Entre intérêt des musées et intérêt national : la direction de la Smithsonian Institution

Pour la direction de la Smithsonian Institution, l’échéance de 1976 est une priorité qui conjugue intérêt national à court terme (pour la commémoration) et intérêt de la S.I. à court et moyen terme (à l’occasion de la commémoration et au-delà). Entre ses interlocuteurs fédéraux et son personnel, elle produit pour les uns et les autres des discours sur le Bicentenaire. Sa correspondance est donc un bon terrain d’exploration de la nature du discours et des pratiques commémoratives en fonction de la configuration hiérarchique des interlocuteurs.

A l’occasion de son audition budgétaire au Congrès début mars 1973, la Smithsonian Institution prend soin de se conformer à la mission commémorative qu’attendent d’elle les parlementaires. Voici les modifications que Susan Hamilton propose au discours de Ripley à la commission budgétaire :

‘[…] I think we ought to say commemorative activities – use the plural rather than the singular. I also think, in light of our discussions, that we might reverse the national program with the local program, although we may not have enough to say about the national program (check with Charles Blitzer on this).
My suggestion for a rewrite is as follows :
« With regard to the Bicentennial, it is clear to us that the Smithsonian will contribute commemorative activities clear across the nation as well as be a major focal point for the Washington celebration. »495

Le passage est typique du discours commémoratif dans une situation où le rapport de forces est inégal. Dans l’espoir d’obtenir le budget annuel qu’elle sollicite, la direction se conforme aux souhaits du Congrès qui espère de la Smithsonian Institution un riche programme d’activités commémoratives et qui souhaite que celles-ci s’adressent à l’ensemble des citoyens et non seulement à la région de Washington. A la lumière des considérations tactiques formulées par Susan Hamilton, on comprend qu’il reste peu de place pour la spontanéité patriotique et commémorative dans les échanges de la Smithsonian Institution avec l’Etat.

Le Bicentenaire est explicitement pensé comme un levier au service de l’intérêt de la Smithsonian Institution. Douglas Evelyn, administrateur à la National Portrait Gallery, conclut ainsi une note sur le problème de l’afflux de visiteurs en 1976 :

‘It happens that the need to prepare for the Bicentennial is focusing attention on a number of problems that we as public museums should have solved already. These problems – proper orientation, information and inter-building transportation systems; proper museum security and accommodation of crowds etc. – will not disappear after 1976. It seems to me that we should take advantage of the heightened awareness in OMB [Office of Management and Budget] and Congress, because of the BAR [Bicentennial of the American Revolution] commemoration, over what are and will be continuing problems to our museums and urge solutions once and for all by increases to our base, rather than imply that the needs in these vital areas of communication and security are in any way temporary496.’

Le passage souligne que l’échéance de la commémoration est une occasion d’obtenir des subsides de l’Etat fédéral à des fins qui dépassent la stricte célébration du Bicentenaire. Plutôt que du cynisme, il faut voir dans le raisonnement de Douglas Evelyn la juxtaposition de considérations pratiques – la période de la préparation du Bicentenaire est propice aux demandes budgétaires – et d’une conception du Bicentenaire largement partagée : au-delà de la commémoration ponctuelle, le Bicentenaire est l’occasion d’apporter des améliorations durables à la communauté nationale.

Il est certain que le Bicentenaire est une opportunité pour la Smithsonian Institution, sans être pour autant un simple moyen. En effet, la direction affiche une préoccupation pour le Bicentenaire non seulement dans ses échanges avec les instances fédérales, mais aussi à l’intention de ses employés. Dès juillet 1966, Ripley et son équipe demandent aux conservateurs en chef du Museum of History and Technology de leur faire remonter des propositions de commémoration497. Ce faisant, ils relaient aux échelons hiérarchiques inférieurs la demande émise par le Congrès envers la Smithsonian Institution. On a vu plus haut que Ripley ne se contentait pas du premier projet commémoratif proposé par le Museum of History and Technology. Que ses exigences aient à voir avec l’importance intrinsèque de la commémoration ou avec l’importance que lui accorde le Congrès, les démêlés de Ripley avec le M.H.T. sont le signe qu’il a fait siennes les exigences fédérales. La direction de la Smithsonian Institution prend ainsi le relais de l’injonction commémorative venue de l’Etat fédéral et s’approprie l’échéance de 1976.

Notes
495.

« Appropriation hearing opening statement – Bicentennial portion », lettre de Susan Hamilton à John Jameson, 5 mars 1973, S.I.A., record unit 337, box 1, folder : « Blitzer ».

496.

« Bicentennial Plans », note de Douglas Evelyn à Dean Anderson, 24 janvier 1974, S.I.A., record unit 337, box 1, folder : « Belmont 1973 ».

497.

« Memo from Bradley to Section Heads asking for Bicentennial projects, July 8, 1966 », in « M.H.T. Bicentennial Files », S.I.A., record unit 337, box 9, folder : « SI, M.H.T. 1969 ».