La National Collection of Fine Arts, un projet de second ordre ?

On peut cependant imaginer la déception des promoteurs de la National Collection of Fine Arts, qui après avoir été dépossédés de son nom par la National Gallery of Art (N.G.A.) créée à partir du don d’Andrew Mellon, se voient désormais évincés du National Mall. Ils le quittent pour un bâtiment situé dans le centre historique de la ville, qui connaît alors une certaine désaffection. Le transfert du Old Patents Building à la Smithsonian Institution pourrait bien être un cadeau empoisonné pour la National Portrait Gallery et la National Collection of Fine Arts, qui se voient reléguées en périphérie du National Mall au profit du National Air Musem. Thomas M. Beggs, le directeur de la N.C.F.A., n’est pas satisfait du bâtiment. Il s’en explique dans une lettre à Laura Barney, qui vient de faire un don substantiel à la Smithsonian Institution :

‘The N.C.F.A. has been promised space in a building near the Natural History Building marked for early demolition. This may be available in six months or less; how much is unknown. My chief disappointment is due to the unattractiveness of the building. It will not help us to get the caliber of applicant we desire when very much needed additions to staff are possible.’

Beggs est par ailleurs convaincu que l’art états-unien n’est une priorité ni pour les parlementaires, ni pour la Smithsonian Institution. Il tente d’influencer le secrétaire, Leonard Carmichael, par l’intermédiaire de Laura Barney :

‘The Congress assigned functions to the N.C.F.A. that were omitted from the N.G.A. legislation. Had the emphasis on fostering American Art and assistance to meritorious living American artists engendered their enthusiasm, would it have become an authorization of the N.C.F.A. ? I am now convinced that N.C.F.A. difficulties spring from counter interests, which may be quite natural. We must be yet patient and take proper means to urge the program that the law calls for. You may find the photostatic copy of our enabling Act helpful if you feel moved to write Secretary Carmichael concerning the matter391. ’

A en croire Beggs, la National Collection of Fine Arts ne bénéficie pas d’un large soutien. Ses craintes se trouvent partiellement confirmées au printemps 1961 lorsqu’un projet de loi proposé par un regent, en sa qualité de parlementaire à la Chambre, laisse penser que la N.C.F.A. pourrait être évincée du Old Patents Building par la National Portrait Gallery. La latitude laissée à la Smithsonian Institution dans le texte est en effet suspecte :

‘The use for the purpose of the Gallery of the whole or any part of the building transferred to the Smithsonian Institution pursuant to the Act of March, 28, 1958 (72 Stat. 58), is hereby authorized.392

A la Smithsonian Institution, on affirme – sans rassurer quiconque – que cette formulation a pour but de garantir une certaine « flexibilité administrative concernant l’utilisation de l’espace »393. Les promoteurs de la National Collection of Fine Arts ne s’y trompent pas et orchestrent une campagne de soutien à laquelle participe l’American Art League, une association d’artistes à Washington394. La campagne est relayée au Congrès par un projet de loi concurrent spécifiant que la N.C.F.A. occuperait au moins la moitié du bâtiment395.

Comment expliquer la préférence manifeste accordée à la National Portrait Gallery ? Tout d’abord, elle a pour elle de puissants soutiens. Au Sénat, Clinton P. Anderson et Leverett Saltonstall, tous deux régents de la Smithsonian Institution, sont à l’initiative de nouveaux projets de loi visant à établir une National Portrait Gallery. Frank T. Bow, qui joue un rôle actif dans l’adoption par la Chambre de la loi, fait lui aussi partie du Conseil des régents et même de sa commission sur la National Portrait Gallery. Des projets de loi concurrents sont proposés au Sénat – notamment par Hubert Humphrey, sénateur influent – car les modalités d’administration de la galerie sont en débat, ainsi que la place relative à lui accorder par rapport à la National Collection of Fine Arts. Cependant le débat ne remet pas en question l’opportunité de créer une National Portrait Gallery, ce qui semble faire consensus396. La Smithsonian Institution bénéficie en outre du soutien du Service du Budget, de Quincy Mumford qui dirige la Bibliothèque du Congrès, de David Finley, premier directeur de la National Gallery of Art qui préside désormais la Commission des Arts (Commission of Fine Arts), ainsi que de John Walker qui a succédé à Finley à la tête de la National Gallery of Art 397.

