Le National Air and Space Museum

A la Smithsonian Institution, le lieu le plus frappant où se joue la représentation moderniste de la nation est le National Air and Space Museum et, dans une moindre mesure, le Museum of History and Technology et le Hirshhorn Museum. Le M.H.T. offre certes au visiteur une lecture de l’histoire de la technologie orientée vers le progrès, mais sa collection d’artefacts scientifiques et technologiques est essentiellement historique et ne met pas en avant l’histoire des technologies les plus récentes, comme le fait le N.A.S.M.. De plus, le Museum of History and Technology fait une place importante à l’histoire sociale dans les deux décennies qui suivent son ouverture, ce qui rend l’idéologie moderniste moins centrale dans son propos. Quant au Hirshhorn Museum, il incarne la modernité en art et la rupture radicale avec l’art figuratif, mais contrairement à la technologie, l’art moderne n’a jamais été aux Etats-Unis une modalité consensuelle du modernisme, comme l’ont montré le scandale qui entoure en 1952 l’exposition d’art moderne envoyée par l’Agence d’Information des Etats-Unis (United States Information Agency) en Europe, ainsi que la controverse qui entoure la création du Hirshhorn Museum au début des années 1970.

Tout comme le musée d’histoire naturelle du XIXe siècle qui tirait sa légitimité de l’actualité des sciences naturelles dans le débat scientifique, le National Air and Space Museum doit son prestige aux développements contemporains de l’aéronautique et de l’aérospatiale. Parce qu’il est le dépositaire officiel des objets muséographiques donnés par la NASA et alors que la conquête spatiale est l’un des développements technologiques les plus frappants de la période, le musée est une vitrine de la modernité nationale. En 1965, dans un programme de travail qu’il soumet à Dillon Ripley, le directeur du musée, S. Paul Johnston, commence d’ailleurs par placer le musée dans une conception moderniste du temps :

‘A museum of the character contemplated must be a dynamic instrument, educational as well as inspirational, pointing towards the future as well as presenting a vivid image of the past. It must, of course, memorialize certain significant past events and provide a proper setting for the important objects which have marked significant breakthroughs in man’s long trek toward the stars. For the 5,000,000 people from all walks of life who are expected to visit the facility yearly, it must also present in clear and understandable fashion a balanced story of where we have been, where we are, and where we are going.522

La narration « équilibrée » (balanced) dont parle Johnston révèle les évidences culturelles qui le traversent : l’histoire est orientée du bas vers le haut, dans le sens d’un progrès qui permet d’atteindre les étoiles. Elle est conforme à l’esprit d’une époque où John F. Kennedy annonce que la « nouvelle frontière » à conquérir est celle de l’espace. Plus généralement, elle est le fruit d’un imaginaire scientifique qui remonte au XIXe siècle et qui s’appuie sur le postulat du progrès infini grâce à la science.

Le désaccord fondamental entre Ripley et Johnston sur la philosophie du musée pousse ce dernier à la démission en 1969. Ripley souhaiterait que le musée donne une vision plus culturelle des développements de l’aéronautique ; l’enthousiasme pour la machine que partagent l’essentiel des employés du National Air and Space Museum lui est manifestement étranger. Pourtant, la philosophie de l’histoire de Johnston est largement partagée par les promoteurs du N.A.S.M., comme l’attestent les prises de position du sénateur de l’Arizona, Barry Goldwater, en 1970. Lorsque ce dernier promeut la construction auprès des parlementaires, l’idéologie moderniste est centrale dans son argumentaire. Dans une vision de l’histoire orientée vers le progrès et l’avenir, Goldwater donne à la technologie le rôle de moteur de l’histoire. C’est elle qui entraînera les jeunes générations :

