Le passé comme expérience présente : 1876, A Centennial Exhibition

L’exposition intitulée 1876, a Centennial Exhibition est l’un des grands projets de la Smithsonian Institution pour le Bicentenaire. Elle est conçue par une équipe de conservateurs chevronnés du Museum of History and Technology sous l’autorité du directeur du musée, Brook Hindle. Dans un bâtiment d’époque, le Arts and Industries Building, elle vise à reconstituer l’Exposition Universelle montée à Philadelphie telle qu’elle avait été présentée au public en 1876 pour commémorer le centenaire des Etats-Unis. Ses concepteurs espèrent faire vivre aux visiteurs le passé comme une expérience :

‘The aim throughout has been to return to the Centennial, not to show the Centennial from the perspective of 100 years later. This is not an exhibit about the Centennial, it is the Centennial – rather diminished in size, to be sure, but the Centennial nonetheless549. ’

C’est toute l’ambiance d’une époque que les conservateurs souhaitent faire revivre. L’exposition a pour cadre un bâtiment de style victorien datant de 1881, le Arts and Industries Building, dont les briques polychromes, la rotonde octogonale et les allures de cathédrale industrielle contribuent au dépaysement temporel. Dès l’entrée, les conservateurs souhaitent plonger le visiteur dans une ambiance d’époque. Selon un commentateur de l’exposition en 1977, les objets exposés sont soigneusement mis en contexte :

‘The sensation of stepping backward in time is carefully fostered in an ambience of potted palms and pampas grass, heavy woodwork stained with appropriately dark hues, patriotic bunting hanging from the galleries, Moorish stencil work adorning the walls, and lamps designed to simulate authentic 19th-century gasoliers suspended from the ceiling550.’

A cela s’ajoute la musique d’ambiance produite par un grand orgue mécanique exposé dans l’aile sud-est du bâtiment551. Le souci du détail d’époque est poussé jusqu’au titre du catalogue de l’exposition, qui imite avec humour le style en vigueur en 1876 :

[Accès à la note : A centennial exhibition 552]

Un souci constant est accordé à l’exigence de reconstitution. En témoignent les échanges sur la rénovation du Arts and Industries Building dans lequel doit se tenir l’exposition : la couleur de la peinture à l’intérieur du bâtiment fait l’objet d’échanges assez acrimonieux entre des acteurs qui tous se réclament de l’authenticité historique553. Le catalogue de l’exposition décrit 1876, a Centennial Exhibition comme une reconstitution d’époque d’une taille inégalée par rapport à ce qui se fait traditionnellement dans les musées. Il s’arrête sur la question de l’authenticité des objets exposés : environ 15% d’entre eux figuraient réellement à l’exposition de Philadelphie, mais les autres sont des objets d’époque qui auraient pu y figurer. S’appuyant sur les objets véritablement exposés à Philadelphie, il affirme que l’exposition recrée non seulement « l’esprit », mais bien souvent également « la substance » du Centenaire554.

Le passé est donc représenté comme un « ici et maintenant » exotique555. Les implications muséographiques de cette philosophie d’exposition sont parfois dérangeantes pour les conservateurs, tandis que le résultat risque d’incommoder les visiteurs du XXe siècle, dont les critères ne sont pas ceux de leurs ancêtres. Ainsi, à des fins de vraisemblance, les objets exposés sont parfois repeints ou restaurés pour avoir l’apparence du neuf, tandis que des pièces de musées importantes sont laissées de côté car leur aspect vieilli rappellerait trop qu’ils ont un siècle556. L’exposition ne contient pas de textes interprétatifs – les étiquettes accolées aux objets marquent en revanche leur prix, comme dans l’Exposition Universelle557. Cette pratique est en décalage avec les normes muséographiques contemporaines et elle suscite des oppositions parmi les conservateurs de l’exposition. Ceux-ci s’accordent également sur le fait qu’un visiteur en 1976 n’a pas les mêmes références culturelles – par exemple sur ce qu’est une Exposition Universelle, ou sur le sens des objets exposés ; ils envisagent un préliminaire à l’exposition qui permettrait d’expliquer au visiteur certaines évidences des années 1870558. Le principe de l’« ici et maintenant » soulève d’autres problèmes pour le visiteur : la grande profusion d’objets exposés est certes fidèle aux normes muséographiques des années 1870, mais elle incommode les critiques ; l’éclairage semble certes authentique, mais il laisse à désirer dans certaines sections de l’exposition559. Cependant, les divers acteurs qui s’expriment dans la correspondance interne à la Smithsonian Institution, dans le catalogue de l’exposition, l’article du Smithsonian Magazine ou les critiques de l’exposition sont unanimes sur un point : malgré quelques difficultés à faire advenir le passé dans le présent, ils partagent un même intérêt, celui de faire « revivre » le passé le temps d’une exposition.

Notes
549.

Post, 1876, p. 25.

550.

David W. Lewis, "The Smithsonian Institution's "1876" Exhibit," Technology and Culture 18, no. 4 (1977).

551.

Ibid., p. 673.

552.

Post, 1876 .

553.

Voir l’échange de courrier en mai 1975, S.I.A., record unit 337, box 10, folder : « A&I coordination administration – 1975 CRISIS ».

554.

« In 1876 we have tried primarily to recapture the spirit of the Centennial, but in a great many instances we have captured the very substance. » Post, 1876, p. 25.

555.

« Here and Now », selon la formule de l’un des responsables de l’exposition, William Miner, cité in Lewis, ""1876" Exhibit," p. 672. Voir également le titre révélateur d’un article de Lynne Vincent Cheney, "1876, its artifacts and attitudes, returns to life at Smithsonian," Smithsonian Magazine(May 1976).

556.

Post, 1876 , p. 25.

557.

Pour pallier ce manque d’information, des guides se tiennent à la disposition des visiteurs et le catalogue de l’exposition donne des explications détaillées sur les objets exposés.

558.

Lewis, ""1876" Exhibit," , p. 683.

559.

Ibid., p. 681.