Les modalités d’exercice de l’autorité de l’Etat

Toute relation d’autorité implique un minimum d’assentiment ; ainsi, la légitimité que prêtent les acteurs de la Smithsonian Institution à l’autorité du Congrès est un paramètre important pour l’avenir de leurs relations227. C’est pourquoi le rapport de Thompson commence par établir les fondements de sa propre autorité. En premier lieu, il rappelle que le Congrès n’a pas fait d’audition générale sur la Smithsonian Institution depuis plus de cent ans228. Il poursuit avec une énumération des projets de loi sur la S.I. soumis au Congrès en 1970, qui se conclut ainsi :

‘As this abbreviated list of bills affecting the Smithsonian shows, it is entirely appropriate for this Subcomittee to gather information regarding the S.I.. Although the hearings were not expressly convened for the purpose of airing the criticisms which have recently been made of the S.I.’s operations and policies, the hearings provided an appropriate forum for examining some of the criticism. The hearings also brought out many impressive and constructive achievements of the S.I.229.’

Dans ce passage, l’autorité du Congrès s’appuie d’une part sur la légitimité des règles du fonctionnement bureaucratique230 et d’autre part, sur la reconnaissance accordée au travail accompli par la Smithsonian Institution. Mais après cette captatio benevolentiae, la définition des relations entre la S.I. et l’Etat est sans équivoque. Dans le rapport, elle est précédée par un point en apparence moins central, à savoir la procédure de consultation du Congrès sur le Hirshhorn Museum. Loin d’être une question de procédure anecdotique, l’affaire Hirshhorn est une entrée en matière dans le rapport : elle est l’illustration concrète de la trop grande indépendance que s’arroge la S.I. et introduit la définition institutionnelle des relations entre la Smithsonian Institution et l’Etat. C’est à une véritable mise au pas de la S.I. que se livre ensuite l’auteur du rapport :

‘Although most of the physical expansion of the Smithsonian and the bulk of its operating expenses and salaries comes from Federal appropriations, the Smithsonian often regards itself as a private institution. There is evidence that Congress intended for the Institution to exercise the freedom this connotes within the Federal establishement. Although it wished to insulate the Smithsonian from the disruptive effect of political changeovers in the government, Congress provided adequate means to exercise control over the Smithsonian. It has three Senators and three Members of the House on the Board of Regents. The Executive and the Judicial branches of Government are also represented on the Board of Regents by the Vice-President and Chief Justice of the United States. The Congress can control most Smithsonian activities through control of Federal appropriations. The citizen members of the Board of Regents must be appointed by Joint Resolution of the Congress for set terms.
The President’s powers over the Smithsonian rest in his power to appoint members to various of the Smithsonian’s Commissions and Boards of Trustees and in his power to veto acts of Congress. The Smithsonian depends on many Federal agencies for scientific specimens, historical objects, and other forms of assistance. This assistance is derived through the President.
These devices of public control over the S.I., shared by the three major branches of the Federal government, clearly indicate that the Smithsonian is a public institution. Therefore, the Smithsonian’s characterization of itself as “private” cannot inhibit appropriate Federal inquiry into Smithsonian activities.231

Par ailleurs, la sous-commission émet dans son rapport trois recommandations de nature différente. L’orientation est-ouest (plutôt que nord-sud) du futur jardin de sculptures modernes fait l’objet d’une première recommandation. La seconde demande la publication des comptes dits « privés » de la Smithsonian Institution, la dernière concerne une amélioration des procédures de promotion du personnel. Si la seconde recommandation s’oppose frontalement au refus de la Smithsonian Institution de faire contrôler ses fonds propres par le Congrès, les deux autres ne sont pas autant investies d’enjeux identitaires. Dans la formulation de la première et de la troisième, la sous-commission semble s’appliquer à jouer un rôle de médiateur entre les défenseurs et les adversaires du jardin et les employés et leurs employeurs. La Smithsonian Institution peut appliquer ces deux recommandations de moindre importance sans perdre la face ; de ce fait, la démonstration d’autorité de la recommandation centrale s’en trouve quelque peu atténuée.

