côté nord-ouest (doc. 106).665

Doc. 106. Façade nord-ouest du logis du château de Sallanches
Doc. 106. Façade nord-ouest du logis du château de Sallanches

On connaît aussi l'existence d'une camera coquine, qui semble devoir être interprétée comme une chambre située à côté ou au-dessus de la cuisine.666 Le compte de 1358-1359 mentionne aussi un grenier667, probablement celui qui est qualifié en 1361 de grenier de la châtellenie.668 Enfin, on sait que les habitants du donjon puisent l'eau à une source s'écoulant vers la Sallanche, ruisseau canalisé comme l'indiquent des travaux d'entretien réalisés entre 1406 et 1410.669

La basse-cour

On ne sait pratiquement rien de l'organisation interne de la basse-cour du château, ni des bâtiments qui s'y trouvent avant 1730. L'édifice principal en est l'église Notre-Dame, rarement mentionnée, mais dont on peut trouver quelques traces. Outre les testaments de la famille de Menthon déjà signalés, on peut par exemple citer une amende infligée en 1417 à deux habitants de Cordon et un de Passy, pour avoir porté leurs épées au château le jour de l'Annonciation.670 Comme l'église du château est placée sous le patronage de la Vierge, nul doute qu'ils venaient, ce jour-là, assister à l'office. Cette église justifie à elle seule l'existence d'un pôle d'habitat, même réduit, dont l'importance démographique n'est pas mesurable. Le pôle religieux, situé une cinquantaine de mètres à l'est du donjon, comprend en tout cas l'église, son cimetière et probablement la cure tenue par la collégiale Saint-Jacques, dont l'église Notre-Dame est une filiale.

Synthèse : du château à la maison-forte

Les informations rassemblées sur le site castral de Sallanches portent presque uniquement sur la maison de Gex à l'époque savoyarde et donnent donc à la fois une vision tronquée du site et une image bien plus précise de l'organisation interne du donjon que dans les exemples précédents. L'un dans l'autre, l'impression globale qui se dégage de cette période est celle d'une spécialisation progressive des espaces au sein du château comme en celui du donjon. A l'échelle du château (doc. 107), les travaux de réfection et de renforcement de l'enceinte interne entre 1367 et 1370 entraînent une séparation de plus en plus nette des pôles seigneurial (la maison de Gex) et religieux (l'église Notre-Dame).

Doc. 107. Plan du château de Sallanches (1263-1424)
Doc. 107. Plan du château de Sallanches (1263-1424)

La basse-cour reste un espace public, nécessairement ouvert à tous en raison de son statut de centre paroissial et de lieu de passage incontournable entre Sallanches et Cordon. En revanche, la maison de Gex, qui n'est pas un lieu de passage mais une destination privilégiée, devient une sorte d'espace semi-privé. L'emploi de l'expression domus fortis en 1410, s'il ne trahit pas une inféodation précoce du bâtiment, manifeste ainsi la perception de la maison de Gex par les contemporains comme un ensemble fortifié distinct au sein du château.

Doc. 108. Plan de la maison de Gex et du rez-de-chaussée du logis (1263-1424)
Doc. 108. Plan de la maison de Gex et du rez-de-chaussée du logis (1263-1424)

La maison de Gex (doc. 108) abrite deux bâtiments principaux : le logis et l'écurie/prison. La construction de cette dernière en 1357-1358, puis sa réfection en 1416-1418, font de cet ensemble un pôle avant tout judiciaire au sein de la châtellenie, rôle par ailleurs conservé après l'inféodation de la maison à la famille de Menthon. Comme à Moras, la prison est un espace spécialisé au sein du château, distinct du bâtiment principal ; à la différence des comptes de cette châtellenie delphinale, ceux de Sallanches mentionnent régulièrement cette fonction carcérale, ce qui permet aussi d'en connaître les limites, dont témoigne l'évasion de 1449.

