2.1.2. La haute-cour

Termes liés dans les comptes étudiés : domus, donionis, receptum, coquina, latrina, turris.

La haute-cour n'est jamais désignée comme telle, mais comme donjon à Moras et comme domus à Sallanches ou Roybon. Les deux termes renvoient respectivement aux notions de seigneur (dominus) et de résidence (domus) et désignent clairement la partie résidentielle du château. Daniel de Raemy note que le terme de donjon est employé dans ce sens dans de nombreux sites savoyards, que ce soit à Lucens, Chillon, Neuchâtel et Montmélian, jusqu'en 1600 pour ce dernier, mais aussi au château de Vincennes.883 En Bugey, on trouve également les termes de pralet et de recept.884 Ce dernier désigne en fait, initialement, le mur séparant les deux cours, sens qu'il conserve à Montluel. Par extension, on qualifie de grand ou de petit recept l'une ou l'autre des deux cours, l'omission de l'épithète posant, le cas échéant, des problèmes pour localiser les édifices décrits dans la documentation.

La haute-cour occupe toujours l'une des extrémités du château et est donc adossée à la courtine. Elle est séparée de la basse-cour par une seconde enceinte, dont les dimensions sont très variables selon les sites. A Château-Queyras ou à Montluel, où il s'agit de l'enceinte primitive du château, elle est au moins aussi haute que les braies et doublée d'un fossé, alors que les comptes évoquent une simple palissade à Sallanches, construite après les remparts du château. A Montfalcon, forteresse construite au cours de la guerre delphino-savoyarde, il s'agit d'un mur de galets, moins solide que l'enceinte principale, bâtie en molasse.885Dans tous les exemples étudiés, un seul accès à cette cour est mentionné dans les textes, qui peut être monumental, comme la grande porte de Château-Queyras. Cela n'exclut pas la présence d'autres passages plus ou moins dérobés, dont Alain Kersuzan mentionne l'existence dans les châteaux de Bresse et du Bugey886 et qui paraissent indispensables pour pouvoir sortir discrètement en cas de siège.

Outre les échiffes et chaffaux déjà mentionnés, aussi nombreux sur cette enceinte que sur les braies, l'enceinte de la haute-cour possède un type de structure en encorbellement qui lui est pratiquement spécifique : les latrines, qui, au-delà de leur fonction de lieu d'aisance, peuvent être utilisées pour la défense du château. En tout cas, la haute-cour est aussi bien défendue que la basse-cour, voire mieux si on considère que ses dimensions plus modestes permettent à un nombre d'hommes d'armes relativement restreint d'en assurer la défense. Les garnisons permanentes des châteaux, dont on a vu le faible effectif en Briançonnais, semblent peut-être insuffisantes pour contrer un siège, mais sont sans doute assez importantes pour défendre efficacement la haute-cour.

Cette haute-cour abrite les bâtiments principaux du château, principalement le logis et la cuisine, seul bâtiment utilitaire systématiquement présent dans cette partie du château, à l'exception possible de Moras, où il paraît toutefois probable que la bassa coquina de 1473 ne soit pas la seule du château. La haute-cour est un espace plus fermé que la basse-cour, même s'il n'existe pratiquement pas d'espace privé dans un château, au sens auquel on l'entend aujourd'hui. Disons que c'est le cœur du château, où sont réunis les bâtiments liés à l'exercice du pouvoir seigneurial (résidence du châtelain, salle d'apparat, etc.). Une évolution sémantique commencée à l'époque moderne, due aussi bien à l'intégration des basses-cours aux agglomérations qu'à la multiplication des manoirs et châteaux sans basses-cours, fait qu'aux yeux du grand public, le château se résume souvent à cette haute-cour.

La tour maîtresse, très fréquente même si elle n'est pas présente dans tous les châteaux delphino-savoyards, domine en général la haute-cour, selon le principe de hiérarchisation verticale hérité des premiers grands ensembles castraux. L'exemple de Montluel prouve cependant que les deux ensembles peuvent être indépendants l'un de l'autre.

Notes
883.

RAEMY (D. de), Châteaux, donjons et grandes tours dans les Etats de Savoie, p. 87-89.

884.

KERSUZAN (A.), Défendre la Bresse et le Bugey, p. 258.

885.

Galaure et Valloire, p. 72.

886.

KERSUZAN (A.), op. cit., p. 254.