3.4. La châtellenie de Sallanches

La châtellenie de Sallanches possède des caractéristiques très différentes des deux territoires étudiés précédemment, liées en particulier à l'importance du relief et à l'évolution de la position de Sallanches au sein de l'espace delphino-savoyard.

Un centre économique, politique et religieux

Depuis le VIe siècle, l'église Saint-Jacques-le-Majeur occupe vraisemblablement le même emplacement, sur la rive gauche de la Sallanche, ce dont atteste l'existence de la nécropole burgonde. Cependant, les incendies de 1519 et de 1670 n'ont épargné qu'une petite partie du chevet roman de l'église, ce qui limite les informations que l'on peut tirer de l'édifice lui-même. En revanche, celui-ci est épargné par les flammes en 1840, ce qui explique que François Justin exclut le quartier de la collégiale du nouveau plan quadrillé. C'est donc, naturellement, de ce côté qu'on trouve le plus de témoins de l'époque médiévale. Autour de l'église, jusqu'en 1840, s'étend le cimetière paroissial, alors que la place du marché s'étend au sud-ouest, sur une centaine de mètres. Sur ce marché s'élève une halle, citée pour la première fois en 1283-1286.671 C'est une construction en bois, dont la toiture, comme celles des bâtiments du château, est régulièrement refaite. Le coût de cet entretien est assumé pour moitié par le châtelain, pour l'autre par le fermier de la leyde.672 D'importants travaux réalisés en 1394-1396 pour 9,1 fbp permettent de connaître les dimensions approximatives de l'édifice.673 Il s'agit d'une structure sur poteaux, constituée de trois travées674, espacées de 10,50 m, d'après la longueur des planches de cinq toises qui sont alors posées entre les chevrons. L'édifice aurait donc environs 31,50 m de longueur, sur une largeur d'au moins 20,80 m.675D'autres réfections plus importantes, étalées en général sur plusieurs années, sont nécessaires entre 1405 et 1414 (50,3 fbp), en 1417 (82,4 fbp), en 1435-1436 (32,1 fbp) ou encore entre 1437 et 1439 (34 fbp). Le marché est strictement réglementé et tout manquement aux obligations légales est passible d'une amende.

Pour y tenir un banc (bancha) ou une place (platea), il faut s'acquitter d'un droit d'entrée, compté dans les introges de la châtellenie.676 Les poids et mesures officiels de Sallanches sont gardés dans une maison dite de l'étalonnage, probablement riveraine du marché.677 Outre le marché ordinaire, dont les jours ne sont jamais précisés, Sallanches accueille deux foires annuelles, autour de Noël et de la Saint-Jean. Ces deux fêtes constituent le point d'orgue des foires. Ainsi, en 1428-1429, si celle de Noël s'étale sur près de deux mois, du 11 décembre au 5 février, la période du 18 décembre au 8 janvier semble réservée à la célébration de la Nativité.678

Doc. 110. Plan général du territoire sous la franchise de Sallanches (1451)
Doc. 110. Plan général du territoire sous la franchise de Sallanches (1451)

Le développement de la ville (doc. 110) est restreint par la Sallanche et la Frasse, que trois ponts de bois permettent de franchir en 1730 : le pont de la Croix, sur la Frasse, les ponts des Lombards et Saint-Eloi, de part et d'autre du confluent des deux torrents. Tous trois sont usités en 1399, mais seul le pont de la Croix est nommé.679 Assez logiquement, le développement du tissu urbain se fait donc vers l'est, le long de la Sallanche. Le dessin de Bergonio montre un quartier ancien très resserré autour de l'église et un urbanisme plus clairsemé au fur et à mesure qu'on s'en éloigne, en direction de Saint-Martin. On peut supposer que la rive droite de la Sallanche est également urbanisée dès la période médiévale, car les franchises s'appliquent à tout l'espace compris entre la porte du château et le pont de Saint-Martin. Le confluent est le quartier des banquiers, dont la toponymie a conservé la trace : l'actuel pont Saint-Jacques et la rue qui le prolonge vers le sud se sont longtemps appelés pont et rue des Lombards. C'est le lieu de passage obligé pour se rendre de la ville au château.

Le centre religieux et économique de la ville est défendu par une série de maisons-fortes bâties à sa périphérie. La principale place-forte de Sallanches est la maison de Guillaume de Compey, où Guillaume de Balme et Aymon de Chalant, représentants du comte, ordonnent la mise en place d'une garnison en 1355.680 Cette maison est probablement celle ultérieurement appelée Montrosset, propriété de la famille de Compey jusqu'en 1486.681 Noyée dans le bâti contemporain, elle est située au sud de la confluence de la Frasse et de la Sallanche, sur la route de Sallanches vers Combloux et Domancy.682 Son rôle militaire est évident et il semble naturel que le comte de Savoie cherche, dès sa prise de possession, à affirmer sa mainmise sur la ville. Une autre demeure fortifiée a échappé aux catastrophes de 1519-1840 : le "château" des Rubin (doc. 111), mentionné en 1399, tenu alors par une vieille famille sallancharde, mentionnée dans pratiquement tous les comptes de la châtellenie.683 Il s'agit peut-être de la demeure achetée par Durand Rubin à Jean de Lucinge en 1363, qui date au moins de la première moitié du XIVe siècle.684

Doc. 111. Façade orientale du château des Rubin
Doc. 111. Façade orientale du château des Rubin Photograhie de Nathalie Thomasson, d'après ecannboi.edres74.ac-grenoble.fr.

Les tours de Disonche et de la Frasse, qui se font face au nord-ouest de l'église, sont réputées dater respectivement du XVIe et du XVIIe siècle. Cependant, la famille de la Frasse jouit d'une position importante à Sallanches dès le XIVe siècle. En 1357, elle tient ainsi trois moulins dans la châtellenie686, dont Pierre de la Frasse est vice-châtelain en 1416.687 Il est donc probable que l'édifice actuel (doc. 112), remanié au XVIIe siècle, aie bien une origine médiévale.

