1. La comparaison internationale, une stratégie de recherche

Plus qu’un choix méthodologique, la comparaison internationale revêt plutôt le caractère d’une posture de recherche, d’une démarche scientifique, ou pour reprendre les termes de M. Lallement et J. Spurk [2003], d’une stratégie de recherche. Si les études monographiques abondent, les comparaisons internationales sont beaucoup plus rares. Cette situation n’est pas liée à une éventuelle pauvreté des thèmes et des problématiques, mais à une grande difficulté, principalement méthodologique [Lallement & Spurk, 2003]. En ce sens, un éclairage épistémologique sur la comparaison internationale est nécessaire. Il s’articule autour de deux questions : Pourquoi comparer ? et comment comparer ?

D’un point de vue épistémologique tout d’abord, la comparaison suppose de la part de celui ou celle qui la pratique une posture intellectuelle spécifique, qui consiste à « faire de l’altérité un opérateur de connaissance et consacrer le détour comme mode privilégié d’investigation » (Dupré et alii, 2003:9). Si comparer deux objets suppose évidemment de faire l’effort de connaître chacun d’eux [Barbier, 1990], c’est ensuite au travers d’une dialectique qu’il est possible de mieux les comprendre, et éventuellement de tracer les contours d’une réflexion théorique qui les dépasse. « La spécificité de l’ici et du maintenant s’éclaire par la comparaison à un passé ou à un ailleurs » (Rémy, 2000:346). Dans toutes les disciplines, l’effort comparatiste a ses adeptes depuis plusieurs décennies. Un regain d’intérêt se manifeste cependant ces dernières années, en particulier pour la comparaison internationale. « Il est [aujourd’hui] une raison qui pousse à la redécouverte de la stratégie des comparaisons internationales : la mondialisation » (Lallement et Spurk, 2003:8). Le contexte contemporain mondialisé permet aux dynamiques urbaines de se lier et à la « pensée de la ville » d’être partagée et diffusée au-delà de la diversité des formes métropolitaines [Dureau et alii, 2000]. Si les moyens techniques facilitent aujourd’hui les rencontres, les partenariats et la communication, offrant de multiples possibilités aux chercheurs visant un travail comparatif, les objectifs justifiant cette démarche se doivent d’être clairement pointés.

Sans qu’un choix en particulier soit nécessaire de notre part, deux types d’objectifs peuvent être associés aux comparaisons : distinguer des différences ou éclairer des ressemblances. Dans ce dernier cas, l’énonciation de points communs entre contextes urbains très contrastés peut permettre de mettre au jour des tendances fortes et structurantes à une échelle large. Ce fut le cas par exemple pour les travaux de Y Zahavi et A. Talvitie [1980], qui donnèrent naissance à la conjecture dite de Zahavi. A l’inverse, la mise en valeur de différences entre les termes de la comparaison peut permettre de spécifier des caractéristiques propres à chacun d’eux. Ces deux types de résultats possibles à l’issue d’une comparaison doivent être considérés comme envisageables et complémentaires, qui plus est lorsqu’il s’agit d’une recherche exploratoire. « The comparative method aims at the analysis of the genus and differentia specifica of a social system : that is, similarities and differences. A model is searched for that may explain why and how there are similarities and differences between spatial entities by a number of independent factors » (Lane, 1990:196).

La recherche comparative est indiscutablement féconde du point de vue scientifique, et selon P. Hassenteufel [2005], la question n’est plus tant « faut-il comparer ? » ou « peut-on comparer ? » que « comment comparer ? ». Cette dernière interrogation est effectivement centrale dans la démarche du comparatiste, mais il est nécessaire à nos yeux pour y répondre de réfléchir au préalable à la notion de comparabilité. La variabilité des contextes culturels est souvent présentée comme un frein à la comparaison internationale. En nous référant à la bibliographie sur le sujet, trois types d’approches, culturalistes, fonctionnalistes et sociétales, semblent émerger [Lallement et Spurk, 2003]. Les premières mettent l’accent sur la cohésion culturelle des contextes considérés, leur acception principale tient de l’extrême difficulté de la comparaison tant les spécificités propres à chaque pays sont fortes. L’approche fonctionnaliste, antinomique de la précédente, repose sur une continuité supposée des phénomènes par delà les frontières, sous-entendant une comparabilité évidente entre les pays. L’approche sociétale tient enfin de la considération d’une cohérence nationale elle-même participant à l’élaboration d’un archétype supranational. La mondialisation ouvre la voie d’une approche globale des pays à laquelle nous adhérons, ce qui nous éloigne de l’approche culturaliste. Il n’en reste pas moins qu’à la lumière des monographies concernant la mobilité en milieu urbain, la composante culturelle ne peut être ignorée dans l’analyse des modes de vie urbains. L’approche sociétale permet finalement de construire des « cohérences sociétales », spécifiques d’un contexte spatial et temporel donné, mais pouvant être comparées avec une visée universelle [Barbier, 2002].

G. Sartori (1994:22) souligne « qu’on remarque souvent que les pommes et les poires sont incomparables ; mais le contre-argument inévitable est : comment peut-on le savoir avant de les avoir comparées ? ». En d’autres termes, la comparabilité doit être abordée relativement à certains des critères ou caractéristiques des objets étudiés. Si une table et une armoire n’ont pas grand chose à voir a priori, la qualité et la nature du bois à partir duquel ces deux meubles ont été construits, ou leur prix, leur utilité, peuvent être comparés… En ce sens, il est difficile de statuer sur la comparabilité entre deux termes, sans faire référence à l’approche par laquelle ceux-ci sont abordés ou à la problématique à la base même de la comparaison. « La comparabilité est rarement un donné, elle est, au contraire, à construire » (Hassenteufel, 2005:118).