Pour établir la date fondatrice des projets de National Air Museum (N.A.M.) et du National Armed Forces Museum (N.A.F.M.), nul besoin de longs développements. Le National Air and Space Museum est fondé sur les collections d’armes, d’uniformes et d’avions du Musée National nées au XIXe et au début du XXe siècles. A la Smithsonian Institution, on met également en avant une tradition de recherche en aéronautique et en astrophysique, qui remonte aux expériences infructueuses de Samuel Pierpont Langley, troisième secrétaire de la Smithsonian Institution et concurrent des frères Wright à l’époque où la première machine volante n’existait pas encore345. Mais contrairement au Museum of History and Technology, qui peut se revendiquer de l’héritage du Museum of Engineering and Industries des années 1920 et de projets de loi infructueux, le National Air Museum et de National Armed Forces Museum n’ont pas d’ancêtres, fussent-ils mythiques, à la Smithsonian Institution 346. C’est dans les cercles militaires qu’ont déjà été conçus, voire réalisés, divers musées : le projet de National Air Museum doit se démarquer d’un musée préexistant, le National Museum of the United States Air Force, érigé en 1935 à Dayton, dans l’Ohio. Le projet de National Armed Forces Museum est, lui, le successeur de plusieurs projets de musées militaires nationaux à Washington, dont une tentative infructueuse au lendemain de la Première Guerre mondiale 347.
En raison de leur simultanéité, de leur proximité thématique et des modalités de leur naissance, les projets de National Air Museum et de National Armed Forces Museum sont indissolublement liés. En effet, tous deux naissent de l’euphorie de la victoire militaire en 1945, à une époque où plusieurs autres projets de musées sont promus par des représentants de l’armée. C’est au sein de l’establishment militaire fédéral et non à la Smithsonian Institution que voient le jour au lendemain de la guerre les ébauches d’un National Air Museum et d’un National Armed Forces Museum. La Smithsonian Institution, qui n’a pas eu l’initiative dans leur conception, se les approprie pourtant afin de conforter sa domination muséographique dans le système fédéral et afin d’éviter la concurrence de nouveaux acteurs.
A la fin de l’année 1945, le Ministre de la Guerre, Robert P. Patterson, propose que soit créé un National Military Museum. Lorsqu’il obtient le soutien du président, Harry Truman, il rallie à sa cause le Ministre de la Marine, James V. Forrestal. Tous deux mettent en place une commission d’étude sur la question qui préconise la création du musée sous la direction de la Smithsonian Institution. Au début de l’année 1947, la commission est en mesure de soumettre un projet de loi visant à la création d’un nouveau musée. C’est à la suggestion de Forrestal que le musée à venir porte désormais le nom de National Armed Forces Museum. Le projet de loi ne survit cependant pas au processus de consultation interne aux agences du pouvoir exécutif : le Service du Budget suggère que le N.A.F.M. ferait double emploi avec certaines parties du Musée National et que le coût du projet est largement sous-estimé. En conséquence, son directeur n’est pas favorable à la soumission du projet au vote du Congrès, ce qui bloque pour un temps l’avancement du projet348.
Alors que les Ministres de la Guerre et de la Marine conjuguent leurs forces pour faire naître un National Armed Forces Museum, le Général Henry Hap Arnold, Commandant en chef de l’Armée de l’Air pendant la Seconde Guerre mondiale, promeut, lui, la création d’un National Air Museum. A partir de 1945 il rassemble des avions militaires représentatifs de la guerre qui vient de se terminer. Avec le soutien de Jennings Randolph, sénateur et ancien de l’Armée de l’Air, il monte un argumentaire détaillé à l’intention du Congrès. En février 1946, le projet est débattu lors d’une première audition parlementaire. Malgré les protestations de Patterson et de Forrestal, qui ne veulent pas qu’un nouveau musée de l’aéronautique nuise à leur projet de musée des forces armées, la loi autorisant la création d’une commission consultative sur le National Air Museum est votée et signée en août 1946. En 1948, un espace de stockage pour rassembler une collection aéronautique est dévolu au National Air Museum dans l’Illinois. Dans le même temps, la Smithsonian Institution acquiert le Kitty Hawk Flyer, célèbre avion des frères Wright.