Doc. 112. Façade méridionale de la maison de la Frasse
Doc. 112. Façade méridionale de la maison de la Frasse

Celle de Disonche (doc. 113), fief des Menthon jusqu'en 1521688, pourrait aussi être plus ancienne, une composition châtelaine de 1417 évoquant la maison de François de Menthon, située au-dessus de Sallanches.689 Comme on a vu qu'à cette date, la famille de Menthon ne tient pas encore la maison de Gex, il pourrait bien s'agir de la maison de Disonche.

Doc. 113. Façade nord de la maison de Disonche
Doc. 113. Façade nord de la maison de Disonche

A l'exception de la tour de Disonche, ces maisons ont un plan similaire, associant un grand corps de logis rectangulaire à une tour dressée au milieu d'une des façades. Seule la maison de Montrosset, située sur une éminence, semblait posséder un rempart. La maison de Bellegarde, indiquée sur le dessin de Borgonio et aujourd'hui disparue, pourrait aussi avoir une origine médiévale : en 1367-1368, Pierre de Bellegarde et ses frères sont en effet condamnés à une lourde amende de 140 fl pour avoir refusé de prêter hommage au comte de Savoie.690

Il existe au sein même de la ville, un hospicium, mentionné dès 1356 et placé sous la double tutelle de la collégiale et des syndics à partir de 1393.691 On sait qu'il donne sur une place.692 En outre, à la limite orientale du territoire franchisé, se trouve une maladrerie, mentionnée pour la première fois en 1278. Elle est administrée par un curateur, auquel le comte de Savoie verse régulièrement des aumônes.693 L'existence de deux établissement hospitaliers est un moyen très simple de soigner les malades tout en limitant les risques de contagion, par le maintien à l'écart du centre-ville des lépreux et pestiférés. Entre la maladrerie et la ville, les fréquentes mentions de maisons et de terres agricoles laissent deviner l'existence d'une zone plutôt maraîchère, bien qu'elle soit administrativement rattachée à la ville. En outre, comme le fait remarquer au XVIIe siècle Pierre d'Avity, Sallanches ne possède pas de fortifications, ce que confirme le silence des sources médiévales à ce sujet. Sans doute le site, par ailleurs peu stratégique, est-il jugé suffisamment protégé par les maisons-fortes, le relief et les cours d'eau. Grâce à une composition châtelaine de 1357-1358, on connaît enfin l'existence d'une école à Sallanches, dont le recteur, Pierre de Condrey, est alors mis à l'amende pour s'être battu avec Thomas Borday jusqu'à l'effusion de sang.694 Elle est placée sous l'autorité de l'archidiacre.695

On dispose, pour une fois, de données relativement nombreuses et de nature différente pour tenter d'évaluer la population de la ville, qui représente sans doute l'essentiel de la paroisse Saint-Jacques. Selon l'enquête delphinale, celle-ci compte 700 feux en 1339, soit autour de 3500 habitants si on prend en compte l'équivalence de cinq personnes par feu utilisée par Alfred Fierro et Nicolas Carrier. On peut préciser cette estimation grâce à une information d'origine fiscale. En effet, les habitants possédant infra franchesiam une maison ou un chasal – qu'on peut sans doute considérer dans ce cas précis comme un terrain constructible – paient chaque année un impôt dont le montant dépend de la largeur de la parcelle. Or, en 1370, le châtelain dresse la liste des parcelles en question : elles sont alors au nombre de 266, réparties entre 201 tenanciers différents.696 La ville compterait ainsi, selon qu'on considère l'une ou l'autre information comme pertinente, entre 1000 et 1300 habitants. Si on rapporte cette population à celle de la paroisse en 1396, qu'on peut estimer à 363 feux697, la ville de Sallanches abrite entre 55 et 73% de la population de la paroisse. En admettant que ce rapport n'évolue pas au cours de la période étudiée, la population de la ville de Sallanches en 1339 devait être comprise entre 1925 et 2555 habitants. En 1443, elle ne serait plus que de 825 à 1095 habitants698, mais cette chute peut aussi être expliquée par un changement du mode de calcul au profit de feux fiscaux, dont le nombre aurait été négocié par la communauté et ne représenterait donc pas forcément la réalité démographique du moment.

Une châtellenie de montagne

Dans les comptes du XVe siècle, le châtelain est dit avoir la responsabilité du château, du mandement et de la châtellenie de Sallanches, auxquels il faut ajouter la terre de Gex. La juxtaposition et la superposition de ces ensembles définit plusieurs espaces seigneuriaux au sein d'un même territoire. En s'appuyant sur les limites des mandements du XVIIIe siècle, dans lesquels on retrouve tous les lieux évoqués dans les comptes, on peut considérer que la châtellenie de Sallanches s'étend sur les communes actuelles de Sallanches, Combloux, Cordon, Domancy et Magland, soit un territoire de 154 km² couvrant l'essentiel de la moyenne vallée de l'Arve, entre Cluses et le confluent de l'Arve et du Bonnant, à laquelle il faut ajouter le versant oriental du massif des Aravis, sur la rive gauche de l'Arve, mentionné de manière explicite dans les enquêtes de 1339 (doc. 114). En réalité, les textes évoquent rarement les montagnes en général, plus souvent les forêts, les torrents, les hameaux et surtout les alpages, au cœur de nombreux litiges entre les différentes communautés.699

Les limites de ce territoire découlent de contraintes géographiques, économiques et politiques. Au nord, la cluse de Magland représente ainsi une limite "naturelle", tandis que le fonds de la vallée est trop marécageux pour permettre l'implantation d'agglomérations importantes. La pratique de l'inalpage implique au contraire le maintien d'habitats saisonniers et intermédiaires à des altitudes relativement élevées, alors que la rudesse du climat en hiver pousse descendre le plus bas possible. Enfin, jusqu'en 1418, le mandement de Charousse relève du comté de Genève ; son existence, ajoutée à celle de la châtellenie de Montjoie au sud-est de Domancy, oriente naturellement la châtellenie de Sallanches plutôt vers l'ouest et le nord.

