Retards

On ne s’attardera pas sur les délais de construction qui repoussent l’ouverture du musée pendant plusieurs mois au début des années 1960. En revanche, il est important de revenir sur le premier échec du projet de loi en 1954 avant le vote favorable de 1955. Ce délai d’un an, dû à la querelle sur le site du musée, mérite explication car il situe le projet de musée dans les enjeux urbanistiques de la ville au début des années 1950. Or la question de la politique urbaine est particulièrement importante dans la capitale fédérale, véritable laboratoire de la politique urbaine nationale339. Les deux projets de loi concurrents sur le Museum of History and Technology placent le musée soit aux côtés du New National Museum, complétant ainsi la série de musées qui encadre le National Mall, soit au sud du National Mall, dans un immense projet de construction couvrant 200 hectares, le Southwest Redevelopment Project, mené par l’Etat340 en coopération avec des intérêts privés. Le projet est lancé au début des années 1950 et vise à remplacer un habitat très dégradé par un quartier économiquement dynamique à proximité de l’hypercentre monumental. Réalisé par le célèbre promoteur immobilier William Zeckendorf, le projet est chaudement soutenu par le Washington Post 341.

Le Museum of History and Technology serait-il situé dans un nouveau quartier moderne, prestigieux et relativement central, ou inséré dans l’hypercentre monumental au pied du Capitole ? Le site du Sud-Ouest n’était pas sans mérites et Zeckendorf semblait avoir suffisamment de poids pour que la Smithsonian Institution adopte une attitude conciliante. Au début de l’année 1954, Leonard Carmichael réaffirme à Zeckendorf sa préférence pour le site du National Mall, mais lui propose que le projet de National Air Museum, ou ceux de planetarium et d’auditorium national soient inclus dans l’ensemble du Sud-Ouest. Vu l’état d’avancement moindre de ces divers projets de la S.I. et la priorité accordée par ses administrateurs au Museum of History and Technology, la concession peut sembler minime. Mais si l’on en croit le témoignage de Frank Taylor, le secrétaire de la S.I. prend très au sérieux les pressions exercées par Zeckendorf et envisage d’accepter comme un pis-aller le site du Sud-Ouest – car un musée sur un site passable vaut mieux que de totalement compromettre la réalisation du Museum of History and Technology 342.

Le prestige de Zeckendorf, l’appui des éditorialistes du Washington Post et enfin l’enjeu national que représente la rénovation urbaine de la capitale, jouent en faveur du Sud-Ouest. Comment alors expliquer que la Smithsonian Institution ait finalement eu gain de cause ? Car suite à l’échec des deux projets de loi concurrents en 1954, seul celui qui promeut le site du National Mall pour le Museum of History and Technology est soumis au vote des parlementaires en 1955 et accepté. L’échec rapide du projet de musée dans le Sud-Ouest a plusieurs causes. Alors que le projet de rénovation urbaine est effectivement orchestré par la puissance publique, c’est surtout le promoteur privé qui a intérêt à ce qu’un prestigieux musée soit installé dans le nouvel ensemble pour le rendre plus attractif. Pour des raisons financières, Zeckendorf avait également intérêt à attirer des institutions fédérales (ou semi-fédérales, comme la Smithsonian Institution) dans son projet343. La promotion du site du Sud-Ouest pour le nouveau musée reflète essentiellement un intérêt privé et pour cette raison, ne trouve pas de relais durable au Congrès – contrairement à l’autre site. James Auchincloss, qui soumet à la Chambre le projet de loi favorable à Zeckendorf en 1954, change d’avis au printemps 1955 et laisse le champ libre au projet de loi soutenu par la Smithsonian Institution. Le site du Sud-Ouest n’était pas une véritable alternative au site du National Mall dans la mesure où il ne permettait pas de construire un bâtiment aussi grand et parce qu’il se situait derrière un entrepôt fédéral et le long d’une ligne de chemin de fer344. Il était facile dans ces conditions de montrer que le site de Zeckendorf nuisait à la cause du nouveau musée et ainsi, à la représentation de l’histoire et de la technologie nationale dans la capitale fédérale.

La création du Museum of History and Technology a pour contexte la nouvelle politique budgétaire et culturelle des Congrès successifs tout autant que le nouveau rôle social des musées après la Seconde Guerre mondiale. Cette relecture de l’origine du musée nous permet de voir que la création d’un nouveau discours sur la nation mis en œuvre au M.H.T. et la conception de nouvelles expositions se font en l’espace de dix ans. Entre le début des années 1950, où l’on rénove les expositions dans l’idée de les transférer dans le nouveau musée et le début des années 1960, où l’on conçoit les expositions du Museum of History and Technology, aucune controverse sur l’objectif du musée n’aura ralenti la mise en œuvre. Tout au plus aura-t-elle été retardée par des problèmes pratiques et relativement ordinaires dans la construction et par un conflit d’intérêt avec le promoteur du nouveau quartier du Sud-Ouest. C’est à l’aune de cette première grande réalisation de l’après-guerre que l’on pourra évaluer le temps, beaucoup plus long, que prend la mise en œuvre de deux autres projets d’envergure comparable, le National Air Museum et le National Armed Forces Museum.

Notes
339.

Howard Jr. Gillette, "A National Workshop for Urban Policy : the Metropolitanization of Washington, 1946-1968," The Public Historian 7, no. 1 (1985).

340.

via la Southwest Land Redevelopment Agency du District of Columbia.

341.

Zeckendorf a fait l’objet d’une grande attention médiatique en 1946 lors d’une transaction immobilière à New York, au cours de laquelle il cède à la famille Rockefeller le futur site du complexe des Nations Unies. A propos de son projet immobilier à Washington, D.C., voir Cohen, "American Civilization in Three Dimensions" , p.148 ; Gillette, "A National Workshop for Urban Policy," p.13.

342.

Frank Taylor, transcription du 14e entretien avec Pamela Henson, 26 novembre 1980, S.I.A., record unit 9512, pp. 429-431.

343.

Cohen, "American Civilization in Three Dimensions" , pp. 148-149.

344.

Ibid., p. 152.