L’exposition sur l’histoire postale

Le communiqué de presse pour l’ouverture du Hall of Philately and Postal History en 1964 annonce que l’histoire de la poste y est présentée « dans sa dimension internationale », mais que « l’histoire de la poste américaine est traitée de manière complète et constitue la plus grande section dans l’espace total de l’exposition »614. Outre l’intérêt de ce communiqué, qui fait du thème national un argument pour attirer les visiteurs, il est remarquable que la question de la répartition entre la thématique nationale et la thématique internationale y soit explicitée.

Les sources à disposition pour étudier le contenu de cette exposition sont les versions successives du script au début des années 1960, ainsi que les courriers échangés en interne à leur sujet. Ce type de sources nous renseigne précisément sur le texte et les artefacts envisagés pour l’exposition, mais aussi sur les désaccords occasionnés par certaines propositions. L’inconvénient en revanche est qu’il est difficile de savoir si les scripts sont exactement la base de l’exposition telle qu’elle a été présentée au public car, la datation des documents n’étant pas systématique, les modifications font l’objet de documents séparés et rien ne garantit l’exhaustivité des archives à ce sujet.

Une première évolution se fait jour au début des années 1960 avec le débat entre George Turner, conservateur des collections philatéliques, et sa hiérarchie. Embauché au Museum of History and Technology en 1958, le nouveau conservateur George Turner ne donne pas satisfaction. Richard H. Howland, qui dirige le Département d’histoire et John C. Ewers, directeur adjoint du Museum of History and Technology, sont inquiets de son manque d’efficacité dans l’élaboration d’une proposition de script au début des années 1960 et déplorent qu’il ne sache pas travailler en équipe615. Ces relations déjà difficiles prennent un tour nouveau lorsque en mars 1962, Turner conteste avec véhémence les modifications que John Ewers souhaite apporter à son projet de script. Qualifiant ses critiques de « sabotage », il s’élève entre autres contre la suppression de deux sections de l’exposition. L’une porte sur l’office postal de l’O.N.U. et l’autre sur les tentatives d’acheminement du courrier à l’aide de fusées616.

La controverse concerne deux parties relativement peu importantes de l’exposition si le critère retenu est l’espace total qu’elles occupent ; cependant elles jouent un rôle déterminant car elles sont pensées par Turner comme la conclusion de l’exposition. Dans son ensemble, l’exposition consiste en deux grandes parties, l’une sur l’histoire des postes à travers le monde, l’autre sur l’histoire de la poste aux Etats-Unis. Cette histoire mondiale est conforme à la filiation mythique établie par les Européens et les Euro-Américains : elle commence avec les postes mésopotamiennes et assyriennes et prend le texte biblique pour unique source pour traiter de l’Antiquité égyptienne et romaine. Elle se poursuit avec les développements européens, du Moyen Age au XIXe siècle, et s’achève avec la poste britannique du XIXe siècle. La narration procède par bonds entre des moments espacés de plusieurs siècles et constitue une lignée d’illustres prédécesseurs. Une volonté universaliste semble animer Turner, qui ajoute à cette vision conventionnelle de l’histoire une vitrine sur le développement des systèmes postaux chinois et japonais avant 1870.

La seconde partie de l’exposition concerne l’histoire institutionnelle de l’organisation de la poste aux Etats-Unis. Elle se déroule chronologiquement et se place dans la perspective du progrès technique (notamment dans les transports) et donc de l’amélioration des services postaux, depuis la poste coloniale jusqu’au XXe siècle.

La section qui suit est consacrée à l’O.N.U.. Il n’est pas surprenant que Ewers ait émis des objections à son sujet car elle se rattache maladroitement au thème général de l’exposition. Tout se passe comme si cette section était un prétexte pour parler de l’O.N.U. à l’occasion de la présentation d’une institution relativement anecdotique : l’Administration Postale mondiale, dont on peut utiliser les timbres uniquement pour affranchir le courrier posté du siège des Nations unies à New York. Turner souligne qu’il s’agit de la première institution intergouvernementale qui ait son propre système d’affranchissement du courrier. Les timbres de l’O.N.U. sont l’occasion de décrire l’institution et d’en faire l’histoire, ainsi que celle de la Société des Nations qui l’a précédée. Cette section affiche un engagement internationaliste : le titre de la section est écrit en cinq langues, à l’instar de ce qui se fait sur les timbres de l’O.N.U. ; le script cite un passage de la Charte des Nations unies qui promeut la paix et la coopération internationale. Dans ce cadre, l’administration postale mondiale est présentée comme un lien fort entre les nations et Turner va jusqu’à suggérer qu’un timbre universel, valable partout dans le monde, pourrait être créé617.