Doc. 114. Limites hypothétiques de la châtellenie de Sallanches (1261-1536)
Doc. 114. Limites hypothétiques de la châtellenie de Sallanches (1261-1536)

On a donc un territoire assez bien défini... alors que les différents espaces en son sein ne sont pas toujours distinguables les un des autres. Au titre de la terre de Gex, le prince de Savoie perçoit ainsi des dîmes sur des terres des châtellenies de Bonneville (La Contamine), de Châtillon et Cluses (Châtillon) et de Montjoie (Montjoie et de Saint-Gervais). Dans le territoire de Sallanches lui-même, les terroirs relevant de la terre de Gex relèvent de la châtellenie pour la seigneurie banale. Ainsi, la réunion des deux entités sous l'autorité du châtelain après 1370 confère à celui-ci la quasi-totalité des droits banaux et fonciers sur le territoire dont il à la charge.

On peut estimer la population de la châtellenie en extrapolant à partir des données de l'enquête de 1339. D'après l'enquête delphinale, la châtellenie de Sallanches abrite alors 1229 feux, soit environ 6145 habitants, pour une densité de près de 40 habitants par km². Aux 700 feux de Sallanches s'ajoutent en effet les habitants de Combloux (180 feux), Domancy (109) et Magland (240). Saint-Martin ne fait alors pas encore partie du territoire sallanchard. La paroisse Saint-Jacques rassemble donc 57% de la population de la châtellenie. En supposant que l'équilibre entre ces différentes paroisses ne change pas, la population de la châtellenie chute de 48% pour descendre à 637 feux en 1396 (3185 habitants), puis remonte un peu au début du XVe siècle (702 feux en 1411, soit 3510 habitants). Faute de mieux, on ne peut qu'y voir les conséquences des épidémies postérieures à 1348, qui ne sont cependant pas mentionnées dans les comptes de la châtellenie. La baisse observée par la suite (527 feux en 1443, 421 en 1472) pourrait s'expliquer par l'abandon du feu réel au profit d'une unité fiscale de référence. N. Carrier a soulevé ce problème dans sa thèse, sans y apporter de réponse satisfaisante. Quoi qu'il en soit, le peuplement de la châtellenie est nettement moins dense au tournant du XIVe et du XVe siècles, avec 21 à 23 habitants au km².

A l'échelle du Faucigny (doc. 115), la châtellenie de Sallanches occupe une position centrale, sur le principal axe de circulation de la baronnie, à 43 km de ses limites occidentale et septentrionale, 33 km de ses confins méridional et oriental. Jusqu'en 1418, la châtellenie est cependant prise en étau entre le comté de Genève et la châtellenie de Charousse, qui relève de ce dernier. Elle est donc plus naturellement tournée vers les châtellenies voisines de Flumet, à laquelle elle est initialement unie, de Montjoie, ou encore de Châtillon et Cluses, avec laquelle elle constitue, entre 1304 et 1310, le domaine privé de Béatrice de Faucigny. Le fait que l'ancienne Dauphine se soit réservé ces deux châtellenies, plutôt que le château ancestral de Faucigny, témoigne de leur importance acquise au sein de la baronnie. Châtillon est en effet la capitale administrative du Faucigny depuis au moins 1234, date à laquelle y est célébré le mariage d'Agnès de Faucigny et Pierre de Savoie. La position excentrée du château de Faucigny et la disparité dans le nombre de châtellenies entre la partie occidentale du bailliage et sa partie orientale indique clairement la position du noyau originel de la baronnie, aux portes du Genevois. La position de Châtillon est plus intéressante. Le château contrôle à la fois la vallée de l'Arve et l'accès au Haut-Chablais, est situé à égale distance (17 km) de Faucigny et de Sallanches et seulement à une douzaine de kilomètres de Bonneville, centre administratif du bailliage entre 1304 et 1310.

Doc . 115. Limites du Faucigny (1355-1536)
Doc . 115. Limites du Faucigny (1355-1536)

Après 1355 et surtout 1418, Sallanches perd peu à peu son importance stratégique : après le Faucigny, l'ensemble du Genevois deviennent savoyards et il est vraisemblable qu'une partie du trafic commercial faucigneran se détourne de Sallanches au profit de Bonneville, Annecy et Genève. Le bailliage savoyard de Faucigny, comparable en taille à celui de Saint-Marcellin, s'étend sur 2334 km², dont la châtellenie de Sallanches représente donc environ 7%. Châtillon demeure la résidence du bailli, Bonneville étant celle du juge.

Répartition et évolution des recettes en nature

On cultive dans la vallée les quatre céréales traditionnelles, avec une particularité à signaler : les cens en blés, prélevés aux XIVe et XVe siècles essentiellement au titre de la terre de Gex, sont versés exclusivement en froment, en orge et en avoine. En 1365, une recette en avoine versée au compte ordinaire est ainsi qualifiée de forinseca, recette extérieure.700 Le seigle est également mentionné dans tous les comptes, mais pour préciser que le châtelain ne perçoit aucun cens de ce type. Il est donc bien cultivé, sans qu'on puisse en déterminer la part dans la production céréalière locale.

Le compte le plus ancien conservé pour la châtellenie, daté de 1286, met l'accent sur le rôle primordial du tryptique avoine-orge-froment, les deux derniers types de blés inversant leur place dès lors que l'on parle de valeur et non plus de volume échangé (doc. 116). La prédominance de l'avoine, céréale de moindre rendement mais aussi de moindre coût, n'est pas une surprise en milieu montagnard.

Doc. 116. Répartition des recettes en nature de la châtellenie de Sallanches (1282-1286)
  volume valeur
(d)
%
froment 94,3 muids 356,3 29,01%
avoine 909 muids 656,1 53,42%
orge 108 muids 213,8 17,41%
cire 4 lb ?  
noix 1 bichet 0,5 0,04%
vacherins 4 1,4 0,11%
total - 1228,1 100,0%

Le compte de 1317-1319 mentionne d'autres types de fromages que les vacherins : les séracs, fromages secs, ainsi que de simples casei, sans doute des fromages frais, qui peuvent être fabriqués avec du lait de chèvre. Les informations sont plus nombreuses après 1355. On dispose d'abord d'une courte série de trois comptes pour la terre de Gex, nous informant sur le contexte des années 1355 à 1361 (doc. 117).