Dans le logis lui-même, il est possible de distinguer deux parties distinctes. La première, au sud-est, abrite la camera, à laquelle on accède depuis l'extérieur, donc probablement située au premier étage, soit au même niveau que les latrines. On ne connaît pas la fonction de l'espace situé au-dessous, mais il pourrait s'agir de la grande salle du château. La seconde, au nord-ouest, au pied de la tour, est réservée à des fonctions plutôt domestiques : on y trouve le cellier et la cuisine, celle-ci étant peut-être surmontée d'une autre chambre. On peut proposer une hypothèse de restitution de l'organisation interne du logis (doc. 109) en s'appuyant sur les dimensions connues pour l'époque médiévale et sur les élévations observées, notamment sur les ouvertures anciennes repérables dans le bâti (portes du cellier, de la cuisine, de la camera et de l'hypothétique grande salle). L'hypothèse d'une galerie entourant le premier étage s'appuie sur l'évocation de volumes en bois, notamment les latrines, ainsi que sur l'allure de l'édifice dans le Theatrum Sabaudiae, qui indique l'existence d'échauguettes de part et d'autre du bâtiment. De même, la tour ne s'élève actuellement que jusqu'au premier étage, alors qu'elle domine l'édifice sur la gravure de 1674.

L'évolution de l'organisation interne du site témoigne de celle des besoins de l'administration savoyarde. Les aménagements qui y sont réalisés jusqu'en 1370 font plus particulièrement de la maison de Gex le centre administratif et judiciaire de la châtellenie, tout en l'isolant du reste du site. Par la suite, les travaux les plus importants sont effectués d'une part sur la prison, d'autre par sur le logis, pour améliorer son confort (réfection des latrines, du cellier, des toitures et des galeries, etc.). En comparaison, l'aspect défensif du site n'est pratiquement plus évoqué dans les sources comptables après l'émeute de 1396-1397, ce qui confirme son évolution vers une fonction plus résidentielle. Son passage entre les mains de la famille de Menthon en 1426 n'est finalement que la traduction juridique de ce changement progressif de statut, signe d'une évolution profonde du mode de gouvernance local depuis 1355.

Doc. 109. Hypothèse de restitution de l'aménagement intérieur du logis de la maison de Gex (1263-1424)
Doc. 109. Hypothèse de restitution de l'aménagement intérieur du logis de la maison de Gex (1263-1424)
Notes
613.

D'après l'édition en couleur du Theatrum Sabaudiae publiée par Itinera Alpina.

614.

PIERRE (J.), Histoire de Sallanches, p. 262.

615.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 291.

616.

CAILET (L.), "Cession de Châtillon et de Sallanches à Jean de Châlon…". Humbert II rédige en effet cet acte à Paris en 1352, ce qui explique sa transmission à la prévôté de la capitale française.

617.

ADS SA14182, Sallanches (1356-1357) : (…) domus domini de Salanchia, qui fuit domini de Gay, dicta Muregachi (…).

618.

BLONDEL (L.), op. cit., p. 293 : usque ad locum Gay, seu ecclesiam domine de Castro.

619.

ADS SA14191, Sallanches (1366-1367).

620.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396) : (…) domus domine uocate de Gayo, site super Salanchiam (…).

621.

Celui-ci affirme en effet, sans en apporter la preuve, que le château est inféodé par le comte de Savoie et que le centre du mandement se déplace en 1355 à Sallanches même, dans la maison de Montrosset.

622.

COUTIN (F.), Histoire de la collégiale de Sallanches, p. 137.

623.

ADS SA14226, Sallanches (1406-1410) : Recepit ab Ansermo Botellierii, quia citatus ante domum fortem domini uocatam de Gayo et non comparuit (…).

624.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 293.

625.

ADS SA14258, Sallanches (1444-1445) : (…) quos et que librauit et expediuit domino Petro de Menthone, militiu et consiliaro domini, cui dominus omnia blada dicte castellanie anni predicti MIIICXLIIII eidem domino Petro uendidit (…).

