2. Description du contenu du musée

Ouverture

Le jour de l’inauguration du Museum of History and Technology, le président, Lyndon B. Johnson, préside une cérémonie au retentissement national et international qui réunit plus de deux mille invités officiels. En ce mois de janvier 1964, la presse est unanime : le musée est un discours sur la nation. Le Washington Post présente par exemple le musée comme un « autel à l’avènement national », tandis que le New York Times présente le musée comme « une vitrine pour l’histoire de la nation »609.

Pour les conservateurs cependant, le rôle du musée ne se réduit pas à cela. Un visiteur entrant dans le musée par la porte nord est accueilli par le Pendule de Foucault, une invention datant du XIXe siècle permettant de démontrer la rotation terrestre. Baptisée du nom de son inventeur, le français Jean-Bernard Foucault, l’objet est une spectaculaire entrée en matière pour cet étage consacré à l’histoire de la technologie et de la science. En entrant par la porte sud, en revanche, le point de départ narratif est tout autre : dans un hall imposant, un drapeau symbolique des origines nationales accueille le visiteur ; il s’agit d’une Bannière Etoilée de neuf mètres sur dix, celle-la même qui a inspiré à Francis Scott Key le futur hymne national lors de la bataille de Fort McHenry en 1814. Le drapeau est une entrée en matière pour le second niveau du musée, consacré à l’histoire des Etats-Unis. Il ne semble pas que les expositions de science et de technique aient été symboliquement placées à l’étage inférieur à celui où figurait l’histoire américaine. La raison en était plus prosaïque : les artefacts parfois très lourds exposés dans les salles consacrées à la technologie étaient plus facilement installés à un niveau inférieur.

Exposé solennellement à la manière d’une relique, le drapeau historique est décrit par la presse comme l’un des moments les plus importants de la visite. Il est également mentionné en premier lieu dans le rapport annuel de la Smithsonian Institution mais ce dernier donne au Pendule de Foucault une importance que ne lui accorde pas la presse. Voici comment le rapport annuel présente les espaces ouverts au public en janvier 1964 :

‘The Flag Hall, First Ladies Hall, and the halls of Everyday Life in the American Past , American Costume, Farm Machinery, Light Machinery, Tools, Vehicles, Railroads, a portion of Heavy Machinery, the Greenough Statue of George Washington flanked by eight cases of outstanding national treasures, the centrally located Foucault pendulum, and a temporary exhibition which present[ed] examples of exhibits to be installed in other halls of the museum.610.’

Le rapport annuel de la Smithsonian Institution est statutairement adressé au Congrès. Il fait partie des relations publiques avec les parlementaires et pour cette raison, la mention du drapeau en tête de phrase ne reflète pas la manière dont les conservateurs conçoivent leur musée, comme le suggère la mise en valeur du Pendule de Foucault dans ce passage.

L’organisation générale du musée donne de plus amples informations sur le travail des conservateurs : parmi les quatre départements du Museum of History and Technology, deux d’entre eux, celui d’histoire et celui d’histoire des forces armées, portent essentiellement sur les Etats-Unis. Les deux autres, celui des arts et manufactures et celui de science et de technologie ont une approche plus large, qui inclut des éléments nationaux et internationaux.