Doc. 117. Evolution des recettes en nature de la terre de Gex (1355-1361)
  1355-1357 1357-1358 1358-1361
  volume valeur
(d)
% volume valeur
(d)
% volume valeur
(d)
%
froment 6,7 muids 662,4 18,8% 3,3 muids 388,8 25,5% 8 muids 1002,2 23,8%
avoine 54 muids 1748,2 49,7% 22,3 muids 867,4 56,8% 66,9 muids 2594 61,6%
orge 29,5 muids 794,3 22,6% 5 muids 243,5 16,0% 15 muids 584,4 13,9%
fèves 2 octanes 8,3 0,2% 1 octane 4,9 0,3% 3 octanes 15,7 0,4%
cire 4 lb 13 0,4% 2 lb ? 0,0% 6 lb ? 0,0%
vin 21 chev. 701 294,8 8,4% 2 chev. 21,6 1,4% 2 chev. 17,3 0,4%
total - 3521 100,0% - 1526,2 100,0% - 4213,6 100,0%

Pour pouvoir intégrer ces données dans une étude des recettes de la châtellenie sur le long terme, j'ai ajouté à ces recettes, dans le tableau suivant, celles qui sont mentionnées dans les comptes de la châtellenie de Sallanches pour la même période et j'en ai soustrait celles qui provenaient d'autres châtellenies (doc. 118).702

Doc. 118. Evolution des recettes en nature de l'ensemble de la châtellenie de Sallanches (1355-1361)
  1355-1357 1357-1358 1358-1361
  volume valeur
(d)
% volume valeur
(d)
% volume valeur
(d)
%
froment 3,2 muids 316,4 11,82% 2 muids 259,2 18,81% 5,8 muids 726,6 18,50%
avoine 54 muids 1748,2 65,32% 22,3 muids 867,4 62,96% 66,9 muids 2594 66,04%
orge 19,9 muids 535,8 20,02% 5,2 muids 244,2 17,72% 15,4 muids 586,3 14,93%
fèves 2 octanes 8,3 0,31% 1 octane 4,9 0,36% 3 octanes 15,7 0,40%
cire 19,5 lb 63,4 2,37% 12 lb ? ? 38,5 lb ? ?
noix 2 bichets 1,4 0,05% 1 bichet 0,7 0,05% 2 bichets 2,3 0,06%
vacherins 8 2,8 0,10% 4 1,4 0,10% 8 2,8 0,07%
total - 2676,3 100,0% - 1377,8 100,0% - 3927,7 100,0%

Les produits non comptabilisés sont le vin, qui provient exclusivement de la châtellenie de Bonneville, et une partie du froment, issu des châtellenies de Montjoie et Châtillon. On apprend dans les comptes postérieurs à 1355 que les habitants de la châtellenie produisent leur propre vin, dont il est impossible d'estimer le volume, car la ferme du banvin est affermée, à titre perpétuel et héréditaire, à Amédée du Chesney. En revanche, s'ajoutent aux revenus de la terre de Gex des cens en orge, en noix, en vacherins et en cire. Les produits qui apparaissent sont liés à deux activités importantes dans la châtellenie, bien que difficilement quantifiable : la cueillette et l'élevage. Elles ne représentent qu'une infime partie des revenus de la seigneurie.

La précision des comptes de la terre de Gex, plus grande que celle des comptes de la châtellenie, nous permet de connaître au moins en partie la répartition géographique de ces différentes cultures au sein de la châtellenie, sachant que la totalité des recettes en cire et en fèves provient des alentours de Sallanches même, où on cultive tous les types de blés. On sait ainsi que le froment est cultivé en fond de vallée, autour de Magland, Méribel et Blancheville. L'avoine provient de Blancheville, Cordon et du Cros.703 L'orge, enfin, est cultivée près de Cordon et du Cros, ainsi que dans les alpages. Les différents terroirs sont ainsi exploités au maximum : le froment domine dans les zones les plus fertiles, tandis que les autres blés sont plantés dans les environnements plus difficiles.

Grâce au dépouillement intégral des comptes de 1392 à 1450, on dispose de données beaucoup plus précises pour la fin du XIVe siècle et la première moitié du XVe siècle. Il est donc possible, dans un premier temps, d'aborder l'évolution des recettes en nature sur le long terme en mettant en parallèle les différentes sources disponibles. J'ai retenu comme jalons quatre exercices pour lesquels les informations recherchées étaient disponibles, à savoir ceux de 1282-1286, de 1355-1357, de 1392-1393 et de 1447-1448, en omettant volontairement les revenus autres que céréaliers, dont on a vu qu'ils jouaient un rôle négligeable dans l'économie globale de la châtellenie (doc. 119 et 120). Le fait marquant est la très grande stabilité de cette répartition. Seule la période qui suit l'annexion savoyarde présente une certaine originalité, en raison du poids important de l'orge. Cela peut indiquer une succession d'hivers et de printemps froids, naturellement néfastes à la production de froment.

Doc. 119. Poids relatif des différents types de céréales en volume à Sallanches (1282-1448)
Doc. 119. Poids relatif des différents types de céréales en volume à Sallanches (1282-1448)
Doc. 120. Poids relatif des différents types de céréales en volume à Sallanches (1282-1448)
Doc. 120. Poids relatif des différents types de céréales en volume à Sallanches (1282-1448)

Ces données peuvent aussi être traitées en séries chronologiques, selon la méthode utilisée précédemment (doc. 121). Cela permet de confirmer que l'importance en volume des cens en avoine varie considérablement au cours du temps, mais elle reste en permanence la principale céréale cultivée dans la vallée. Certains très mauvais étés ont des conséquences pour tous les blés de printemps, notamment celui de 1437. La stabilité relative du froment et de l'orge est liée à leur faible importance en volume. En 1430 et 1442, les recettes en céréales connaissent deux pics remarquables, le premier ayant déjà été constaté à Montluel.

