2.1. Un vocabulaire et des caractéristiques communes

Depuis les travaux précurseurs de Louis Blondel, de multiples études ont été menées sur l'architecture des châteaux dauphinois et savoyards, mais les essais de comparaison à l'échelle régionale sont rares, à l'exception de la tentative de synthèse de B. Demotz sur les châteaux savoyards, déjà relativement ancienne.877 Les analyses architecturales les plus détaillées sont celles de Daniel de Raemy sur les châteaux savoyards du pays de Vaud878 et d'Alain Kersuzan sur les ceux de Bresse et du Bugey, qu'on peut compléter en partie par celle de Nicolas Nicolas sur les châteaux du Haut-Dauphiné.879 Si le premier nommé propose une comparaison des sites qu'il étudie avec d'autres régions, les deux autres insistent surtout sur leurs spécificités locales, qui constituent autant de difficultés pour la définition d'un éventuel modèle castral delphino-savoyard. Il n'est donc pas question ici de proposer une énième description architecturale des châteaux, d'autant que celle-ci n'aurait qu'une portée limitée. En effet, les exemples précédemment étudiés ont montré que l'adaptation aux contraintes locales et des circonstances spécifiques faisaient de chaque château un ensemble bien particulier.

En revanche, s'il est un point commun qu'on retrouve dans les exemples étudiés et, plus généralement, dans l'ensemble des châteaux dauphinois et savoyards, c'est bien avant tout le vocabulaire utilisé pour les décrire. Celui-ci ne varie guère d'un château à l'autre, que ce soit dans les comptes de châtellenies, les comptes-rendus de visites ou les prix-faits de travaux. On peut donc écarter l'idée d'un thesaurus purement théorique, sans lien direct avec la réalité, qui serait propre aux clercs de Grenoble, Cluses ou Chambéry. Au contraire, les nombreuses variantes orthographiques et les précisions apportées, ce type donionis seu turris, témoignent à la fois de la difficulté des clercs à retranscrire en latin ce qui leur est dit et de leur volonté de clarté. Ce n'est donc pas tant la traduction des termes utilisés que leur compréhension locale qui peut poser des problèmes d'interprétation. En me limitant pour l'instant au seul site castral en lui-même, je souhaite proposer, à travers la comparaison des quatre sites étudiés, une première approche de la définition du château delphino-savoyard valable pour la période pour laquelle on dispose de sources écrites suffisamment précises, c'est-à-dire les XIVe et XVe siècles. Le tableau suivant donne les dates d'apparition dans la documentation des principaux éléments constitutifs du château, autres que les enceintes, pour les quatre exemples étudiés (doc. 160).

Doc. 160.Dates d'apparition dans la documentation des principaux édifices des châteaux étudiés
  Montluel Moras Sallanches Queyras
aula 1356 (vieux château)
1363 (château neuf)

1408 (edifficium lateris)
- 1339
camera 1356 1370 1339
chapelle 1357 1080 1415 1339
cuisine 1356 1473 1370 1339
grenier - 1403 1359 1339
écurie 1356 - 1356 1339
point d'eau 1356 (puits) 1408 (puits)
1418 (citerne)
1406 (source) 1398 (citerne)
prison 1422 1418 1358 1398

Seuls trois édifices sont systématiquement mentionnés : la chapelle, la cuisine et la prison. Prier, manger et surveiller seraient donc les principales activités du châtelain et des autres occupants du château ? Ce serait naturellement un peu trop simpliste. En effet, l'absence de mention d'une aula à Sallanches, d'un grenier à Montluel ou d'une écurie à Moras n'est sans doute qu'une simple lacune des sources, tant ces éléments paraissent indispensables dans un château comtal.

En récapitulant ces informations, il a paru intéressant de différencier les trois unités fonctionnelles apparaissant dans tous les exemples, c'est-à-dire la basse-cour, la haute-cour et le logis, en citant tout d'abord les termes latins s'y rapportant employés dans les comptes de châtellenies dépouillés.

Notes
877.

"Le comte et le château", dans DEMOTZ (B.), Le comté de Savoie du XI e au XV e siècle, p. 119-154.

878.

RAEMY (D.), Châteaux, donjons et grandes tours dans les Etats de Savoie.

879.

"Les châteaux forts", dans KERSUZAN (A.), Défendre la Bresse et le Bugey, p. 179-294 et "Des châteaux aménagés ?", dans NICOLAS (N.), La guerre et les fortifications du Haut-Dauphiné, p. 271-286.