Il semble donc que de nombreux conservateurs travaillent dans une perspective qui dépasse le cadre national. Certaines expositions ont certes pour unique objet l’histoire et les technologies états-uniennes. C’est le cas de nombreuses expositions du Département d’histoire, par exemple du Hall of everyday life in the American past, du Hall of American Merchant Shipping, ou du très populaire First Ladies Hall, qui présente dans un décor d’époque les robes de toutes les Premières Dames des Etats-Unis611. Au sein de ce département, l’exposition la plus emblématique de la thématique nationale s’intitule Growth of the United States. Comme l’indique son titre, ses objectifs initiaux sont de retracer la progression nationale du statut de colonie à celui de puissance mondiale et de susciter ainsi « la fierté des citoyens pour leur pays, ses réussites et ses idéaux ». Elle peut du même coup contribuer à « une meilleure appréciation et une meilleure compréhension par les étrangers du mode de vie américain »612. L’exposition est conçue comme une introduction aux autres expositions : en entrant dans le musée depuis le National Mall, les visiteurs peuvent y accéder directement après avoir vu la Bannière Etoilée exposée dans l’entrée. Inspirée de la méthode et des objets d’étude de l’anthropologie, l’exposition présente l’évolution de la culture matérielle nationale à travers ses artefacts. Elle se divise en deux périodes historiques (1640-1750 et 1750-1851) sur les cinq initialement prévues. Elle ne couvre donc pas l’ensemble de l’histoire des Etats-Unis de la découverte du continent jusqu’au XXe siècle, comme l’ambitionnaient ses concepteurs, John C. Ewers et Anthony Garvan613. En revanche le fait qu’elle s’achève en 1851 lui donne un autre sens introductif, en suggérant que l’avènement de la nation est contemporain de la Révolution Industrielle.

De manière significative, Growth of the United States (G.O.U.S.)n’ouvre qu’en juin 1967. Les dix années de travail nécessaires à sa conception et sa réalisation montrent la difficulté qu’ont les conservateurs de la Smithsonian Institution à élaborer un projet muséographique transdisciplinaire qui soit centré sur les Etats-Unis, alors que l’organisation muséographique qui prévaut à l’époque est calquée sur l’organisation des collections par types d’objets. Parce qu’elle expose des objets provenant de toutes les divisions du musée, l’exposition Growth of the United States n’est pas représentative du travail de la majorité des conservateurs, pour qui l’organisation thématique de leur exposition est essentiellement le reflet des objets de leur collection. Son organisation narrative fondée sur le développement de la nation n’est pas non plus représentative de l’ensemble des expositions.

A l’ouverture du musée en 1964, la frontière entre thématique nationale et internationale traverse une majorité d’expositions, même lorsque ces dernières sont susceptibles de parler uniquement de l’histoire nationale ou à l’inverse, si leur titre semble indiquer un traitement universaliste. On présentera l’exposition sur la philatélie et l’histoire postale ainsi que l’exposition de numismatique pour leur traitement de la poste et de la monnaie, deux prérogatives historiques des Etats Nations. On quittera ensuite le Département d’histoire auquel elles appartiennent pour rejoindre le Département de science et de technologie ainsi que le Département des arts et manufactures. Dans ces derniers, les expositions consacrées à la médecine et aux travaux publics illustrent d’autres facettes du discours nationaliste, propres à l’histoire des sciences. La question sera de savoir si le rapport à la nation et au monde qu’expriment ces diverses expositions est comparable.

Notes
609.

« Museum is Shrine to Rise of the U.S. as Nation », the Washington Post, 23 janvier 1964, p. A18 ; « the Attic Moves : New Smithsonian Museum Provides Showcase for Nation’s History », The New York Times, 19 avril 1964, p. XXI.

610.

Dillon Ripley, S.I. Annual Report for 1964 (Washington : Smithsonian Institution Press, 1964) p. 53.

611.

Smithsonian Year 1965, (Washington : Smithsonian Institution Press, 1965) pp. 135, 138 ; Mary Jane Kaniuka, « Inaugural balls linger at First Ladies Hall », the Christian Science Monitor, 2 mai 1968, p. B15.

612.

« [the exhibit] should enhance the citizen’s pride in his country, in its accomplishments and ideals. […] It should increase the foreigner’s appreciation and understanding of the American way of life », in « A preliminary Analysis of the Growth of America Series », Smithsonian Institution, National Anthropological Archives, John Canfield Ewers Papers, series IX, box 3, folder « Growth of America General », cité in William Walker, «A Living Exhibition : the Smithsonian, Folklife, and the Making of the Modern Museum» (Brandeis University, 2007), p. 97.

613.

Walker, «A living Exhibition» , p. 109.