Consensus sur le discours porté par le nouveau musée

Le projet de Museum of History and Technology semble ainsi avoir bénéficié du concours actif de nombreux acteurs aux divers niveaux du système fédéral. Le projet a révélé sinon l’unanimité, du moins une absence notable d’opposition dans les cercles du pouvoir fédéral. A la lumière rétrospective des grands débats historiographiques qui secouent l’université, puis les musées et l’enseignement secondaire des années 1960 aux années 1990, il est frappant de constater que le discours sur l’histoire des Etats-Unis au M.H.T. n’est pas un enjeu de débat public dans les années 1950 et au début des années 1960. Dans un descriptif du projet, la vocation du musée est décrite comme suit :

‘The Museum of History and Technology will exhibit the national collections which illustrate the historical, cultural, and technological development of the United States. It will place before millions of visitors a stimulating permanent exposition highlighting our national history and the basic elements of our way of life332.’

Conformément à la tendance historiographique la plus reconnue à l’époque aux Etats-Unis333 et selon un ressort courant des historiographies nationales depuis le XIXesiècle334, l’histoire des Etats-Unis est ici fondée sur un présupposé : celui d’une évidente communauté de destin. Le texte de loi qui autorise la construction du musée ne comporte pas de spécifications sur son contenu discursif, si l’on excepte la vocation générale que lui donne son nom335. Taylor explique l’intérêt et le soutien de George Dondero comme de Clarence Cannon par leur passion pour l’histoire nationale, sans qu’il soit question d’une vision particulière de cette histoire. La presse, qui relaie les étapes de la mise en œuvre du projet, ne fait pas état du moindre dissensus sur le contenu du musée.

Il n’y a donc pas de questions historiographiques mises en débat à l’occasion de la création du Museum of History and Technology. Est-ce à dire que la définition de la nation ne fait pas l’objet de débats dans le champ muséographique des années 1950 ? Les prises de position publiques de George Dondero peu de temps auparavant suggèrent l’inverse. Celui qui soutient le projet de M.H.T. en 1954 s’est rendu célèbre deux ans auparavant pour sa croisade contre l’art moderne. Lors d’une intervention au Congrès intitulée « Communist Conspiracy in Art Threatens American Museums », il fonde son jugement sur une défense de l’héritage national :

‘The weapon of the Russian Revolution is the art which has been transplanted to America, and today, having infiltrated and saturated many of our art centers, threatens to overawe, override and overpower the fine art of our tradition and inheritance. So-called modern or contemporary art in our own beloved country contains all the “isms” of depravity and destruction. All of these isms are of foreign origin and truly should have no place in American art – all are instruments and weapons of destruction336.’

Dans cette dénonciation véhémente des dangers que fait courir l’art moderne à la nation parce qu’il est étranger, Dondero partage les vues de bon nombre de personnalités au Congrès et dans la presse conservatrice337. A la lumière de cet épisode, on comprend mieux l’importance que prend le soutien de Dondero au projet de Museum of History and Technology dans le récit de Frank Taylor. Par contraste, voici comment Leonard Carmichael plaide en faveur du projet en 1955 devant une sous-commission de la Chambre :

‘Our situation is even more incredible when we consider the lengths to which nations behind the Iron Curtain will go to impress the world with their so-called scientific and cultural advances. [...] Recently the Russians announced plans to convert the entire Kremlin into a great national museum glorifying the Russian State. [...] Can we – confident in our knowledge of the good things that our way of life brings to all our citizens – dare we fail to demonstrate to our visitors the progress that has made our free nation great ? Here, then, is an area in which the Smithsonian can uniquely serve an outstanding national need.”338

L’un des critères déterminants dans le vote du Congrès est donc la compatibilité du projet avec la défense de valeurs nationales. L’attitude de Dondero à propos de l’art moderne contraste fortement avec son soutien à la Smithsonian Institution en 1955 parce que l’histoire nationale véhiculée par le Museum of History and Technology n’est pas le lieu du débat sur l’identité nationale dans les années 1950.

Notes
332.

« Outline program, Museum of Historyand Technology, Draft, September 1955 », SIA, RU 334, B 81, Outline of Program M.H.T..

333.

La plus célèbre illustration en étant l’ouvrage de Louis Hartz, The Liberal Tradition in America: An Interpretation of American Political Thought since the Revolution (Harcourt, Brace, 1955)

334.

Voir par exemple l’analyse que fait John Higham des premiers historiens professionnels aux Etats-Unis, qui partagent selon lui une conception de l’histoire mettant l’accent sur la solidarité nationale. John Higham, History : Professional Scholarship in America (Baltimore and London: John Hopkins University Press, 1965), 158. On constate le même phénomène outre-Atlantique, avec Jules Michelet, Histoire de France, Oeuvres complètes (Paris: Flammarion, 1971), ou Gustav Johann Droysen, Geschichte der preußischen Politik (bis 1756) (Leipzig: Veit & Comp, 1855-1886).

335.

« An Act Making appropriations for the Department of the Interior and related agencies for the fiscal year ending June 30, 1957, and for other purposes », 84e Congrès, 2e session, 13 juin 1956, 70 Stat. 257

336.

George A. Dondero, « Communist Conspiracy in Art Threatens American Museums », 82e Congrès, 2e session, 17 mars 1952, Congressional Record, 2423-2427.

337.

Frances Stonor Saunders, The Cultural Cold War : the CIA and the World of Arts and Letters (New York: The New Press, 2000), 253.

338.

Leonard Carmichael, discours devant le Subcommittee of Buildings and Grounds, Committee on Public Works, Chambre des Représentants, 29 avril 1955, folder : Mr Taylor’s National Museum of Science and Industry, R.U. 334, S.I.A., 7.