Doc. 121. Evolution des recettes en céréales à Sallanches (1392-1450)
Doc. 121. Evolution des recettes en céréales à Sallanches (1392-1450)
Doc. 122. Evolution des autres recettes en nature à Sallanches (1392-1450)
Doc. 122. Evolution des autres recettes en nature à Sallanches (1392-1450)

Après 1414, les recettes retombent brusquement à un volume moyen équivalent à la moitié de celui de 1393 (doc. 122). Ce tournant est encore plus évident quand on observe l'évolution des autres recettes en nature.

Entre 1414 et 1429, on assiste donc à un profond changement dans le fonctionnement du prélèvement sur les récoltes. L'administration savoyarde fait probablement le choix de cens fixes, au détriment des paiements à part des récoltes qui prédominaient auparavant. Assurent-ils pour autant un revenu constant ? Pour le savoir, on peut d'abord s'intéresser à l'évolution des prix des blés, précisés pour chaque exercice dans la rubrique "vente" du compte suivant (doc. 123). Les prix des autres produits ne sont pas toujours donnés.

Doc. 123. Evolution du prix des céréales à Sallanches (1392-1450)
Doc. 123. Evolution du prix des céréales à Sallanches (1392-1450)

On peut distinguer trois périodes successives. De 1392 à 1414, un seul pic est observable, entre 1403 et 1408. Il correspond à une baisse des volumes et donc à une probable période de disette. Entre 1414 et 1434, des fluctuations du même ordre surviennent beaucoup plus fréquemment, entre autres la baisse déjà évoquée en 1427. Cette période correspond, selon Emmanuel Le Roy-Ladurie, à "un épisode doux, voire estival-chaud" dans toute l'Europe occidentale.704 La hausse globale des prix suit donc l'amélioration générale des conditions climatiques et les variations observées correspondent donc aux fluctuations du marché local, liées à l'alternance classique de bonnes et de mauvaises années.

L'épisode qui dure de 1434 à 1442 est beaucoup plus spectaculaire, avec une véritable envolée des prix : celui du froment est multiplié par 4,3 entre 1435 et 1438, celui de l'orge par 11,2 entre 1434 et 1439, celui de l'avoine par 5,7 entre 1434 et 1438. Or, seul le mauvais été de 1437 a pu être repéré précédemment. Il semblerait donc que la dégradation de la situation économique ne soit pas répercutée sur le prélèvement seigneurial, ce qui se traduit donc forcément par une pression plus forte sur les paysans. E. Le Roy-Ladurie confirme un amoncellement de difficultés économiques dans les années 1432-1439, marqué par une année 1438 particulièrement difficile en raison de mauvaises conditions climatiques, le tout suivi d'une amélioration de la situation après 1442.705 La connaissance des ces variations des prix amène à s'intéresser à la valeur des recettes en nature, estimée d'après ces mêmes prix. J'ai ici limité cette étude aux céréales, aux fèves et aux noix, car les versements en vacherins et en cire sont stables, étant donné qu'ils correspondent aux paiements annuels versés respectivement pour la ferme des alpages et celle de l'office notarial (doc. 124 et 125). Cela permet de constater que le prix des fèves est adossé à celui du froment et donc que celles-ci sont probablement semées en hiver, comme ce dernier.

Doc. 124. Evolution de la valeur des recettes en céréales à Sallanches (1392-1450)
Doc. 124. Evolution de la valeur des recettes en céréales à Sallanches (1392-1450)
Doc. 125. Evolution de la valeur des recettes en fèves et en noix dans la châtellenie de Sallanches (1392-1450)
Doc. 125. Evolution de la valeur des recettes en fèves et en noix dans la châtellenie de Sallanches (1392-1450)

La hiérarchie des recettes n'est pas surprenante : l'avoine est d'ordinaire en première position, sa faible valeur étant compensée par son importance en volume ; le froment, au contraire, occupe la deuxième place en raison de son prix élevé et prend même ponctuellement la première, notamment lors des mauvais étés, l'orge étant la céréale la moins rentable pour le châtelain ; enfin, fèves et noix occupent toujours une place marginale dans l'économie locale.

En résumé, dans la châtellenie de Sallanches comme dans les deux exemples précédents, les céréales constituent la base de l'agroéconomie locale, avec cependant un rôle essentiel joué par l'avoine, qui ne constitue pas une source de richesse considérable pour le châtelain. L'influence des conditions climatiques est considérable et la réponse qui lui est apportée est intéressante : les cens fixes contribuent à en atténuer l'impact et à accroître progressivement la valeur des recettes en nature, en accroissant mécaniquement la pression fiscale sur les paysans.

Torrents, forêts et alpages : l'exploitation directe des ressources naturelles

L'une des ressources principales de la châtellenie est la forêt. On voit bien, dans les travaux du château ou de la halle, que le bois est le matériau de prédilection dans la construction, sans oublier les quantités de combustibles nécessaires pour le chauffage. On connaît l'emplacement de deux bois domaniaux. Le premier, évoqué précédemment, jouxte le château. Cette ressource est en tout cas systématiquement mise en œuvre lors des travaux au château, comme le précise le compte de 1369-1370.706 Seules les pièces déjà travaillées, surtout des bardeaux et des clavelles, sont parfois acheminées depuis Cluses.707 Le second bois domanial est la forêt de la Jorasse (Ioria Arsa), située au-dessus de Combloux, mentionnée pour la première fois dans le compte de 1294-1295.708 Sa garde est affermée à un forestier (forestarius) détenteur de l'autorité judiciaire, le compte de 1366-1367 précisant qu'il est notamment chargé d'empêcher les coupes non autorisées.709 Cet office, qui rapporte à son détenteur le tiers des amendes perçues, est la propriété héréditaire de la famille de la Porte, qui le tient ainsi de 1355 à 1360, puis de nouveau après 1370.710

Les rivières constituent, après la forêt, la deuxième grande ressource de la châtellenie. Le franchissement des cours d'eau n'est pas chose aisée, d'autant que les ponts semblent rares. La traversée du pont d'Arvillon, situé entre Médon et Combloux, cité en 1410, nécessite en outre le paiement d'un droit de passage. 711 Quatre moulins, affermés à la famille de la Frasse, sont mentionnés en 1357.712 Un moulin, peut-être l'un des quatre précédents, est situé à Nant Cruy et tenu en 1370 par la famille de Chissé.713

