L’histoire de la monnaie dans l’exposition numismatique

A première vue, l’exposition de la collection numismatique n’est pas centrée sur la monnaie nationale. Lorsqu’elle ouvre à nouveau en janvier 1972 après un incendie, le Washington Post, qui avait été prompt à louer le musée dans son ensemble pour sa représentation de la nation en 1964, présente l’exposition à ses lecteurs sans démonstration particulière de fierté nationale. Le passage de l’article qui suit mêle les références à la nation et à l’histoire mondiale :

‘The exhibit – to be permanent – traces the evolution of money, from the days when people paid their bills with animal skins and seashells, to the kind of change one drops into a Coca-Cola machine.
Oddities abound. The first lump of gold taken from Sutter’s Mill in California in 1848 is on display. There is a series of gold coins, which look like Brooks Brothers blazer buttons, and a series of counterfeit bills, which look like the real thing.
Two US master forgers are well-represented, William Brockway and Emanuel Ninger, alias “Jim the Penman”. […]
Without question, the most prized displays are those from the Lilly Collection, which the Smithsonian acquired through an act of Congress in 1968 for about $5.5 million from Josiah K. Lilly, Jr., a grandson of Col. Eli Lilly, the pharmaceutical firm. […]
Of the 6,125 coins in his collection, Lilly himself most prized a $5 gold piece, minted in 1822. Lilly paid about $50,000 for the coin, according to the dealer who got it for him, but its value probably has doubled since then.
American monetary history is well told and well represented, as is that of the Soviet Union.
The first coins put out by the U.S. Mint in Philadelphia in 1791 are on display, along with notes designed by Paul Revere and Ben Franklin.
The Willis H. DuPont Collection of 10,000 Russian coins and medals is the most extensive outside the Soviet Union, according to [curator] Mrs. Stefanelli. One coin, a ruble of Constantine I of Russia, is valued at about $50,000.’

L’article se termine par un paragraphe sur les systèmes antivol de cette précieuse collection et conclut sur le fait que l’exposition s’adresse à tous les publics, des enfants aux touristes jusqu’aux collectionneurs les plus assidus621.

L’article s’intitule « New Quarters for Coins » et ne fait pas de commentaire sur le rôle national de l’exposition. Il a pour but de rendre l’exposition attrayante et à cette fin, attire l’attention des lecteurs sur les curiosités exposées, la valeur monétaire des objets, ainsi que sur des reliques nationales, comme « la première pépite d’or » ou « les billets conçus par Paul Revere et Benjamin Franklin ». Mais dans le contexte de la Guerre du Vietnam, des troubles politiques et des émeutes qui marquent la fin des années 1960, l’expression de la fierté nationale est moins légitime qu’au début des années 1960. La dimension nationaliste de ces reliques nationales est tempérée par l’affirmation selon laquelle l’histoire numismatique des Etats-Unis est représentée au même titre que l’histoire numismatique de l’Union Soviétique. Par ailleurs, il est difficile d’interpréter les commentaires sur la richesse de la collection russe ; on peut y voir une cause de fierté nationale car les Etats-Unis concurrencent l’Union Soviétique même dans un domaine où elle est en position de force, ou au contraire y lire une manière de se placer au dessus des conflits politiques, puisque la Smithsonian Institution rend hommage aux spécimens numismatiques russes.

Le plan de l’exposition fait une large place aux monnaies du monde. Parce que l’exposition peut être visitée dans un sens comme dans l’autre, son ordre général n’est pas à première vue celui d’une histoire orientée vers la naissance et la montée en puissance des Etats-Unis. Dans la section consacrée à l’histoire de la monnaie, les expositions sur le Vieux Continent et les Etats-Unis sont reprises telles qu’elles existaient au sein du Arts and Industries Building, mais dans une démarche manifestement universaliste, les conservateurs choisissent d’y ajouter deux petites parties sur l’Amérique Latine et sur le Proche et l’Extrême-Orient622.

Quelle que soit l’influence du contexte politique contemporain sur l’expression de la fierté nationale, un examen plus approfondi montre que les structures fondamentales du discours nationaliste n’ont pas changé entre le début des années 1960, lorsque l’exposition sur la poste est conçue, et 1972, année où l’exposition numismatique est revue. Les différentes unités de l’exposition numismatique présentent une histoire qui se conclut systématiquement aux Etats-Unis. C’est le cas de la section sur l’activité minière ou de celles sur la frappe de la monnaie. La représentation de l’activité minière commence durant la période antique en Nubie, se poursuit au Moyen Age dans les mines de Bohême, au Pérou au début du XVIIe siècle et s’achève par la Ruée vers l’Or en Californie au XIXe siècle. Dans la section sur la frappe de la monnaie, les épisodes historiques mentionnés se situent à Pompéi, dans la Rome antique, au Moyen Age et pendant les Lumières en Europe ; la narration se termine par une démonstration des techniques contemporaines de réalisation d’une pièce de 50 cents à l’effigie de John Kennedy. A proximité sont exposées deux machines à frapper la monnaie, l’une illustrant les techniques de l’Allemagne du XVIe siècle, l’autre représentant la première presse à vis utilisée à Philadelphie à la fin du XVIIe siècle623. A mesure que se déroule le fil chronologique, l’ethnocentrisme se fait plus prononcé. Dans le cadre de ces deux expositions célébrant les prérogatives de l’Etat nation que sont l’acheminement du courrier et la frappe de la monnaie, l’histoire des techniques ainsi produite reste celle d’une filiation entre les grands moments de l’histoire mondiale et l’histoire nationale plus récente, ce qui place les Etats-Unis à l’aboutissement des progrès techniques historiques.

Notes
621.

David R. Legge, « New Quarters for Coins », the Washington Post, 12 juillet 1972, p. B3.

622.

« Script for Hall of Monetary History and Medallic Art », de Elvira Clain-Stefanelli à Silvio Bedini, 15 juillet 1971, S.I.A., record unit 551, box 7, folder : « numismatics, information ».

623.

« Mining for Ore », « Minting », « Early Minter », « Modern Minter », units 1-6, 37-38, in « Script for Hall of Monetary History and Medallic Art », de Elvira Clain-Stefanelli à Silvio Bedini, 15 juillet 1971, S.I.A., record unit 551, box 7, folder : « numismatics, information ».