Les professionnels du Bicentenaire

La préparation du Bicentenaire tant au niveau de l’Etat fédéral que de la Smithsonian Institution passe par la mise en place de structures de coordination spécifiques. Au niveau fédéral, la Commission / Administration du Bicentenaire de la Révolution Américaine joue ce rôle. Elle reçoit les propositions très diverses d’agences qui tentent de faire avancer leurs propres projets à l’occasion du Bicentenaire. A la Smithsonian Institution, John Slocum et Susan Hamilton coordonnent l’ensemble des initiatives. Au Museum of History and Technology, on a vu que Keith Melder était temporairement chargé de coordonner le projet muséographique avant que Daniel Boorstin, à la tête du musée fin 1969, ne prenne le relais. Parce qu’ils n’ont pas tous de poids décisionnel, leur point commun n’est pas d’être « responsables » du Bicentenaire. En raison de la division du travail spécifique occasionnée par la commémoration, on les appellera plutôt les « professionnels » du Bicentenaire.

On a décrit plus haut le parcours de John Slocum et ses multiples liens avec le Département d’Etat (State Department)et l’Agence d’Information des Etats-Unis (United States Information Agency, U.S.I.A.) ainsi qu’avec la Commission sur le Bicentenaire de la Révolution Américaine. Diplomate provisoirement détaché de son ministère de tutelle pour être assistant spécial à la Smithsonian Institution pour le Bicentenaire, Slocum a auparavant travaillé à l’organisation de grandes manifestations impliquant la représentation de la nation, en 1958 pour l’Exposition Universelle et Internationale de Bruxelles et en 1967 pour celle de Montréal. L’habitus nationaliste propre au corps des diplomates, l’expérience d’organisateur de Slocum et sa bonne connaissance des réseaux fédéraux en font l’assistant idéal pour Ripley.

Le parcours de Susan Hamilton est également remarquable. A une époque où les femmes ne sont pas légion au sommet de l’échelle administrative, Susan Hamilton est chargée de la coordination des activités de la Smithsonian Institution pour le Bicentenaire au début des années 1970, après avoir fait preuve de ses qualités d’administratrice à la tête d’un projet de fidélisation intitulé « les amis de la Smithsonian Institution » (the Smithsonian Associates Program) et dans l’équipe de direction du Festival des Arts Populaires Américains. Après 1976 elle quitte son poste de coordinatrice du Bicentenaire pour celui d’adjointe de Charles Blitzer, le sous-secrétaire à l’art et à l’histoire et devient ainsi la femme la plus haut placée dans la hiérarchie administrative de la Smithsonian Institution 493.

Au cours de la préparation du Bicentenaire, Slocum et Hamilton peuvent être considérés comme des professionnels de la commémoration non seulement parce qu’ils sont uniquement préposés à sa préparation, mais aussi parce qu’ils sont recrutés pour leurs compétences techniques d’organisateurs et non pour des compétences sur le sujet de la commémoration. Ils sont en cela différents des spécialistes de l’histoire nationale comme Keith Melder ou Daniel Boorstin, qui contribuent à la préparation du Bicentenaire à ce titre, mais qui jouent par ailleurs un autre rôle à la Smithsonian Institution.

Le besoin de coordination au niveau fédéral, au niveau de la Smithsonian Institution et au niveau du Museum of History and Technology nous permet d’avancer une hypothèse sur les pratiques commémoratives. Si l’on écarte les festivités dont la seule raison d’être est la célébration du Bicentenaire, les actions indirectement liées au Bicentenaire – telles que l’ouverture d’un musée, de stations de métro et de structures d’accueil pour les touristes – semblent acquérir un supplément d’existence et une nature commémorative par l’intermédiaire de ces coordinateurs. Les pratiques commémoratives tiendraient alors en grande partie leur existence d’une catégorie d’acteurs dont la fonction serait spécifiquement consacrée à l’organisation du Bicentenaire. La structure des archives donne corps à cette hypothèse : on trouve trace dans la correspondance de la Commission sur le Bicentenaire de la Révolution Américaine et de l’Administration du Bicentenaire de la Révolution Américaine d’un ensemble de projets hétérogènes que la visée commémorative réunit. De la même manière, on constate à la lecture des archives du Bicentenaire à la Smithsonian Institution que les bureaux de Slocum et de Hamilton ont centralisé les informations sur une bonne partie de l’activité foisonnante de la S.I. parce que le dénominateur commun de ces activités diverses était la commémoration494.

Notes
493.

« Tribute to Susan Hamilton for 25 years of service to the Smithsonian Institution », 5 octobre 1994, Thomas (Library of Congress), Sénat S14139.

494.

S.I.A., record unit 337, Assistant Secretary for History and Art, American Revolution Bicentennial Records, 1968-1977.