Le statut de la Smithsonian Institution en question au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

C’est au cours des années 1950 que les réorganisations administratives se font le plus menaçantes pour la Smithsonian Institution.En effet, après l’expansion des institutions du pouvoir exécutif entamée dans les années 1930, une commission qui siège de 1947 à 1949, puis de 1953 à 1955, s’attache à en réorganiser les institutions et ouvre une ère de stabilisation. Cette réorganisation est suivie par un mouvement de réforme au Congrès qui prend ses racines dans les années de l’après-guerre et qui aboutit à des mesures concrètes dans les années 1970. La réorganisation des services du pouvoir exécutif, tout comme la réforme du Congrès, posent la question de la place de la Smithsonian Institution dans l’Etat.

La commission sur les services du pouvoir exécutif siège à partir de septembre 1947. Informellement appelée commission Hoover car elle est dirigée par l’ancien Président des Etats-Unis, la commission a un rôle consultatif. Elle a pour mission de rationaliser l’organigramme du pouvoir exécutif et de promouvoir des pratiques plus économes et plus efficaces, notamment par la diminution du nombre de ministères195. Les recommandations de la commission conduisent à une réorganisation des domaines de compétence des ministères et notamment à la création d’une nouvelle agence, l’administration des services généraux (General Services Administration, G.S.A.). Or le rapport de la commission Hoover recommande de nouvelles procédures administratives selon lesquelles la Smithsonian Institution passerait par la G.S.A. pour traiter avec le Président des Etats-Unis et avec les divers services du pouvoir exécutif196.

Le 13 janvier 1950, les régents s’en émeuvent lors de leur réunion annuelle et soulignent l’inefficacité de cette procédure centralisée, quand la Smithsonian Institution collabore quotidiennement et de manière horizontale avec les services scientifiques des ministères. Par ailleurs, le prestige symbolique de la Smithsonian Institution est en jeu si les recours (très rares) au président doivent se faire par la voie hiérarchique, car le président est statutairement dirigeant de la S.I.197. Lors de l’examen des recommandations de la commission Hoover par le Congrès, les administrateurs de la Smithsonian Institution – avec le soutien du Service du Budget et donc de la présidence – font tactiquement valoir auprès des commissions parlementaires concernées l’inefficacité et les coûts supplémentaires qu’impliquerait la nouvelle procédure et obtiennent gain de cause à la fin de l’année 1950198. L’établissement ne fait donc pas partie des organisations auxquelles s’applique la procédure de recours à la G.S.A., ce qui représente une victoire pour les tenants de l’indépendance. La question revient à l’ordre du jour des réunions annuelles du Conseil des régents du 18 janvier 1952 et du 16 janvier 1953. Le fait que la Smithsonian Institution ne soit pas incluse dans cette réforme illustre d’une part la vigilance continue qu’exercent les administrateurs de la S.I. pour protéger leur statut et d’autre part, le soutien que leur accorde les services du pouvoir exécutif.

La question déjà évoquée du statut du personnel, notamment du droit des employés de la Smithsonian Institution à bénéficier de certaines prestations fédérales, prend elle aussi sens dans le cadre de l’évolution de l’Etat. Rappelons que l’application du Federal Insurance Contributions Act de 1945 à tous les employés de la S.I. est mise en question par le Service du Budget, car malgré des statuts similaires, certains de ces employés ne sont pas fonctionnaires. Le problème posé par la distinction entre fonctionnaires et non fonctionnaires tient aux nouvelles prérogatives de l’Etat social : Le Congrès vote nombre de lois sociales qui donnent accès à diverses prestations, telles le Servicemen’s Readjustment Act de 1944 ou les expansions successives du Social Security Act à partir de 1935. Ces nouvelles prérogatives sociales de l’Etat impliquent la définition de catégories exclusives d’ayants droit, en l’occurrence, les fonctionnaires199. Le conflit larvé entre la Smithsonian Institution et l’Etat sur la question tient donc à une inadéquation entre de nouveaux droits accordés aux fonctionnaires et la pratique coutumière de la S.I. consistant à aligner les conditions de travail de ses employés de droit privé sur celles des fonctionnaires.

Dans la décennie qui suit la guerre, l’ordre du jour du Conseil des régents fait état d’une vigilance constante sur le statut de la Smithsonian Institution. Au Conseil, on invoque la pratique des cent premières années pour justifier un statu quo institutionnel200. Si l’argument de la fidélité aux origines a le mérite de l’efficacité politique, il ne s’agit pourtant pas de maintenir une hypothétique situation originelle. En réalité, les responsables de la S.I. font un travail continu d’adaptation au champ de forces mouvant de l’Etat. Ainsi, alors que le pouvoir exécutif connaît d’importantes mutations dans les années 1950, la Smithsonian Institution parvient à faire valoir son argumentaire exceptionnaliste : elle n’est comparable à aucune autre structure et ne peut être considérée selon les règles qui régissent les institutions fédérales. Tout en ayant fortement intégré le fonctionnement étatique sur lequel elle s’aligne pour de nombreuses procédures, elle échappe à une subordination à la G.S.A. et navigue dans une zone de flou institutionnel sur la question des prestations sociales accordées à ses employés non fonctionnaires. Après les années 1960, alors que les institutions étatiques ont connu une forte expansion et que la Smithsonian Institution a crû de manière spectaculaire, le paysage institutionnel est remarquablement différent. La position de la S.I. hors de l’organigramme de l’Etat semble acquise ; cependant la question de sa subordination réapparaît d’une autre manière, lorsque le Congrès éprouve le besoin de clarifier les relations qu’il entretient avec elle. S’ouvre alors une décennie de relations houleuses entre le Capitole et la Smithsonian Institution

Notes
195.

Elmer P. Wohl, "Summary of Reports of the Hoover Commission," Public Administration Review 9, no. 2 (1949), p. 73.

196.

Ibid. p. 80.

197.

Board of Regents Minutes, 13 janvier 1950, S.I.A., record unit 1, p. 1305.

198.

Board of Regents Minutes, 13 janvier 1950, S.I.A., record unit 1, pp. 1346-1347.

199.

Gérard Noiriel a souligné le rôle de l’Etat dans la construction de catégories d’ayants droit, notamment dans la construction de la nationalité et des politiques sociales. Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers : la République face au droit d'asile, XIXe - XXe siècle, 2e ed. (Hachette Littératures, 1998), p. 310.

200.

Board of Regents minutes, 18 janvier 1952, S.I.A., record unit 1, p. 1347.