Présentisme et histoire

Le « présentisme » est selon François Hartog caractéristique du dernier tiers du XXe siècle546. Il est marqué par « un présent massif, envahissant, omniprésent qui n’a d’autre horizon que lui même, fabriquant quotidiennement le passé et le futur dont il a, jour après jour, besoin »547. Le constat de Hartog se vérifie largement dans le discours des acteurs qui préparent le Bicentenaire à Washington, par exemple, dans le bilan des célébrations que tire l’Administration du Bicentenaire de la Révolution Américaine :

‘During a troubled period of our short history, the Bicentennial parted a curtain. Behind it we saw an America that still firmly believes in the principles of its founders.
The outpouring of national spirit and pride which marked the 1976 Fourth of July weekend was without precedent. […] The accomplishments of America’s Bicentennial celebration may never be fully acknowledged during the lifetimes of those who worked so hard to produce them. Yet there is food for thought for those scholars of the future who may look back and bring those accomplishments into bolder relief than they are now548.’

Dans ce passage, le temps présent inclut le passé, puisque les principes fondateurs de la nation sont toujours actuels. Dans le même temps, l’Administration du Bicentenaire de la Révolution Américaine anticipe ce que l’avenir dira du présent. Alors que les auteurs du rapport écrivent en 1976, ils prennent la perspective d’historiens de l’avenir et annoncent que le Bicentenaire sera considéré comme un moment historique.

A la Smithsonian Institution et dans les cercles fédéraux, c’est dans ce cadre présentiste qu’on prépare la commémoration du Bicentenaire. Parce que le rapport au passé est un passage obligé de la pratique commémorative, on verra comment il s’inscrit dans un présent omniprésent. Dans la logique de l’activité commémorative, le présentisme décrit par Hartog se manifeste sous la forme d’une vision du temps historicisée : l’histoire nationale s’écrit au passé, mais aussi au présent et au futur. A la Smithsonian Institution, la célébration du Bicentenaire marque donc le triomphe d’une représentation de la nation essentiellement historique.

Notes
546.

Hartog, Régimes d'historicité : présentisme et expériences du temps . Il n’aura d’ailleurs pas échappé au lecteur que le temps de la narration historique dans ce mémoire est le présent, selon une pratique largement répandue dans les mémoires de doctorat en France depuis les années 1970 (Jean Leduc, Les historiens et le temps : conceptions, problématiques, écritures (Paris: Seuil, 1999), p. 220). Ce recours au présent ne relève pas de la seule commodité, même si le présent est en effet plus facile à manier que la concordance des temps entre le passé simple, l’imparfait et le présent. Il est le signe d’un rapport au temps dans lequel le passé est envisagé comme un présent-qui-a-été, conformément au phénomène présentiste de dilatation du présent que constate Hartog.

547.

Hartog, Régimes d'historicité : présentisme et expériences du temps , p. 200.

548.

ARBA, "A Final Report to the People," vol. 1, “Epilogue” p. 266.