La carrière des employés de la S.I.

C’est probablement grâce aux réseaux sociaux dont le Cosmos Club est la trace que s’opère un tournant important dans l’administration de la Smithsonian Institution, lorsqu’elle commence à recruter des administrateurs issus de l’administration de l’Etat fédéral. Depuis l’entre-deux guerres, les pratiques administratives se professionnalisent dans les entreprises comme au sein de l’Etat. Le tournant à la Smithsonian Institution a lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque de nouveaux postes d’administrateurs professionnels sont créés. Pour la première fois, la S.I. s’attache au début des années 1950 les services d’un conseiller juridique86. En 1945 puis 1947, le secrétaire, Alexander Wetmore, est désormais secondé par deux sous-secrétaires, John E. Graf et John L. Keddy87. Les deux hommes sont issus de l’administration fédérale – et incidemment, membres du Cosmos Club. John Graf vient du Bureau d’Entomologie du Ministère de l’Agriculture et John Keddy du Service du Budget. En employant Keddy, Wetmore choisit de s’allier un homme qui connaît bien l’établissement, pour avoir traité ses demandes budgétaires chaque année en tant qu’employé des services fédéraux du budget. Mais Keddy est surtout précieux pour sa connaissance intime du fonctionnement budgétaire et ses connaissances dans les services du pouvoir exécutif. La stratégie de Wetmore semble avoir été concluante puisqu’en 1959, le nouveau sous-secrétaire James Bradley vient lui aussi des services du pouvoir exécutif. Son parcours est plus divers et prestigieux, et d’autant plus utile à la Smithsonian Institution : après avoir travaillé au Service du Budget dans les années de l’après-guerre comme analyste, Bradley passe dans les années 1950 au Ministère de l’Intérieur (auquel est informellement rattachée la Smithsonian Institution) sous les ordres du sous-secrétaire du ministère. Enfin, la tradition semble solidement établie en 1980, lorsque Phillip Samuel Hugues, ancien vice-directeur du Service du Budget puis administrateur au Ministère de l’Energie devient secrétaire adjoint de la Smithsonian Institution. Le parcours de Keddy, Bradley puis Hugues et leur arrivée à la S.I. est le signe d’une professionnalisation de l’administration grâce à une division accrue du travail administratif, mais également le signe d’une plus grande intégration de la Smithsonian Institution à l’administration de l’Etat.

La porosité entre les emplois au sein de l’Etat et ceux de la Smithsonian Institution ne date cependant pas de la Seconde Guerre mondiale. Déjà dans les années 1910, Wetmore lui-même, alors jeune ornithologue, commence sa carrière au Ministère de l’Agriculture avant de rejoindre la Smithsonian Institution dont il devient le sous-secrétaire en 1925 puis le secrétaire en 1945. A un niveau beaucoup plus modeste, Helena Weiss est employée en 1930 comme sténo au Service des Anciens Combattants (Veterans’ Administration), avant de travailler pour le Musée National dont elle devient Registrar en 1956. Mais le passage d’un emploi de fonctionnaire fédéral à un emploi à la Smithsonian Institution, ou inversement, n’est pas le seul fait des administrateurs : les conservateurs de musée ont souvent des trajectoires similaires, essentiellement dans les disciplines scientifiques. A l’instar de Wetmore, un certain nombre de conservateurs a travaillé au Ministère de l’Agriculture, comme les entomologistes John Frederick Gates Clarke et Curtis W. Sabrowsky ou le botaniste Raymond Fosberg. D’autres viennent de la United States Geological Survey ou du Bureau of Biological Survey. Enfin, quelques employés du secteur de la communication et de la publication à la Smithsonian Institution viennent également de l’administration fédérale. Paul Oehser, directeur des publications à la S.I. jusqu’en 1966, a commencé sa carrière au service des publications du Bureau of Biological Survey. Le directeur du service des télécommunications à la S.I., Nazaret Cherkezian, a lui fait carrière auparavant dans la production télévisuelle, en particulier au National Public Affairs Center for Television dans les années 197088. Que ces emplois soient payés sur les fonds fédéraux ou sur les fonds propres de la Smithsonian Institution, on peut supposer que leurs parcours professionnels indiquent une culture commune de l’emploi au service de l’Etat.

Notes
86.

Alexander Wetmore, transcription du 1er entretien d’histoire orale avec Myriam Freilicher, 18 avril 1974, S.I.A., record unit 9504, p. 23.

87.

Alexander Wetmore, transcription du 2e entretien d’histoire orale avec Myriam Freilicher, 8 mai 1974, S.I.A., record unit 9504, p. 42.

88.

Les informations biographiques sur toutes les personnes citées plus haut proviennent des notices biographiques qui introduisent les entretiens d’histoire orale de la Smithsonian Oral History Collection. La collection comprend plus de 70 entretiens individuels, que j’ai pris comme échantillon pour examiner les parcours professionnels des employés.