2.1.2. Les communautés rurales

Le principe d'accords entre le pouvoir princier et les habitants existe aussi en contexte rural, mais il s'applique en général à une échelle beaucoup plus large. Nicolas Carrier a démontré que ces communitates étaient en Faucigny de simples associations d'habitants peu structurées, sans représentant permanent, destinées surtout à organiser l'exploitation des terroirs collectifs.1014 En revanche, il existe à Samoëns une communauté franchisée rassemblant l'ensemble des habitants de la châtellenie, reconnue en 1431 contre le versement de 100 écus (173 d).1015 De plus, l'envoi de représentants de chaque châtellenie aux Etats de Savoie ou du Dauphiné implique la réunion d'une grande partie de la population locale.

La tradition communautaire est d'ailleurs suffisamment fortement ancrée dans les habitudes montagnardes qu'elle aboutit, parfois, à la reconnaissance par les autorités seigneuriales de communautés à l'échelle d'une vallée, comme dans celles d'Aulps1016 et de Chamonix. Cette dernière prend forme en 1289, à l'occasion d'une révolte des habitants contre le prieur, soutenu par Béatrice de Faucigny, et est reconnue par trois arbitrages rendus par le comte de Genève (1292) et l'abbé de Saint-Michel (1330 et 1368). Ces mesures, négociées en 1368 par des syndics, concernent principalement, comme dans les communautés de hameaux, la gestion des terres communes. Cependant, avant 1441, cette universitas peut lever ses propres impôts et est structurée en trois niveaux (syndics, assemblée et conseil), ce qui témoigne d'une importante autonomie acquise face au prieur, dans le respect du droit seigneurial. Les syndics sont en effet renouvelés par cooptation, en présence du prieur ou de son représentant et ne semblent pas pouvoir exercer leur fonction sans le soutien unanime de l'assemblée. Le point le plus frappant est sans aucun doute le fait que la haute justice dans la vallée soit rendue par des prud'hommes nommés par les syndics, même si ces prud'hommes agissent toujours au nom du prieur.1017

Cet exemple assez particulier vient rappeler qu'en plein territoire savoyard, il existe des zones échappant à l'administration princière et, en partie, au cadre seigneurial traditionnel. Il en est de même dans toutes les zones dépendant directement d'établissements religieux, qu'il s'agisse de monastères ou de commanderies. On a ainsi vu que le prieuré de Manthes exerce la basse justice sur ses terres et que les hommes qui relèvent de son autorité ne bénéficient pas des franchises de Moras. Le cas de la vallée de Chamonix montre aussi que l'instauration de franchises, étudiée jusque-là sous l'angle de la politique princière, peut aussi être provoquée à l'initiative des habitants. D'une certaine manière, cet exemple se rapproche ainsi, à un siècle de décalage, de l'érection de l'église de Sallanches en collégiale, à la demande des paroissiens eux-mêmes (1391). Il ne faut cependant pas y voir la marque d'une différence d'approche significative entre le pouvoir princier et les autorités religieuses. En effet, la révolte des Chamoniards en 1289 provoque l'intervention directe des deux suzerains et, après 1355, le comte de Savoie reprend à son compte la garde du prieuré et de la vallée, confiée au châtelain de Montjoie.

Enfin, les communautés rurales ne sont pas une particularité montagnarde. Les villages de Baugé et Epinouze, placés sous la garde du châtelain de Moras, sont qualifiés dans les années 1370 de communitates. Toujours dans le bailliage de Viennois-Saint-Marcellin, les juifs sont eux aussi considérés comme une communauté à part entière, qui se réunit à Moras. Comme les Lombards, les juifs occupent une place marginale dans la société delphino-savoyarde, mais elle ne les empêche pas d'occuper une place de choix dans le tissu économique local, comme le montre l'exemple de l'affermage du péage de Montluel par le comte de Savoie.

Notes
1014.

CARRIER (N.), La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Age, p. 497-513.

1015.

Ibid., p. 502-503.

1016.

Ibid., p. 506.

1017.

Ibid., p. 508-513.