B. Les modes de vie urbains

Nous proposons maintenant de faire le point sur les diverses approches des modes de vie urbains, des réflexions pionnières de G. Simmel aux travaux contemporains de V. Kaufmann et son équipe.

1. Métropolisation et modes de vie

L’hétérogénéité sociale, évoquée par L. Wirth dans sa définition de la ville (présentée page 27), est considérée également par G. Simmel ([1903], [1908]) comme typique des métropoles. Il y fait référence au travers de la figure de l’étranger. Tous les citadins ou presque sont considérés comme « étrangers » les uns pour les autres. La richesse de l’analyse de G. Simmel tient alors dans la perception de la distance comme un facteur non seulement social mais également mental. Cette nouvelle forme de distance serait construite par les citadins pour se protéger, la confrontation interindividuelle générant des frictions et des agacements. « La proximité corporelle et l’exiguïté rendent à plus forte raison évidente la distance mentale » (Simmel, 1908:71). Puisque les Autres sont trop nombreux et potentiellement différents, il s’agit de les éviter. Ces rapports à l’inconnu, « superficiels, éphémères et segmentaires » (Wirth, 1938:263), ont participé à une évolution des types d’interactions sociales et des rapports à l’espace telle qu’ils pouvaient exister dans des contextes ruraux par exemple. Les citadins se connaissent moins et cherchent moins à se connaître. On peut parler alors d’un repli sur la sphère privée, le pavillon et la voiture particulière allant dans ce sens. Nous sommes aujourd’hui dans l’ère de l’information et de la communication, et même si les conséquences directes en termes de comportements individuels sont difficiles à établir, « la communication électronique ou numérique survalorise l’espace de la vie privée » (Di Méo, 1999:87). La voiture particulière, « cet habitacle personnalisé, individuel ou familial, cette cellule fermée sur l’extérieur, ce prolongement mobile de la maison (…) » (Di Méo, 1999:88), déjà largement répandue dans certaines villes et en phase de le devenir rapidement dans d’autres, se fait l’écho du besoin croissant de maîtrise de l’espace et du temps par les citadins.

Nous avons insisté dans la partie précédente sur l’étalement urbain que connaissent les grandes villes depuis plusieurs décennies. Cet étalement de l’habitat et des activités a pris des formes différentes selon les contextes mais a nécessairement été associé à une recomposition fonctionnelle des territoires. Le déséquilibre d’attractivité de certains espaces au détriment d’autres a transformé le rapport à l’espace-temps des citadins. « La mutation actuelle de la ville renvoie, de manière générale, au passage de la ville industrielle au fait urbain, qui se caractérise par la diffusion spatiale des modes de vie et une fragmentation accrue en termes de ségrégation » (Avenel, 2002:5). L’habitat, le lieu de travail ou d’études, les espaces associés aux achats ou aux loisirs sont souvent éloignés les uns des autres et nécessitent de la part des citadins de se déplacer dans la ville. « Nous vivons désormais sur un territoire éclaté, c’est la figure de l’archipel organisé par des trajets » (Bellanger & Marzloff, 1996:150). Les « territoires modes de vie » (op.cit., 1996:149) offrent ainsi à repenser la relation entre les citadins et la ville en considérant plus largement les mobilités et les transits.

Dans les villes contemporaines, du Nord comme du Sud, la proximité est remise en cause par l’amélioration des conditions de mobilité dans l’organisation quotidienne des espaces par les citadins. La métropole est le lieu de la rencontre d’une grande diversité de population, ce qui participe d’ailleurs à l’originalité et la diversité des modes de vie qui s’y inventent.