Les principales recherches menées sur les chartes de franchises portent sur les villes franches de la période antérieure au traité de Paris. En Dauphiné, Pierre Vaillant recense ainsi 549 chartes de franchises promulguées entre 1164 et 1355, donc principalement par les deuxième et troisième dynasties delphinales.1011 En Savoie, Ruth Mariotte-Löber en dénombre 214 antérieures à 1343, concernant 67 villes différentes.1012 Cette dernière émet l'hypothèse qu'on connaît entre la moitié et les deux tiers des villes franches de cette période. En la suivant, on peut estimer leur nombre total à 80 en Savoie, au moins autant en Dauphiné, où le nombre considérable de chartes s'explique, entre autres, par leur renouvellement régulier à chaque changement de dynastie régnante.
A l'instar de celle de Coinaud, ces chartes peuvent servir de modèles à d'autres. Ruth Mariotte-Löber a ainsi pu diviser son corpus en 9 grandes familles, ayant pour modèles respectifs les chartes d'Aoste (1196), Villeneuve-de-Chillon (1214), Chambéry (1232), Bourg-en-Bresse (1251), Evian (1265), Moudon (1285), Pont-de-Beauvoisin (1288), Saint-Genix-sur-Guiers (1270) et Saint-Maurice-d'Agaune (1317). Il existe donc pratiquement un modèle propre à chaque bailliage savoyard de l'époque, ce qui confirme, une nouvelle fois, qu'il s'agit de l'échelle privilégiée dans l'organisation de l'espace au sein des deux principautés. Chaque charte est cependant réécrite en tenant compte des particularités locales. Ainsi, il n'est logiquement pas question d'un quelconque rempart à Sallanches, alors que son entretien est au cœur des autres chartes étudiées ici. Dans tous les cas, les chartes de franchisent imposent l'élection par la communauté de représentants chargés de veiller à leur application, le plus souvent qualifiés de syndics. Leur mode de désignation n'est en général pas défini par la charte et est donc laissé à la discrétion de la communauté… Ce qui explique qu'on ne le connaisse précisément dans aucun des exemples étudiés.
Les exemples présentés dans le chapitre précédent permettant de brosser un tableau assez complet des différentes mesures liées à la mise en œuvre de ces franchises, je n'y reviendrai pas dans le détail ici. Toutefois, il y a un point qui me paraît essentiel : dans les chartes delphinales, les habitants du bourg franchisé sont exemptés de toute taille, alors qu'ils restent taillables à Sallanches et Montluel. Quand on sait l'importance que peuvent avoir les tailles dans le revenu d'une châtellenie (29 à 52% des recettes de la châtellenie de Sallanches), il est évident que ce choix des Dauphins représente à la fois une incitation forte à venir s'installer dans les bourgs franchisés… et un manque à gagner important pour leurs finances. Les Dauphins, encore plus que les comtes de Savoie, tirent deux avantages principaux de ces chartes : ils s'assurent la fidélité des habitants et, dans la plupart des cas, se débarrassent de charges de gestion courante, en particulier celles liées au guet ou à l'entretien des remparts.
Ces chartes sont non seulement régulièrement renouvelées, mais aussi complétées par d'autres actes officiels, non pris en compte par Ruth Mariotte-Löber dans son inventaire, malgré leur intérêt pour l'étude de ce phénomène. Ainsi, le premier accord liant le suzerain à l'universitas de Sallanches, passé en 1293, précède de 17 ans la charte de franchises. Sa portée est certes limitée – l'organisation de la perception du droit de banvin – mais cet acte atteste de l'existence d'une communauté organisée à Sallanches dès la fin du XIIIe siècle. Celle-ci, outre la gestion des affaires proprement urbaine, à en charge des "bois communaux", sans doute situés le long de la Sallanche, ou entre la ville et le château.1013 Le manque d'informations sur le contexte d'apparition de ces communautés est dû, en grande partie, à la nature des chartes elles-mêmes, documents émanant de l'autorité souveraine et présentant donc une vision subjective du phénomène.
A Montluel, un acte de 1364 confie à la communauté juive la gestion du péage. Cette reconnaissance d'un groupe particulier n'est évidemment pas prévue par la charte de franchises et montre à la fois les limites de la portée de ces dernières et l'importance des communautés religieuses au sein des ensembles urbains. De ce fait, la seule forme de communauté dont l'existence soit attestée avant la promulgation de franchises est la paroisse, qui n'est cependant pas une communauté spécifiquement urbaine. C'est dans son cadre que se développent notamment les confréries connues à Moras, dont l'existence confirme que les relations internes à la communauté sont loin d'être entièrement réglées par les chartes de franchises. Le suzerain peut aussi tenter de modifier le statu quo instauré par ces chartes. A Montluel encore, les deux lettres de 1357 et 1360 font par exemple de l'entretien des fortifications et des fours une compétence de l'universitas.
VAILLANT (P.), Les libertés des communes dauphinoises.
MARIOTTE-LOBER (R.), op. cit., p. 99.
ADS SA14194, Sallanches (1369-1370) : (…) nemoribus communitate Salanchie (…).