La troisième grande ressource évoquée dans les comptes est l'élevage, en raison notamment de l'existence de vastes alpages au-dessus de Sallanches. La pratique de l'inalpage ou "emmontagnement" n'est jamais décrite dans la documentation étudiée, mais on peut remarquer que, jusque dans les années 1960, la foire de la Saint-Jean marquait le départ des derniers troupeaux pour les alpages. N. Carrier, dans une étude approfondie de l'activité pastorale en Haut-Faucigny, souligne en particulier la diversité des pratiques et des statuts, ainsi que la difficulté d'évaluer son impact économique.714 Leur exploitation, en ce qui concerne Sallanches, est affermée à titre héréditaire à la famille du Chesney, qui verse pour un cens annuel de quatre vacherins, dont on a vu qu'ils ne constituaient en fait que la part "noble" de la production fromagère, complétée par les séracs et d'autres fromages. Acteur incontournable de l'économie locale, il verse également un cens en numéraire pour les fermes du banvin et du tavernage.

L'élevage ne se limite par ailleurs pas aux bovins. En effet, les comptes mentionnent pratiquement chaque année, dans la rubrique "inventions", des animaux divagants saisis par le châtelain, puis revendus à leurs propriétaires : chèvres et moutons reviennent ainsi suffisamment régulièrement pour qu'on puisse en déduire l'existence de troupeaux.715 Les casei évoqués précédemment peuvent ainsi être fabriqués, au moins pour partie, à partir de lait de chèvre ou de brebis.

L'évolution générale des recettes et des dépenses : des crises et des réponses variées

Les recettes de la châtellenie de Sallanches sont plus variées que celles des autres exemples étudiés (doc. 126 et 127). En effet, en sus des droits perçus par ses homologues de Montluel et de Moras, le châtelain prélève un impôt sur le foncier bâti de Sallanches, les "toises des maisons", une redevance pour l'entretien des édifices publics, le "bâtiment", une part du gibier chassé et le forestage. En outre, les habitants de la châtellenie sont majoritairement taillables, tandis que le nombre important de familles nobles permet au châtelain de percevoir annuellement des droits d'hommage ou de reconnaissance.

Doc. 126. Recettes de la châtellenie de Sallanches (1282-1448)
  1282-1286 1355-1357 716 1392-1393 1447-1448
  montant (d) % montant (d) % montant (d) % montant (d) %
cens 782,1 16,1% 245,0 4,4% 907,9 17,2% 951,1 20,1%
tailles 1410,5 29,0% 2914,4 52,3% 2174,9 41,1% 2175,3 45,9%
hommages  -  -  - 6,5 0,1% 6,5 0,1%
gardes 33,5 0,7% 10,4 0,2% 10,8 0,2% 10,8 0,2%
toises
des maisons
222,8 4,6% 71,7 1,3% 125,2 2,4% 125,2 2,6%
bâtiment  - 5,6 0,1% 5,8 0,1% 5,8 0,1%
fermes 510,8 10,5% 1254,1 22,5% 1226,0 23,2% 480,8 10,1%
lods et ventes 136,3 2,8% 7,3 0,1%  
compositions 783,5 16,1% 481,6 8,6% 3,2 0,1%
condamnations  - 417,5 7,5% 236,3 5,0%
échutes  - 125,2 2,2%  -  -  -
inventions  -  - 4,3 0,1%  -  -  -
forestage  - 30,3 0,5%  -  -  -
ventes 985,2 20,3% 2,6 0,0% 825,8 15,6% 750,7 15,8%
total 4864,7 100,0% 5570,0 100,0% 5286,1 100,0% 4742,5 100,0%
Doc. 127. Recettes de la châtellenie de Sallanches divisées en grandes catégories (1282-1448)
  1282-1286 1355-1357 1392-1393 1447-1448
  montant (d) % montant (d) % montant (d) % montant (d) %
cens 782,1 16,1% 245,0 4,8% 907,9 17,2% 951,1 20,1%
tailles 1410,5 29,0% 2914,4 56,6% 2174,9 41,1% 2175,3 45,9%
toises
des maisons
222,8 4,6% 71,7 1,4% 125,2 2,4% 125,2 2,6%
fermes 510,8 10,5% 1254,1 24,3% 1226,0 23,2% 480,8 10,1%
droits
de justice
783,5 16,1% 511,9 9,9% 3,2 0,1% 236,3 5,0%
ventes 985,2 20,3% 2,6 0,1% 825,8 15,6% 750,7 15,8%
autres revenus 169,8 3,5% 152,8 3,0% 23,1 0,4% 23,1 0,5%
total 4864,7 100,0% 5152,5 100,0% 5286,1 100,0% 4742,5 100,0%

Entre 1282 et 1392, les tailles et les fermes prennent de plus en plus d'importance, au détriment surtout des droits de justice. Entre 1392 et 1448, le montant et le poids des fermes chutent à un niveau inédit, faisant retomber le revenu global de la châtellenie au-dessous de celui de 1286. Seule une analyse sur le long terme peut permettre de comprendre cette évolution. Dans un premier temps voyons l'évolution des principales recettes normales (cens, tailles et fermes) sur la période qui suit l'acquisition de Sallanches par la Savoie (doc. 128).

Doc. 128. Evolution des cens, tailles et fermes perçus dans la châtellenie de Sallanches (1355-1370)
Doc. 128. Evolution des cens, tailles et fermes perçus dans la châtellenie de Sallanches (1355-1370)

Les tailles tiennent très clairement la première place parmi les recettes, devant les cens jusqu'en 1367. A partir de cette date, les fermes prennent la deuxième place, en raison de la fin d'exemptions accordées en 1361 aux fermiers de la leyde et du banvin.717 Sans cette faveur accordée par le comte de Savoie, les fermes auraient dès 1361 pris cette deuxième place. On peut noter trois pics en 1357, 1361 et 1366, qui ne concernent logiquement que les cens et les tailles, revenus variables. En fait, ces pics semblent plutôt correspondre à un retour ponctuel à la normale, dans une période ou les exemptions de cens et de tailles sont relativement fréquentes. Sans doute doit-on y voir une conséquence indirecte de la saignée démographique due aux épidémies de peste et une tentative réponse de l'autorité centrale à la crise économique et sociale.

