La quatrième période mise en évidence ici s'étale de la fin de la guerre delphino-savoyarde à celle du XIVe siècle. En Dauphiné, en particulier, Humbert II tient compte des renseignements rassemblés dans le cadre des enquêtes de 1339 pour faire rénover et renforcer ses principaux châteaux. Comme on l'a vu plus haut, à Château-Queyras et à Sallanches, les deux sites sont alors progressivement mis en défense, en reprenant les principes architecturaux antérieurs, puis équipés de véritables prisons.
Un processus semblable est suivi au château de Miolans (doc. 177), dans lequel est édifiée une nouvelle tour maîtresse circulaire, contrôlant l'accès à la haute-cour.927 Comme Château-Queyras, il s'agit d'une forteresse bâtie sur une éminence, contrôlant la vallée de la Maurienne au sud. Elle reste pendant tout le Moyen Age la propriété des seigneurs de Miolans, proches de la famille de Savoie. D'autres ensembles fortifiés datent de cette époque, comme le système défensif du Pertuis Rostan, construit vers 1365.928 D'un point de vue général, l'aspect militaire des châteaux prime alors, ce qui implique une réflexion d'ensemble au moins à l'échelle du bailliage, notamment lorsque les châteaux viennent en appui d'autres types de fortifications. C'est l'origine de la mise en réseau des ensembles fortifiés de Briançon, de Château-Queyras, de la Bâtie du Pont et de Château-Dauphin.
Les seigneurs eux-mêmes se protègent mieux et il semblerait qu'on assiste à un second développement des fortifications privées, cette fois restreintes à de simples maisons-fortes, en raison de la mainmise comtale sur les châteaux. L'exemple de Sallanches, avec ses multiples maisons-fortes du XIVe siècle, en est l'illustration parfaite. La maison-forte n'est d'ailleurs pas l'apanage des petits seigneurs : en 1373, le comte de Savoie fait construire une maison-forte à Saint-Gervais, non loin de celle de Hautetour. Le châtelain de Montjoie y prend rapidement ses quartiers, délaissant l'ancien château.
Plus généralement, outre la construction de nouveaux ensembles fortifiés (7% des châteaux et 15% des autres ensembles), on assiste surtout au renforcement de ceux qui existent déjà à la fin de la guerre delphino-savoyarde. La fouille du site d'Albon donne l'image d'un château comtal ainsi transformé au fil des siècles, comprenant, dans l'ombre d'une tour maîtresse, un grand bâtiment abritant aula et camera, une probable écurie et une chapelle (doc. 178).
Ce mouvement de renforcement des ensembles fortifiés existants et, plus généralement, des réseaux castraux des deux principautés, se place dans la continuité des évolutions dues à la guerre delphino-savoyarde. Si le conflit s'achève en 1355, la menace récurrente des routiers et de voisins belliqueux, comme le marquis de Saluces ou les Provençaux en Briançonnais, impose le maintien d'une stricte vigilance. La problématique n'est cependant plus la même, car ces menaces n'ont rien à voir avec l'état de guerre permanent de la période précédente, ni avec celui que connaissent alors les territoires français et anglais en pleine guerre de Cent Ans. On n'observe donc pas, en Dauphiné et en Savoie, le phénomène de multiplication des tours maîtresses et de concentration de l'habitat dans ces dernières, mis en évidence dans de nombreux châteaux du nord de la France.931
DEMOTZ (B.), Le comté de Savoie du XI e au XV e siècle, p. 124.
NICOLAS (N.), La guerre et les fortifications du Haut-Dauphiné, p. 109.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Château_de_Miolans_savoie.jpg, avril 2009.
D'après POISSON (J.-M.), "Le château des comtes d'Albon (Drôme", dans Histoire et images médiévales, n°11, 2007.
MESQUI (J.), Châteaux et enceintes de la France médiévale, t. 1, p. 83-84.