Les expositions scientifiques et technologiques

Dans les expositions centrées sur des thèmes scientifiques et technologiques, la problématique du rapport entre la nation et le monde est en partie différente. En effet, l’exposé de théories scientifiques se prête, plus que la poste ou la monnaie, à des développements abstraits indépendamment de tout enjeu national ou international. Or si l’on en croit la préface des scripts de leurs expositions, la transmission des concepts théoriques est la priorité des conservateurs. Dans l’exposition sur l’industrie mécanique, la section consacrée aux travaux publics et à la mécanique commence par exemple par un exposé des principes physiques généraux ayant trait au travail, aux forces et à l’énergie, « parce que la majorité des visiteurs aborderont l’exposition par cette entrée ». On retrouve la même préoccupation dans les autres scripts.

Contrairement aux expositions sur l’histoire de la poste et de la monnaie qui sont prétexte à retracer les grandes tendances de l’histoire nationale telles que la maîtrise du territoire ou des périodes marquantes de la conquête de l’Ouest telles que la Ruée vers l’Or, les expositions scientifiques ont une dimension historique plus limitée, qui se borne aux développements de la connaissance. Dans l’exposition sur la médecine, un court développement déroge à cette règle et traite des infirmiers sur le front pionnier, ainsi que des sages-femmes qui se déplacent à cheval jusqu’en 1950 dans les zones isolées du Kentucky. Plus généralement, conformément à la tradition épistémologique qui domine l’histoire des sciences et des technologies au début des années 1960, les conservateurs entendent l’histoire de leurs disciplines comme une succession de découvertes individuelles. Dans la partie consacrée aux machines à vapeur figure, par exemple, une liste de douze « événements importants pour les premiers développements de la machine à vapeur ». Chaque entrée contient une date, le nom d’un scientifique, son origine géographique ou nationale et la découverte dont il est l’auteur.

Pourtant, malgré la présentation en soi et pour soi de connaissances théoriques universelles et malgré une histoire de la science et de la technologie internationale, on retrouve dans ces expositions les fonctionnements nationalistes déjà observés dans les expositions sur la poste et la monnaie.

Premièrement, la définition implicite de la science qui y transparaît renvoie à une définition de la communauté imaginée. Malgré une présentation historique relativement internationale des techniques médicales depuis l’Antiquité, l’exposition sur la médecine présente une définition de la science qui permet de placer la nation états-unienne à la pointe du progrès. Les diverses méthodes thérapeutiques présentées en introduction établissent une hiérarchie entre les méthodes « magiques » (qui sont attribuées aux « primitifs » que sont, par exemple, les Sioux), « la foi » (représentée par un temple d’Esculape, la guérison des écrouelles par le roi et des ex-voto), « l’empirisme » des remèdes de grand-mères et les errements de la « superstition » (parmi lesquels est présentée la phrénologie), avant l’avènement de la science624. Cette définition par la négative de la science médicale comme connaissance valide est l’apanage des nations qui se pensent comme « modernes » ; elle coïncide essentiellement avec les développements technologiques en Europe et aux Etats-Unis au XXe siècle. Elle ne fixe pas explicitement les limites de la communauté nationale (même si la prédominance d’objets états-uniens peut le laisser penser), mais laisse toute liberté d’associer les Etats-Unis à la technologie, comme le suggèrent nombre d’autres expositions dans le musée.

Deuxièmement, à l’instar d’un phénomène déjà observé dans les expositions précédentes, la catégorisation des méthodes thérapeutiques se fait sur le mode d’une généalogie internationale imaginaire. Elle fonctionne comme une liste des événements les plus importants qui ne constitue pas une histoire nationale à proprement parler, mais un panorama historique mondial qui conduit progressivement vers l’apogée technologique aux Etats-Unis.

Enfin, dans l’exposition d’industrie mécanique, les principes abstraits et universels de la physique seront certes exposés dès l’entrée, aux côtés des différentes sources d’énergie possibles, mais il est fort probable que le visiteur soit avant tout frappé par le principal objet exposé, un imposant moteur à vapeur qui « domine » dans l’entrée de l’exposition, selon la préface du script. L’artefact, qui date de 1851, a été produit et utilisé aux Etats-Unis. L’auteur de la préface y voit « un symbole approprié de l’énergie / de la puissance de la vapeur », qui se trouve être dans le même temps une illustration de l’ingéniosité nationale625.

Après examen, on constate dans les expositions du Département des sciences et de la technologie, du Département des arts et des objets manufacturés et du Département d’histoire manifestent une relation similaire entre un cadre de pensée nationaliste et une ambition de représentation du monde. La représentation de la science comme caractéristique de la communauté imaginée, une représentation ethnocentrique de l’histoire du monde ainsi que la place prédominante donnée aux objets historiques états-uniens dans les expositions remettent en question l’idée que certaines expositions puissent être plus nationalistes que d’autres. Qu’elles soient uniquement consacrées aux Etats-Unis (comme Growth of the United States) ou qu’elles englobent une thématique plus universelle, ces expositions sont l’expression d’un rapport à la nation. La création de Growth of the United States annonce toutefois un nouveau mode discursif de représentation de la nation au Museum of History and Technology : on verra que le nationalisme rationaliste des conservateurs, qui sous-tend une philosophie d’exposition universaliste, est remis en question par les critiques muséographiques de Dillon Ripley, qui prend ses fonctions à la tête de la Smithsonian Institution l’année de l’ouverture du Museum of History and Technology.

Notes
624.

« Hall of Medical History », script, non daté, S.I.A., record unit 551, box 7, folder « medicine and dentistry, original and edited 1-20 ».

625.

« […] the area will be dominated by the Harlan and Hollingsworth beam engine of 1851, a fitting symbol of the power of steam », in « script preface, hall of heavy machinery », 26 novembre 1962, S.I.A., record unit 551, box 6, folder « heavy machinery, original and edited 1-13 ».