Entre 1392 et 1450, la tendance générale est à la baisse, mais avec de très fortes variations d'une année sur l'autre (doc. 129). Plusieurs phénomènes sont à signaler. D'abord, dès 1398, les cens apportent de nouveau plus que les fermes, en raison de nouvelles exemptions, cette fois durables, accordées par le comte de Savoie.718 Ensuite, le tournant de 1414 est bien réel : entre 1414 et 1417, les trois séries de revenus se stabilisent à un niveau plus atteint depuis 1411, de manière quasi-définitive pour les cens et les tailles, avec une baisse progressive pour les fermes. Le produit des ventes, négligeable avant 1370, est régulièrement la deuxième recette de la châtellenie, comme on pouvait s'y attendre du fait de l'augmentation des prix évoquée précédemment.

Doc. 129. Evolution des cens, tailles, fermes et ventes dans la châtellenie de Sallanches (1390-1450)
Doc. 129. Evolution des cens, tailles, fermes et ventes dans la châtellenie de Sallanches (1390-1450)

A présent qu'on dispose de ces éléments sur l'évolution de la structure des recettes, il est possible d'aborder plus généralement l'évolution des recettes et dépenses de la châtellenie pendant la période qui nous intéresse (doc. 130).

Doc. 130. Evolution des recettes et des dépenses dans la châtellenie de Sallanches (1355-1370)
Doc. 130. Evolution des recettes et des dépenses dans la châtellenie de Sallanches (1355-1370)

Entre 1355 et 1370, la châtellenie de Sallanches est, comme celle de Moras, en situation de déficit structurel. Les pics de recettes observés précédemment viennent en fait compenser de brutales augmentations des dépenses, les plus spectaculaires ayant lieu en 1358, 1364 et 1367-1368. La situation catastrophique connue au cours de ces deux dernières années explique sans doute en partie les mesures qui sont prises par l'administration : augmentation des tailles, révision de la taxe sur les maisons, non-renouvellement des exemptions accordées aux fermiers, etc. Si elles entraînent une forte hausse des revenus, elles ne permettent pas de compenser immédiatement celle des dépenses. Ces différents pics s'expliquent à chaque fois par de fortes dépenses sans lien direct avec la châtellenie, notamment des opérations militaires outremonts en 1358719 et le paiement d'arriérés de dettes de la comtesse en 1368.720

Le graphique suivant présente les mêmes données pour la période s'étalant de 1390 à 1450 (doc. 131). La courbe en pointillé représente le total des recettes annoncé dans les comptes, très différent du total réel, calculé à partir des sous-totaux de chaque compte. Le solde de chaque exercice est systématiquement reporté dans les recettes de l'année suivante, en tant qu'arriéré. Le cumul de ces arriérés gonfle ainsi artificiellement le revenu global de la châtellenie, loin de la situation réelle.

Doc. 131. Recettes et dépenses de la châtellenie de Sallanches (1390-1450)
Doc. 131. Recettes et dépenses de la châtellenie de Sallanches (1390-1450)

Cette politique d'accroissement des recettes fiscales porte en tout cas ses fruits pendant un bon moment : entre 1390 et 1414, le déficit structurel semble oublié, à l'exception d'une seule année (1396). Après cette date, le système devient beaucoup plus instable, avec le retour de déficits pendant vingt ans, mais l'équilibre est globalement maintenu à moyen terme : des pics de recettes précèdent ou accompagnent la plupart des hausses des dépenses. La période d'envolée des prix des céréales qui dure de 1434 à 1442 permet au solde de redevenir durablement positif. Ironiquement, la dégradation globale de la situation économique permet à la châtellenie de sortir d'une crise budgétaire que le strict encadrement des principales recettes et la cession du château n'avaient pas pu enrayer.

Dans la châtellenie de Sallanches, les conditions naturelles jouent indéniablement un rôle majeur. Elles contribuent à hisser l'avoine au rang de production principale, tout en réservant à l'activité pastorale une place essentielle. Elles expliquent aussi la distinction entre le château seigneurial et la ville, l'habitat existant dans l'enceinte castrale ne pouvant guère s'étendre en raison du relief. Sans doute ce constat, ajouté à la perte d'importance stratégique de Sallanches après 1355, contribue-t-il à l'abandon du site à la famille de Menthon. Ce dernier survient dans une période délicate pour l'économie locale, à laquelle l'administration savoyarde apporte successivement des réponses bien différentes. Après avoir dans un premier temps épargné les nobles locaux, les châtelains savoyards s'échinent à trouver des ressources supplémentaires dans les années 1360, contribuant à améliorer la santé financière de la châtellenie. A partir de 1414, Antoine de Crécherel et ses successeurs gèrent une châtellenie transformée, dont les revenus ordinaires sont plafonnés. Ils doivent donc compter sur l'extraordinaire, notamment sur la vente des réserves et sur les amendes, pour renflouer leurs caisses. Par ce biais, les finances de la châtellenie ne sont plus en phase avec l'économie locale, ce qui contribue à la crise budgétaire des années 1414-1434… mais leur permet d'en sortir lors de la difficile période qui suit. En résumé, la châtellenie de Sallanches est un exemple assez étonnant de châtellenie abritant un centre économique majeur au niveau micro-régional, mais sur laquelle l'administration savoyarde abandonne une grande partie de son pouvoir de contrôle dans le premier quart du XVe siècle.

Notes
671.

ADS SA13783, Sallanches (1283-1286).

672.

ADS SA14193, Sallanches (1368-1369).