Le script se poursuit par une dernière section intitulée « Universe Mail ». On trouve dans cette section un rapport quelque peu artificiel entre la poste et la fascination contemporaine pour la conquête de l’espace. John Ewers a vraisemblablement refusé la démarche spéculative de Turner. Voici le début du script proposé par celui-ci :

‘When astronauts reach the moon, the planets, and the space beyond, mail will follow them. […] Practical methods have yet to be achieved for transporting mail in rockets or missiles to places on earth with regularity.
With the achievement of the Russian Sputnik I (October 4, 1957) and the U.S. Explorer I (January 31, 1958) being successfully orbited, scientists continue to speculate about the employment of artificial satellites for handling mail or transmitting messages through space618.’

A l’appui de ce texte, il est prévu d’exposer plusieurs lettres acheminées dans un missile par un scientifique autrichien en 1933, par un Allemand la même année, ainsi que d’autres lettres envoyées dans des missiles expérimentaux dans les années 1950 aux Etats-Unis.

Ces deux dernières sections relativisent la place accordée à l’histoire nationale dans l’ensemble de l’exposition : la thématique des Nations unies, en particulier, fait des Etats-Unis une nation parmi les nations. Le script sans cette conclusion se terminerait sur les dernières réussites de la poste états-unienne. La section sur les développements de l’aérospatiale est, elle, également nationaliste dans sa vision du monde où s’affrontent la technologie soviétique et la technologie états-unienne. Cependant, même en adoptant le cadre de la rivalité entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, elle reste plus ouverte que ne l’aurait été une conclusion sur la seule poste nationale.

Consultés par John Ewers sur le script de Turner, les deux autres conservateurs de l’exposition, Francis McCall et Carl Scheele, proposent la suppression pure et simple de ces deux sections de l’exposition sur l’histoire de la poste. Ils s’en expliquent de la manière suivante :

‘1. The United Nations has not contributed to the postal progress of the world and therefore should not be shown in this section of the Hall. Present plans call for a United Nations showing of adhesive stamps in the pull-out frames. The 130 stamps in the proposed U.N. unit would duplicate those shown elsewhere.
2. Rocket Mail to date is not government sponsored, except for limited experiments. Although the future may bring a positive method of rocket delivery of mail, such developments cannot be foreseen with any certainty. The importance of any treatment of the subject in this exhibit area cannot be justified619.’

Ainsi, même si Turner, Scheele et McCall s’opposent sur le bien-fondé de la section sur l’O.N.U. et de celle sur l’acheminement du courrier par fusée, ils ont des évidences communes sur le but de l’exposition. Cette dernière doit notamment avoir une dimension internationale – que Turner pousse jusqu’à promouvoir les Nations unies.

Turner quitte ses fonctions en 1962. Suite au décès de Francis McCall, l’année suivante, c’est Carl Scheele qui prend le poste de conservateur de la collection philatélique. L’ouvrage que publie Scheele en 1970, A Short History of the Mail Service, est significatif de la continuité entre son travail et le script de Turner. Il renforce l’hypothèse d’un consensus implicite au Museum of History and Technology sur la manière de penser la nation au sein d’un ensemble international. Malgré son titre général, l’ouvrage est presque entièrement consacré à la poste aux Etats-Unis : dans une première partie intitulée « Old World Background » se succèdent de courts paragraphes consacrés à l’Egypte, à l’Antiquité grecque et romaine et même, à la Chine et au Japon. La seule véritable filiation est établie avec la Grande Bretagne, à laquelle Scheele consacre des développements plus importants. La perspective adoptée est résolument positive ; Scheele fait l’histoire des progrès techniques et du succès général de l’institution postale aux Etats-Unis620.

Notes
614.

« The postal history cases trace developments on a world-wide basis, but American postal history is fully treated and is given the greatest percentage of space », in « Smithsonian to open panoramic Hall of Philately and Postal History today », communiqué de presse de la Smithsonian Institution, 18 septembre 1964, S.I.A., record unit 580, box 10, folder : « exhibits at NMAH and NMHT ».

615.

« Philately Hall Planning », note de John C. Ewers à Richard H. Howland, 20 février 1962, S.I.A., record unit 623, box 7, folder : « philately » ; « Mr. Turner’s Work in the Development fo the Hall of Philately », lettre de John C. Ewers à Frank A. Taylor, 28 mars 1962, S.I.A., record unit 623, box 7, folder : « philately ».

616.

« Review and recommendations for « History of the Posts » section », de John C. Ewers, 12 mars 1962, S.I.A., record unit 623, box 7, folder : « philately » ; « comments to accompany March 12 memo » de George Turner à John Ewers, 14 mars 1962, S.I.A., record unit 623, box 7, folder : « philately ».

617.

« Hall of Philately and Postal History », script, janvier – février 1963, S.I.A., record unit 623, box 6, folder : « philately ».

618.

Ibid.

619.

« Review and recommendations for « History of the Posts » section », lettre de Francis McCall et Carl Scheele à John Ewers, 12 mars 1962, S.I.A., record unit 623, box 7, folder « Philately, beginning – June 30, 1962 ».

620.

Carl Scheele, A Short History of the Mail Service (Washington: Smithsonian Institution Press, Random House, 1970) ; Howard Robinson, review of "A short History of the Mail Service" by Carl Scheele, The American Historical Review 76, no. 2 (1971), pp. 480-81.