4.1. Un espace isolé ?

Le Queyras est un territoire intra-alpin, correspondant au bassin de la haute vallée du Guil. Cet affluent de la Durance, installé dans une gouttière synclinale du Briançonnais avant son soulèvement, est directement à l'origine de la formation du Queyras. Ses affluents ont reproduit le même schéma pour former une multitude de petites vallées. Au niveau géologique, une division se fait jour de part et d'autre d'une ligne allant du col d'Izoard à la butte-témoin de Château-Queyras, vestige du retrait d'un glacier würmien : à l'ouest dominent les formations calcaires, alors que le Queyras intérieur est essentiellement schisteux (doc. 133). L'homme a en outre très tôt repéré l'abondance de minerais métalliques du côté de Saint-Véran, dont les mines d'or et de cuivre sont l'une des ressources originales de la châtellenie médiévale.

Doc. 133. Carte géologique simplifiée de la châtellenie du Queyras
Doc. 133. Carte géologique simplifiée de la châtellenie du Queyras

On peut y accéder aujourd'hui par trois voies principales : la combe du Queyras, qui mène vers Guillestre en suivant la vallée du Guil, le col de l'Izoard, route principale vers Briançon et le col Agnel (2744 m), qui permet de rejoindre la vallée de la Varaita. D'après la carte de Cassini, l'itinéraire franchissant le col Lacroix (2299 m), au-dessus de Ristolas, aujourd'hui délaissé, était, au XVIIIe siècle, un des principaux accès à cette région. En comparaison, le col Fromage (2333 m), qui permet de rejoindre Ceillac depuis Château-Queyras, est beaucoup plus éloigné de tout centre d'habitat queyrassin, ce qui explique en partie que Ceillac, aujourd'hui membre du parc naturel régional du Queyras, relève au Moyen Age de l'Embrunais, plus facilement accessible.

L'altitude varie de 1140 m dans la combe à 3302 m au sommet de Bric Froid, pour une moyenne de 2300 m, ce qui en fait, encore aujourd'hui, l'un des territoires peuplés à l'année les plus hauts d'Europe. Les températures y sont logiquement froides : entre 1961 et 1970, la température moyenne atteint 5,2°C à Arvieux, pour seulement 4,4°C à Saint-Véran.721 L'amplitude thermique peut cependant être importante, la température pouvant passer de 0°C à 25°C lors de certaines journées printanières. En une année, on peut ainsi compter jusqu'à 300 jours de soleil, mais aussi 200 gelées, pour moins de 80 jours de précipitations. Celles-ci sont surtout hivernales : dans les années 1970-1980, l'enneigement annuel moyen variait de 2 m à Château-Queyras à 4 m à Saint-Véran.722

Les orages peuvent avoir des conséquences dévastatrices. Les sources étudiées mentionnent ainsi deux crues suffisamment importantes pour que le Dauphin accepte de diminuer les cens qui lui sont dus : celle du Guil en 1332-1333, ressentie de Château-Queyras à Ristolas et celle de l'Izoard en 1428-1429.723 L'autre danger permanent avec lequel doivent vivre les habitants est le risque d'éboulements. En 1391, le village de Saint-Eusèbe, dans la châtellenie de Château-Dauphin, est détruit par l'effondrement d'un pan de la montagne.724 Seule l'église paroissiale, réduite en simple chapelle, échappe à cette catastrophe. En 1408, puis 1449, des avalanches font respectivement 18 et 15 morts à Ristolas et à Molines.725

Comme en Faucigny, la végétation est étagée, avec une différence plus marquée entre adret et ubac. Côté ensoleillé, les cultures céréalières peuvent monter jusqu'à 2000 m. Sur l'ubac dominent les forêts de résineux, surtout des mélèzes, mais aussi des pins à crochet et cembro, alors que la combe est le domaine du pin sylvestre.726 Les alpages, d'étendue variable, s'étendent de la lisère des forêts, laquelle atteint par endroits 2500 m727, à 2600 m environ, avant de laisser la place à une végétation de plus en plus rare. La Casse Déserte, entre le col d'Izoard et Brunissard, tire ainsi son nom de son aspect quasiment lunaire.

Indiscutablement, ce contexte général fait du Queyras un territoire pratiquement inaccessible en hiver. On peut en effet difficilement imaginer des marchands traverser des cols enneigés ou se risquer dans les gorges du Guil malgré le risque d'avalanches. On verra d'ailleurs plus loin qu'une grande partie de la population queyrassine émigre en hiver, ce qui témoigne de la dureté des conditions de vie pendant cette partie de l'année. En revanche, le reste du temps, le Queyras est tout à fait accessible pour les voyageurs à pied et les bêtes de somme, qui peuvent emprunter tous les cols environnants. L'arrivée de l'automobile au XXe siècle a changé les habitudes, en raccourcissant les trajets tout en faisant passer l'ensemble de la circulation par les trois points d'accès déjà évoqués.

Notes
721.

CHAUVET (P.), et PONS (P.), Les Hautes Alpes hier, aujourd'hui, demain, p. 737-764.

722.

GRADOS (J.-J.), Le Guide du Queyras, p. 31 et seq.

723.

Respectivement ADI 8B116, Queyras (1332-1333) et 8B687, Queyras (1428-1429).

724.

NICOLAS (N.), La guerre et les fortifications du Haut-Dauphiné, p. 34.

725.

GUICHONNET (P.) (dir.), Histoire et civilisation des Alpes, t. I, p. 171.

726.

CHAUVET (P.), et PONS (P.), Les Hautes Alpes hier, aujourd'hui, demain, p. 737-764.

727.

GRADOS (J.-J.), op. cit..