Pour avoir une chance d’aboutir, tous les projets muséographiques doivent s’assurer des appuis similaires : la National Collection of Fine Arts bénéficie des mêmes soutiens. En revanche, la National Portrait Gallery semble disposer d’un atout que n’a pas la N.C.F.A. : lorsque l’on parle de la première, l’argument patriotique est constamment présent dans la correspondance administrative de la S.I., dans les débats au Congrès et dans la presse. La National Portrait Gallery semble avoir été plus activement promue que la National Collection of Fine Arts car sa dimension patriotique était plus évidente : le projet combine deux ressorts nationalistes – la promotion des figures illustres de la nation et le prestige artistique d’une galerie de tableaux de maîtres.

L’argument patriotique fait partie d’une rhétorique convenue dans le discours des parlementaires. Dans un communiqué de presse, les parlementaires Humphrey et Rhodes justifient par exemple leur nouveau projet de loi en ces termes :

‘Washington must have a cultural status at least equal to its position as the political, military, and economic center of the free world.
It lacks such a commanding status at this time. In fact, the New York Times recently (12/27/59) compared Washington unfavorably with the provincial city of Tiflis, U.S.S.R..
A National Portrait Gallery will make a major contribution to our national life, will foster patriotism, and educate the coming generations in the high ideals which distinguish us as a nation398.’

Cet extrait est assez représentatif du ton et de l’argumentaire développé au Congrès. Dans la correspondance avec les parlementaires, on constate également que l’argument patriotique est fréquemment utilisé pour promouvoir la National Portrait Gallery 399.

Par ailleurs le projet est soutenu par des acteurs qui invoquent le patriotisme. C’est le cas de Frank T. Bow, le représentant qui soumet un projet de loi sur la N.P.G. à la Chambre et qui siège au Conseil des régents400. L’un des plus fervents promoteurs de la galerie au Conseil des régents est John Nicholas Brown, qui travaille en parallèle à la création du National Armed Forces Museum. En février 1961, Clinton Anderson présente simultanément au Sénat un projet de loi sur l’établissement de la National Portrait Gallery et un second sur la création d’une commission consultative sur le National Armed Forces Museum, ce qui donne un éclairage particulier au projet de National Portrait Gallery 401.

En juillet 1961, lorsque les défenseurs de la National Collection of Fine Arts dénoncent leur probable éviction du Old Patents Building, la riposte se fait également en termes nationalistes et transforme le projet muséographique. Dans un article favorable à la N.C.F.A. et qui reprend le discours de ses promoteurs, Frank Getlein développe un argumentaire nouveau – même s’il est désormais familier pour le lecteur :

‘There is now, in the capital of one of the two great world powers, no rational and reasonably complete permanent collection of that Nation’s art. This is in striking contrast to just about every country in the world. The National Collection, brought out from behind that enormous elephant402 in the Natural History Building, could become such a source of pride and inspiration403.’

Le tournant est important pour la National Collection of Fine Arts. En effet, elle n’avait pas eu, jusque là, de politique d’exposition explicitement consacrée aux peintres états-uniens, alors que la mission conférée par le Congrès en 1938 comprenait l’encouragement au développement de l’art contemporain aux Etats-Unis404. En 1965, l’intégration à la N.C.F.A. du programme artistique international (International Art Program), qui fonctionnait jusqu’alors sous les auspices de l’Agence d’Information des Etats-Unis (United States Information Agency, U.S.I.A.) au sein du Département d’Etat, est un pas supplémentaire dans cette direction : le but du programme artistique international était de faire circuler à l’étranger des oeuvres d’art états-uniennes405. Enfin en 1967, le rapport annuel de la Smithsonian Institution sur la N.C.F.A. annonce que conformément à la nouvelle direction muséographique inaugurée l’année précédente, le musée exposera principalement de l’art états-unien406. Ainsi, en 1961, alors que l’avenir de la National Collection of Fine Arts semblait incertain, elle réussit à trouver une légitimité comparable à celle de la National Portrait Gallery. En se concentrant sur l’art national, elle différencie son projet de celui de la National Gallery of Art dont le prestige tient à sa collection universaliste.