Le rapport n’offre cependant qu’une vision partielle de la manière dont s’exerce l’autorité du Congrès car les interactions entre les membres de la sous-commission et les administrateurs de la Smithsonian Institution impliquent d’autres modalités de l’exercice du pouvoir. En effet, des recommandations importantes et potentiellement humiliantes sont faites durant l’audition ; elles ne sont pourtant pas reprises dans le rapport. C’est en particulier le cas d’une remarque sur le conflit d’intérêt qu’il y a pour un élu du Congrès à être régent et simultanément, membre de la commission budgétaire qui auditionne chaque année la Smithsonian Institution 232. A cela s’ajoutent les accusations de négligence sur les collections du National Air and Space Museum. Si ces deux points ne figurent pas au rang des recommandations officielles, il y a fort à parier que les représentants de la Smithsonian Institution ont été attentifs à toutes les critiques à l’encontre de leur institution, ces deux points y compris. Ainsi s’élaborent de nouvelles règles, malgré leur très faible degré de formalisation comme dans le cas de ces deux remarques. Le rapport ne représente donc que la forme bureaucratique que prend l’exercice du pouvoir ; la manifestation d’autorité la plus importante dans cette confrontation a probablement été la situation d’interaction entre les administrateurs de la Smithsonian Institution et la sous-commission de la Chambre des représentants.

La situation de conflit qui culmine dans l’audition parlementaire de 1970 est un moment privilégié pour évaluer les rapports de force et les relations entre la Smithsonian Institution et ses interlocuteurs au Congrès. Conformément à l’analyse que fait Crozier des conflit entre organisations, les événements de 1970 ne sont pas tant le symptôme d’un dysfonctionnement que le moment où s’élaborent de nouvelles règles233. En d’autres termes, pour prolonger la réflexion de Heclo, qui envisage les relations entre les personnels politiques et leur administration comme une « coopération sous conditions », le moment du conflit est celui où sont posées ces conditions. Dans la mesure où le rapport se conclut sur la confiance qu’accorde généralement le Congrès à la Smithsonian Institution, la délégation de pouvoir de l’Etat aux administrateurs des musées nationaux n’est pas remise en cause. Peut-on pour autant parler de « coopération » entre les deux parties ? La « coopération sous conditions » suppose que dans le cadre de sa subordination hiérarchique, la Smithsonian Institution dispose d’une certaine initiative. Or un nouveau conflit, qui prend de l’ampleur tout au long de l’année 1977, établit les nouveaux contours de l’autonomie que le Congrès accepte de lui conférer.

Notes
227.

Weber, Economie et société , pp. 285-286.

228.

L’argument est frappant, mais discutable dans la mesure où l’audition annuelle de la S.I. (au cours de laquelle sont examinées les demandes budgétaires de la S.I.) donne lieu à une présentation de la S.I. et à de nombreuses questions de la part des parlementaires.

229.

91e Congrès, 2e Session, Chambre des Représentants, Committee on House Administration, « Subcommittee on Library and Memorials Report : Smithsonian Institution, Background and Present Policies », report no. 91-1801, p. 2.

230.

Dans le sens que donne Weber au terme, à savoir un système de domination fondé sur une règle préétablie et impersonnelle, comprenant des mécanismes de contrôle pour les autorités, ainsi que des mécanismes d’appel pour les subordonnés. Weber, Economie et société , pp. 290-292.

231.

91e Congrès, 2e Session, Chambre des Représentants, Committee on House Administration, « Subcommittee on Library and Memorials Report : Smithsonian Institution, Background and Present Policies », report no. 91-1801, p. 10.

232.

91e Congrès, 1ère session, Chambre des Représentants, « General Hearings before the Subcommittee on Library and Memorials of the Committee on House Administration », audition du 16 juillet 1970, vol. I, p. 129.

233.

Michel Crozier, Le phénomène bureacratique : essai sur les tendances bureaucratiques des systèmes d'organisation modernes et sur leurs relations en France avec le système social et culturel (Paris: Seuil, 1971).