626.

ADS SA14241, Sallanches (1427-1428) : (…) quoquo modo castrum que et alia edifficia que dicta domina nostra habet ibidem ad sostam maintenere (…).

627.

ADS SA14263, Sallanches (1449-1450) : Petit sibi intrari et allocati quos dictus Iohannes de Auberes, locumtenens, traxit et librauit pro operibus et reparationibus castri et ale domini dicti loci Salanchie (…).

628.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 294.

629.

Ibid., p. 290 : (…) a parte castri a muro et a porte de mota uersus Salanchiam (…).

630.

Ibid., p. 292 : l'auteur évoque un possible "bastion fortifié défendant la porte".

631.

Ibid., p. 290.

632.

ADS SA14191, Sallanches (1366-1367) : (…) in reparatione ostiorum, tectorum, columpnarum et marodi porte Sallanchie dicte domus (…).

633.

ADS SA14219, Sallanches (1396-1397) : Recepit ab Aymone de Ladreye, qui ipso conseruato et arrestato infra domum domine uocata de Gaya, quadam palangiam seu barram cum qua firmari consueuant ianua introitus dicte domus in igne posuit et ipsam comburi permisit, 8 solidos genebensis.

634.

ADS SA14219, Sallanches (1396-1397): (…) in hostio parue posterle (…).

635.

ADS SA14192, Sallanches (1367-1368).

636.

Arrêté de la préfecture du Léman, du 12 messidor an X. La valeur de 0,35 cm est la moyenne des mesures du pied de roi et du pied de chambre.

637.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) et in magna palanchia fermata per magnam portam palicii dicte domus seu turris (…).

638.

NICOLAS (N.), La guerre et les fortifications du Haut-Dauphiné, p. 323.

639.

ADS SA13783, Flumet et Sallanches (1283-1286).

640.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) magnam portam palicii dicte domus seu turris (…).

641.

Ces mesures correspondent à peu près à celles relevées par L. Blondel.

642.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370).

643.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356).

644.

ADS SA14219, Sallanches (1396-1397). La raison de ces travaux est donnée par le passage suivant : (…) qui trabes cum filateria que sustinent los tyrans tecti dicte domus, super quibus edifficium dicti tecti est edifficatum, erant fracte et rupte propter antiquitatem (…).

645.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 290.

646.

ADS SA14225, Sallanches (1405-1406) : (…) recoperiendi ad nouum scindulum antetecta domus castri (…).

647.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396) : (…) coperture tecti graduum introitus dicte domus (…).

648.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) quoquine site ante dictam turrim (…).

649.

BLONDEL (L.), op. cit., p. 290.

650.

ADS SA14225, Sallanches (1405-1406).

651.

NICOLAS (N.), La guerre et les fortifications du Haut-Dauphiné, p. 313.

652.

ANTONINI (A.), Dictionnaire françois, latin et italien, p. 78.

653.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370): (…) fenestre camere supra pelulum et plastri dicte camere (…).

654.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356) : (…) hostia sellerie (…) et faciendum de nouo prelentum latrine (…).

655.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356): parmi les divers achats, on peut noter celui d'entraves (uno compede facto infra prison), de serrures et de pièces de chêne pour la structure (macrie quercus). Le compte précise que ces travaux ont eu lieu l'année précédente.

656.

ADS SA18185, 1er compte, Sallanches (1360-1361).

657.