Alors que se développe une campagne de soutien à la National Collection of Fine Arts en 1961 pour qu’elle dispose du même espace que la National Portrait Gallery dans le nouveau bâtiment, les administrateurs de la Smithsonian Institution assurent contre toute évidence qu’il n’avait jamais été question de remettre en cause l’installation de la N.C.F.A. dans ses nouveaux locaux. Malgré les craintes de Thomas Beggs, la National Collection of Fine Arts et la National Portrait Gallery seront finalement traitées à égalité dans le Old Patents Office.

Notes
391.

Lettre de Thomas M. Beggs à Laura D. Barney, 2 janvier 1961, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

392.

« A Bill to provide for a National Portrait Gallery as a bureau of the Smithsonian Institution », H.R. 5739, 21 mars 1961, 87e Congrès, p. 2.

393.

« The language in section 3(a) of the present bill relating to the use of the Old Patent Office Building or any part thereof for the National Portrait Gallery is solely to insure administrative flexibility in the utilization of space ».  « Draft of letter for Senator Hayden’s signature », 3 août 1961, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

394.

La Smithsonian Institution reçoit en juillet 1961 plusieurs lettres de personnalités s’inquiétant du sort de la National Collection of Fine Arts suite au projet de loi déposé par Clinton P. Anderson au Sénat : S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ». La American Art League vote une résolution qui condamne le projet de loi d’Anderson et soutient le projet de loi concurrent de Hubert Humphrey : « Resolution for American Art League », non daté, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ». Voir également l’article de Frank Getlein, « New Portrait Gallery planned for Washington », Sunday Star, 2 juillet 1961.

395.

« A Bill to provide for a National Portrait Gallery as a bureau of the Smithsonian Institution », 21 mars 1961, 87e Congrès, 1, HR 5748.

396.

« Recent legislative history concerning the proposed National Portrait Gallery », non daté, probablement mars 1961, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

397.

Lettres de Mumford à Burleson, 24 mars 1961 ; de John Walker à Mike Mansfield, 7 avril 1961 ; de Carmichael à Haskins, 25 novembre 1959, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

398.

Humphrey, Rhodes, communiqué de presse, 3 février 1960, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

399.

Voir par exemple les lettres de John Walker à Mike Mansfield, 7 avril 1961, et de John Nicholas Brown à Anderson, 20 février 1961, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ». Le procédé n’est pas nouveau, car au cours d’une audition parlementaire en 1955, le secrétaire de la Smithsonian Institution Leonard Carmichael avait plaidé la cause du Museum of History and Technology en brandissant la menace de la supériorité muséographique de l’U.R.S.S. : Leonard Carmichael, discours devant le Subcommittee of Buildings and Grounds, Committee on Public Works, Chambre des Représentants, 29 avril 1955, S.I.A., record unit 334, folder : « Mr Taylor’s National Museum of Science and Industry », p. 7.

400.

Lettres de Leonard Carmichael à Earl Warren, 15 octobre 1959, de Leonard Carmichael à John Nicholas Brown, le 18 novembre 1959, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».

401.

Lettre de John Nicholas Brown à Anderson, 20 février 1961, S.I.A., record unit 50, box 117, folder : « N.P.G. ».; S.1057 « A bill to provide for a National Portrait Gallery » , S.1058 « A bill to establish a National Armed Forces Museum Advisory Board of the Smithsonian Institution », Congressional Record, 24 février 1961, p. 2459.

402.

L’éléphant dont il est question est un animal naturalisé qui accueille les visiteurs dans le hall du musée.

403.

Frank Getlein, « New Portrait Gallery planned for Washington », Sunday Star, 2 juillet 1961.

404.

Annual Report of the Smithsonian Institution for the year 1961 (Washington : Smithsonian Institution Press, 1962), p. 99.

405.

Smithsonian Year 1965 (Washington : Smithsonian Institution Press, 1965), p. 287.

406.

Smithsonian Year 1966 (Washington : Smithsonian Institution Press, 1966), p. 313.