673.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396) : (…) debeant ipsorum sumptibus dictum edifficium, propter uetustatem destructum, repare et in ipso ministrare et facere de bona et sufficienti maeria tres columpnas, a parte anteriori dicte ale, que uocantur parue columpne ; item duas columpnas secundas ; item quinque pecias que uocantur expeulaz ; item duas bonas et sufficienter pecias, uocatas panes, longitudinis trium expodiorum, dicti edifficii ale supradicte ; item quatuor pecias bonas et sufficientes uocatas chyuronis, quolibet chiurono longitudinis septem teysiarum et unam duodenam latarum platarum, qualibet longitudinis quinque teysiarum (…).

674.

TROCHET (J.-R.), Maisons paysanes en Europe occidentale, p. 109 : l'auteur assimile le terme expodia, spécifique aux vallées de 'Arve et de l'Arly, au franco-provençal époué, qu'il traduit par travée.

675.

Les toitures à deux pans des édifices civils observables dans la vallée forment toujours un angle obtus. Comme on connaît la longueur des chevrons, qui est de sept toises (14,70 m), il suffit d'utiliser le théorème de Pythagore pour calculer la largeur minimale de l'assise de la halle.

676.

ADS SA14218, Sallanches (1394-1396): (…) in introgia, pro platea sita in macello Salanchie (…).

677.

ADS SA14183/2, Sallanches (1358-1359) : (…) intrasse cum effractio in domo de estalonade (…).

678.

ADS SA14243, Sallanches (1429-1430).

679.

ADS SA14220, Sallanches (1397-1399) : (…) domus site Salanchie, inter duos pontes (…) ; (…) site Salanchie uersus pontem Crucis.

680.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356) : Librauit pluribus nobilibus uiribus et clientibus astantibus in garnisone apud Salanchiam, in domo domini Guillelmi de Compesio (…).

681.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 288 : Pierre de Compey est seigneur de Montrosset en 1396.

682.

BLONDEL (L.), op. cit., p. 289-293.

683.

ADS SA14220, Sallanches (1397-1399) : (…) domus site Salanchie uersus los Rubins (…).

684.

ADS SA14188/1, Sallanches (1363) : Recepit a Durando Rubini, pro casali domus infra uillam Salanchie per eum empto a Iohanne de Lucinge, milite, tuctori liberorum quondam Petri Martini (…).

685.

Photograhie de Nathalie Thomasson, d'après ecannboi.edres74.ac-grenoble.fr.

686.

ADS SA14181/1, terre de Gex (1355-1357).

687.

ADS SA14230, Sallanches (1416-1417).

688.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 289.

689.

ADS SA14230, Sallanches (1416-1417) : (…) lathomos et familiares domini Franchisci de Menthone, in domo eiusdem domini Francisci, superius locum Salanchie site (…).

690.

ADS SA14192, Sallanches (1367-1368).

691.

ADS SA14181/2, Sallanches (1355-1356).

692.

ADS SA14220, Sallanches (1397-1399) : (…) in magno uico iuxto placeas hospitalis Salanchie (…).

693.

ADS SA14182, Sallanches (1356-1357) : (…) Raymondo Brunodi, curatori maladerie Salanchie (…).

694.

ADS SA14183/2, Sallanches, 1er compte (1357-1358).

695.

LEGUAY (J.-P.) (dir.), Histoire de la Savoie, t. 2, p. 396.

696.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370).

697.

En 1394-1396, un subside est levé en ville au taux de 10 d par feu taillable, 8 d par feu bourgeois et 5 d par feu noble ou religieux, pour un montant total de 11 £ 12 s de monnaie courante. Ainsi, en considérant le taux moyen de 7,6 d courants par feu (0,5 dt), la population de la paroisse est alors d'environ 363 feux, soit autour de 1800 habitants.

698.

BLONDEL (L.), Les châteaux de l'ancien diocèse de Genève, p. 289 : la paroisse Saint-Jacques compte 300 feux.

699.

Par exemple celle de Flumet en 1361.

700.

ADS SA14189, Sallanches (1364-1365).

701.

Chevallée, équivalent faucigneran de la sommée, valant en général 1,5 setier.

702.

Une partie des cens comptés ici en orge et en avoine concernent les châtellenies de Sallanches et de Montjoie. Elle a été conservée dans le décompte, faute de pouvoir être divisée.

703.

Toponyme pouvant renvoyer à plusieurs lieux-dits, tous situés sur la rive gauche de l'Arve, entre la vallée et la zone boisée.

704.

LE ROY-LADURIE (E.), Histoire humaine et comparée du climat, p. 109.

705.

LE ROY-LADURIE (E.), Histoire humaine et comparée du climat, p. 129-137.

706.

ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) de maeria nemorum domini reparatorum (…).

707.

ADS SA14195, Sallanches (1370-1371) : les charpentiers chargés de refaire la couverture de la halle achètent 2600 gros bardeaux à Cluses.

708.

ADS SA13784, Sallanches, 1er compte (1294-1295).

709.

ADS SA14191, Sallanches (1366-1367).

710.

ADS SA14195, Sallanches (1370-1371) : Angelon de la Porte tient la ferme du forestage.

711.

ADS SA14226, Sallanches (1406-1410) : Recepit a Guichardo Rose de Megeua, mandamenti Flumeti, quia per pontem Arreillione transuit et pontanagium non soluit (…).

712.

ADS SA14181/1, terre de Gex (1355-1357).

713.

ADS SA14194, pièce jointe, terre de Gex (1369-1370).

714.

"L'activité pastorale", dans CARRIER (N.), La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Age, p. 299-376. On peut aussi se référer à BESSAT (H.) et GERMI (C.), Lieux en mémoire de l'alpe.

715.

ADS SA14183/2, Sallanches (1357-1358) : sept agneaux (agnelli) et une brebis (muthone iumens). ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : un mouton, trois agneaux et une chèvre.

716.

Les valeurs données pour 1355-1357 comprennent les revenus de la terre de Gex, bien que ceux-ci ne soient pas forcément tous tirés du territoire de la châtellenie.

717.

ADS SA14186 et 14192, Sallanches (1361-1362 et 1367-1368).

718.

ADS SA14219, Sallanches (1396-1397).

719.

ADS SA14183/2, Sallanches (1357-1358).

720.

ADS SA14192, Sallanches (1367-1368) : la somme est de 1146 fl.