On pourrait alors croire que le National Air Museum, fort du vote du Congrès, a pris un avantage décisif sur le National Armed Forces Museum. Rien n’est moins sûr dans les années qui suivent, car le Congrès se préoccupe peu des recommandations de la commission consultative sur le National Air Museum : la sous-commission parlementaire qui doit examiner le rapport sur le futur musée en mars 1950 en repousse sans cesse la lecture. Enfin, le début de la Guerre de Corée en juin 1950 relègue le projet de musée au dernier rang des priorités et voit certains des membres de la commission consultative partir pour le front. L’Armée de l’Air demande même à retrouver l’usage des hangars qu’elle avait mis à disposition du National Air Museum dans l’Illinois349. Les temps ne sont pas propices aux projets de musée : en 1950, une refonte du projet de National Armed Forces Museum sous la forme d’un « War Memorial Museum » est soumis par le Ministre de la Défense au président, qui le soumet à son tour au Service du Budget. Le Bureau fait savoir que le projet devra attendre un contexte plus favorable350.
Entre 1945 et 1947, deux projets de musée ont ainsi été conçus et institutionnalisés, sous la forme d’une commission d’étude et d’un projet de loi pour le National Armed Forces Museum, avec force de loi pour le National Air Museum. Ce départ rapide en l’espace de trois ans est largement dû à l’euphorie de la victoire, ce qui donne aux deux musées une assise fragile car le début de la Guerre de Corée leur porte tout aussi facilement un coup d’arrêt. En cela, ils diffèrent du projet de musée de Frank Taylor. En effet, ce dernier tente dès 1946 de faire revivre l’intérêt pour un Museum of Engineering and Industries, mais la conception du Museum of History and Technology et sa mise en œuvre attendent le début des années 1950. Son succès n’a donc pas un rapport aussi évident avec la victoire militaire ; par ailleurs il n’est pas lancé par le pouvoir exécutif et met donc plus longtemps à prendre forme. Du même coup, le Museum of History and Technology n’est pas tributaire de l’enthousiasme de l’immédiat après-guerre. Il bénéficie d’un autre atout : lorsque décroît l’enthousiasme de la victoire, il est plus éloigné du thème militaire et n’est pas desservi comme les deux autre projets par la difficulté de représenter la nation comme puissance militaire, voire guerrière351. Dans sa thèse sur la représentation muséographique de l’armée à la Smithsonian Institution, Joanne Gerstein London montre que les promoteurs du National Air Museum et du National Armed Forces Museum gomment autant que possible la dimension militaire de leurs projets à mesure que le temps s’écoule, tandis que le N.A.F.M. revendique progressivement une fonction de mémorial propre à susciter l’inspiration patriotique, laissant de côté une dimension plus réflexive sur la guerre352.
Pour ce type de lecture mythique des origines, voir par exemple Paul Garber, transcription du 2e entretien avec Myriam Freilicher, 7 mai 1974, S.I.A., record unit 9592, p. 73.
Le National Air Museum devient en 1966 le National Air and Space Museum. Le National Armed Forces Museum reste à l’état de projet et, en tant que tel, apparaît sous de nombreuses dénominations au fil des années. Par souci de clarté on parlera du Musée des Forces Armées ou du National Armed Forces Museum (N.A.F.M.) même quand celui-ci n’est plus désigné ainsi par ses concepteurs.
Philip K. Lundeberg, "Military Museums," in Encyclopedia of the American Military, dir. John E. Jessup (New York: Charles Scribner's Sons, 1994).
Joanne Gernstein London, "A modest show of arms : exhibiting the armed forces and the Smithsonian Institution, 1945-1976" (George Washington University, 1999), pp. 81-90.
Ibid., pp. 92-101.
Ibid., p. 148.
Le projet initial de National Air Museum porté par le Général Arnold était tout autant que le National Armed Forces Museum un projet d’inspiration militaire et Arnold l’a tout d’abord envisagé comme un musée de l’Armée de l’Air. Paul Garber, transcription du 3e entretien avec Myriam Freilicher, 14 mai 1974, S.I.A., record unit 9592, p. 117.
Gernstein London, "A modest show of arms" , p. 102.