Le Cosmos Club

Le 11 juillet 1950, le comité exécutif du Conseil des régents de la Smithsonian Institution tient une réunion au Cosmos Club, le club de l’intelligentsia de Washington, à quelques pas de la Maison Blanche. Le secrétaire de la S.I., Alexander Wetmore, est membre du club et c’est probablement à son invitation que les cinq régents du comité exécutif se réunissent dans la Colonial Room. Ce n’est là qu’une occasion de constater l’implication de la Smithsonian Institution dans les réseaux sociaux d’un club qui rassemble l’élite fédérale et les hommes de sciences et de lettres dans la capitale fédérale, car les liens entre ce lieu de pouvoir informel et la S.I. sont nombreux : parmi les anciens présidents du club, on compte en particulier six secrétaires ou sous-secrétaires de la Smithsonian Institution ; Paul Oehser, chargé des relations publiques de la S.I. de 1950 à 1966, est secrétaire du club pendant près de 20 ans, avant d’en devenir brièvement président78.

Avant de s’installer dans ses bâtiments de Lafayette Square, la place qui jouxte la Maison Blanche, le Cosmos Club fait ses débuts sur la prestigieuse Pennsylvania Avenue qui relie le Congrès et le siège du pouvoir exécutif. Le Club est créé en 1878 à l’instigation de John Wesley Powell ; il a pour second président le secrétaire de la Smithsonian Institution Spencer F. Baird. Powell, lui, devient l’année suivante le premier directeur du Bureau d’ethnologie de la S.I. et acquiert en 1881 le titre de directeur de la U.S. Geological Survey, créée trois ans auparavant par le Congrès. Baird comme Powell illustrent bien ce que seront les critères d’admission : selon le règlement de 1905, les membres du club doivent soit être des scientifiques, écrivains ou artistes reconnus, soit exercer une profession savante ou enfin s’être illustrés au service de la cause publique79. Ces règles d’admission créent en pratique un cercle social où les détenteurs d’un doctorat de la Ivy League sont légion ; les membres du club sont quadragénaires voire quinquagénaires lors de leur admission et sont, de ce fait, bien avancés dans leur carrière80. Si le club se plaît à mettre en avant ses objectifs intellectuels et s’enorgueillit des prix Nobel et Pulitzer reçus par nombre de ses membres81, il fait aussi une large place à l’élite politique et administrative de Washington. Parmi les plus prestigieux, on compte trois présidents des Etats-Unis, deux vice-présidents, douze juges de la Cour Suprême, mais également nombre de hauts dirigeants fédéraux. Ainsi, si l’on en croit Waldo G. Leland, président du Cosmos Club en 1943, les bâtiments de Lafayette Square sont un lieu d’échanges féconds en temps de guerre :

‘We all realize how important and at the same time how difficult it has been to bring together persons working on the same or closely related matters, but in different branches of the Governement. The Cosmos Club has been the place where such have been brought together, usually by some non-governmental organization, such as one of the research councils [...]
One cannot fail to note that our fellow members – Vannevar Bush, Director of the Office of Scientific Research and Development; James B. Conant, Chairman of the National Defence Research Committee; Harvey N. Davis, Director of the Office of Production Research and Developpment; Leonard Carmichael, Director of the National Roster of Scientific and Specialized Personnel; Harry A. Millis, Chairman of the National Relations Labor Board; Leo Pasvolsky, in charge of special research for the Department of State; and Charles A. Thompson, Chief of the Division of Cultural Relations of the same Department; as well as Amos Taylor, Director of the Bureau of Foreign and Domestic Commerce – rarely have luncheon by themselves. Certainly they always appear to be in earnest consultation with others about matters of public import.82

En 1943, cette longue énumération de personnalités vise à prouver l’utilité du Cosmos Club pour l’effort de guerre, alors que ses bâtiments sur Lafayette Square sont menacés par l’expansion des fonctions fédérales autour de la Maison Blanche. Pour tactique qu’il soit, le discours de Leland n’en reste pas moins révélateur de la fonction sociale jouée par le Club.

Notes
78.

Wilcomb E. Washburn, The Cosmos Club of Washington, A centennial history 1878-1978 (Cosmos Club, 1978), appendix III : Presidents, Secretaries and Treasurers of the Cosmos Club, 1878 – 1978.

79.

Ibid. , p. 103.

80.

Ibid. , appendix XII : Universities and Colleges attended by Members ; appendix VIII : Age of Members at Election and Death, 1878-1978.

81.

Ibid. , appendix VI : Cosmos Club Winners of Nobel and Pulitzer Prizes.

82.

Waldo G. Leland, « Address to the Sixty-Fifth Anniversary Dinner of the Club », 16 novembre 1943, in Washburn, The Cosmos Club, p. 92.