‘I call this generation, like my grandchildren, the space generation. I have more intelligent questions asked me about space from fifth, sixth, seventh and eighth graders than I have from some college students or their fathers and mothers.
I think if you walk through the Air and Space Museum at any time, the overwhelming number in there would be younger people. That is the great reason why I think this is so important. When we boil it all down, America’s real contribution in the material fields has been technology, and aviation and space represent the peak of that, and it will be the magnet that will pull young people along and the steam that will drive the older people with them.523

Dans un autre discours promotionnel, Daniel Boorstin, ancien directeur du National Museum of History and Technology, rappelle que les Etats-Unis sont à la pointe du progrès de la technologie aérospatiale. Il illustre de manière frappante l’idée moderniste selon laquelle la caractéristique du pays d’appartenance du locuteur (en l’occurrence, les Etats-Unis), est d’être à l’avant-garde du progrès, voire, au seuil de l’avenir :

‘Americans have been willing to buy stock in the future and to postpone benefits – partly because our American future has always seemed to merge so conveniently into our American present. An optimistic 19th century writer expressed our common view of the future when he said that we should not be afraid to assert the facts of the grand American future simply because they have not yet “gone through the formality of taking place”.524

Lorsque le musée ouvre au public, il comprend trois galeries principales et dix-huit galeries annexes. Les trois plus grandes sont réservées à l’exposition des pièces les plus célèbres de la collection. La première, Milestones of Flight, offre un panorama chronologique de la progression de la technique aéronautique et aérospatiale. Les deux autres présentent les pièces les plus importantes de la collection aéronautique et aérospatiale. Quant aux autres espaces d’exposition, ils sont organisés indépendamment les uns des autres, essentiellement en fonction du type de technique de vol ou du type d’objet exposé. On trouve par exemple un espace consacré aux satellites, un autre à l’aviation, un autre au « vol vertical », un autre encore aux ballons et dirigeables. On y trouve également des expositions par période chronologique, comme celles sur l’aviation pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des expositions thématiques, par exemple sur le contrôle aérien ou sur les représentations artistiques de l’aéronautique ou de l’aérospatiale525.

L’une de ces expositions s’intitule Benefits from Flight. Contrairement à toutes les autres, son titre est un jugement de valeur sur la technologie. Elle se fonde sur un argument central dans le débat public sur le programme spatial : les découvertes technologiques de l’aéronautique et de l’aérospatiale sont la condition de transferts de technologie vers de multiples domaines de la vie civile et, de ce fait, un facteur de progrès pour la société dans son ensemble526. L’exposition présente, entre autres, un prototype d’observatoire astronomique en orbite, une station de transmission d’images satellite et une réplique de la bombe atomique (sur laquelle on reviendra). Des illustrations expliquent le rôle de l’industrie ; une sculpture en mouvement illustre le principe des transferts de technologie, montrant les chemins tortueux qu’emprunte une technologie créée pour l’aérospatiale vers une technologie utilisable dans la vie civile527.

Notes
522.

S. Paul Johnston, « Proposed Objectives and Plans for the National Air and Space Museum »,15 janvier 1965, S.I.A., record unit 348, box 16, folder : « Johnston, Paul (correspondence) ».

523.

General Hearings before the Subcommittee on Library and Memorials of the Committee on House Administration, H.R. 91st Congress, Vol. I, audition du 21 juillet 1970, p.186.

524.

Daniel Boorstin, « How Exploring Space Helps Us to Rediscover America », 1971, S.I.A., record unit 337, box 9, folder : « SI National Air and Space Museum » ; voir annexe.

525.

1976 Smithsonian Guidebook (Washington : Smithsonian Institution Press, 1976), p. 76.

526.

A propos du débat sur le bien-fondé du programme aérospatial, voir « Don’t Fly me to the Moon : the Public and the Apollo Space Program », in David E. Nye, Narratives and Spaces: Technology and the Construction of American Culture (New York: Columbia University Press, 1997), pp.148-153.

527.

1976 Smithsonian Guidebook (Washington : Smithsonian Institution Press, 1976), p. 84.