ADS SA14230, Sallanches (1416-1417) : (…) faciendi et construendi quendam carcerem in domo predicta de Gayo, sita supra dictum locum Salanchie, uidelicet faciendi unum murum bonum et sufficientem de transuerso stabuli ipsius domus domine de Gayo, cum calce et arena, ab uno muro uidelicet usque ad alium murum, in medio seu per medium dicte stabule, usque ad traleysonem altum, qui murus hebebat et habito debebat spacium duo peda ad manum hominis de latitudine ; item faciendi quondam alium murum cum calce et arena a dicto muro nouo usque ad murum antiquum a parte aque Salanchie existensi et procedendi, uidelicet in medio dicti carceris, habentis de latitudine spacium unius pedis cum dimidio ad manus hominis, usque ad dictam traleysonem altam ; itaque dicti operarii trucantur et debeant dictum murum inbochiare a parte interiori bene et condecenter, fenestras que in dicto carcere existenses obstruere a parte interiori ; item que dicte operarii, lathomi et carpentatores teneantur et debeant facere in quolibet stabulo seu loco dicti carceris, a parte dicti stabuli, unam portam lapidis de chuyng bonam et sufficientem, altitudinis trium pedum cum dimidio et latitudinis unius pedis cum dimidio, in forma seu factura cadrata ; item que dicti lathomi et carpentatores teneantur et debeant facere hostia dictarum portarum de nemore quercis, hebentia spacium seu spessam trium digitorum de latitudine et ipsa hostia duplicare seu forrare sappino, sine aliquali ferramenta per eosdem lathomos mistranda seu sumptuanda in hostis predictis ; item que dicti lathomi teneantur et debeant petare a dicto uicecastellano goysonos in dictis portis ponendis et implicandis, se et que primum neccesse fuerit eosdem ponere et implicare esparras que et seras ponere et serare (…).

658.

ADS SA14252, Sallanches (1438-1439) : (…) quibus stetit carceribus mancipatus (…).

659.

ADS SA14257, Sallanches (1443-1444) : (…) eum custodierunt et gardauerunt in castro Salanchie, eo que ipsum castrum non est securum pro talibus deliquentibus sine gardis custodiendis (…).

660.

ADS SA14262, Sallanches (1448-1449) : Recepit ab Henrico du Duigrat, qui fuit incarceratus infra castrum uocatum de Gayorum (…) et a dicto castro exuit sine licencia.

661.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356): (…) pro emptione XXIV postium ad implicandum in reparatione latrine (…).

662.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396) : (…) in reparatione cuisdam anguli muri dicte domus, a parte posterle, et reparatione cuiusdam foraminus in quo solet esse latrina dicte domus, propter uetustatem dirruptoris (…).

663.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) in reparatione chiminate quoquine site ante dictam turrim, quod erat destructa propter uetustatem (…).

664.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396) : (…) in reparatione charforii seu chiminate coquine dicte domus, coperture et eleuatione indigentis propter periculum incendii quo subracebat eo quia murus erat bassum (…).

665.

ADS SA1437, Sallanches (1423-1424) : (…) item que repari deberent de dictis bonis paries introitus dicte coquine et ianua soturni et in eadem implicari quatuor pecie boni quercus pro sustinendo dictam ianuam, in quibus peciis ponentur quatuor gonzoni ferri (…) unam peciam nemoris pro faciendo trapam soturni (…).

666.

Ibid. : (…) pro reparando gradus et pelletum acque ianuam soturni et supra cameram coquine tres duodenos lonorum (…).

667.

ADS SA14183/2, 2ème compte, Sallanches (1358-1359) : (…) ad recoperandum tecti domus domini dicti de Gayo et granerium dicte domus (…).

668.

ADS SA14185, Sallanches (1360-1361) : (…) cepisse bladum in granerio castellanie (…).

669.

ADS SA14226, Sallanches (1406-1410) : (…) in reparatione conductus aque fontis existensis ante domum domini de Gayo Salanchie fluentes (…) tam in fodendo crosando seu fossam et terraillium, faciendo ibidem lapides pro dicto conductu coperiendo, aptando et dictum terraillium coperiendo detegendo (…).

670.

ADS SA14230, Sallanches (1416-1417) : Recepit a Roleto Uiart de Cordone, pro eo quia portauit suum magnum ensem die festi Annunciationis Beate Marie Uirginis per locum de castro (…).