B. Au Sud, Niamey au Niger et Puebla au Mexique

1. Niamey, capitale du Niger

Des petits villages pré-coloniaux à l’agglomération d’aujourd’hui, la ville de Niamey est passée d’un bon millier à 700 000 habitants en un siècle. Poste militaire puis capitale de colonie, Niamey devient à l’indépendance la capitale politique et économique de la République du Niger (qui comptait en 2005 plus de 12 millions d’habitants).

  • Le contexte géographique

Le Niger, représenté sur la carte 1, est un vaste pays dont la superficie est de 1 267 000 km². Il est enclavé au cœur de l’Afrique au sud du Sahara et possède des frontières communes avec plusieurs pays. Sa situation géographique, à mi-chemin entre le golfe de Guinée et la Méditerranée, fait de lui un carrefour d’échanges à travers le Sahara. Les territoires habités se concentrent dans la région Sud du pays, sur une bande de 150 à 200 km de large, où l’agriculture est possible. On y retrouve les plus grandes villes avec d’Ouest en Est : Tillabéry, Niamey, Dosso, Tahoua, Maradi, Zinder et Diffa. L’urbanisation est faible au regard des autres pays d’Afrique de l’Ouest puisque moins de 20 % des Nigériens vivaient en ville au tournant du XXIe siècle. Mais cette tendance évolue très vite en général en Afrique puisque la population y a été multipliée par dix pendant que la population urbaine l’était par cent pendant le 20ème siècle [SAH/DLR, 2000]. C’est un des pays les plus chauds de la planète : son climat est majoritairement désertique. On y distingue en particulier le régime sahélien dans les régions Sud où sont situées presque toutes les grandes villes nigériennes (dont Niamey). Ce dernier régime climatique se caractérise par trois grandes saisons : la saison froide d’octobre à février (30° en moyenne la journée), la saison chaude de mars à mai (plus de 40° en moyenne la journée et quelques tempêtes de sable), et la saison des pluies de juin à septembre.

Carte 1 : Le Niger
Carte 1 : Le Niger

Source : Emmanuel RAVALET selon World Atlas

La ville de Niamey est la capitale politique, économique et la ville la plus peuplée du Niger. Elle s’étend sur une dizaine de kilomètres d’Ouest en Est et sur 8 kilomètres du Nord au Sud. Le fleuve Niger sépare la ville en deux parties inégales puisque la rive droite, au Sud, est essentiellement résidentielle (à l’exception de l’Université Abdou Moumouni). La rive gauche s’étend quant à elle de part et d’autre de la dépression formée par le thalweg du Gounti Yena. Du fait de son développement rapide et peu planifié, l’habitat horizontal y domine et les densités sont faibles (à l’exception du centre). Sa forte extension géographique se décline alors en une diversité de paysages urbains. Un rapide aperçu historique du développement de la ville permet d’en rendre compte.

  • Histoire du Niger et de la ville de Niamey

Nous nous appuyons pour cette perspective historique sur les travaux de S. Bernus [1962], A.H. Sidikou ([1975] et [1980]) et H. Motcho [1991]. L’histoire du Niger est ancienne et diverses structures étatiques de type moderne s’y sont développées dès le VIIe siècle [Attama & alii, 1999]. Au XIXe siècle, plusieurs d’entre elles coexistent parmi lesquelles l’empire Songhaï aux abords du fleuve Niger, plusieurs états Haoussa ou encore l’empire Peul de Sokoto au Sud du fleuve. Alors que des grandes villes comme Agadez rayonnent au XVIe siècle avec le commerce trans-saharien (cette dernière atteint certainement à cette époque 50 000 habitants), des guerres locales fréquentes empêchent le développement de villes en pays Zarma, dans la vallée du fleuve Niger. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’activité commerciale des comptoirs européens refonde la structure urbaine à l’intérieur des terres en faveur des cités de la civilisation Haoussa, et en particulier Zinder. A l’arrivée des colons français, et après quelques tergiversations, le site de l’actuelle ville de Niamey est choisi pour accueillir la capitale de la Colonie du Niger.

Les Français ne s’installent pas cependant sur un site vierge de toute implantation puisque plusieurs villages de paillotes se situent déjà sur les abords du fleuve. Il s’agit en particulier de Kalley, Maourey et Zongo, Gamkallé et Saga vers l’Est puis Yantala et Goudel vers l’Ouest. Les deux premiers se disputent l’origine du mot Niamey, qui fait référence au fleuve dans le premier cas (« l’endroit où la mère venait chercher de l’eau »), et à l’ombre sécurisante d’un arbre dans le second cas (Nia désignant un arbre ressemblant au karité). Les villages de Gamkallé, Saga ou encore Goudel sont restés presque intacts avec leur forme urbaine ancienne repérable par ses pistes étroites et sinueuses et par le peu de routes goudronnées.

C’est par rapport à ces villages devenant quartiers et leur localisation que va se faire le développement de la ville de Niamey, avec l’intervention planificatrice de la colonie française. Les fréquents incendies des habitations en paillote, serrées les unes contre les autres, vont être le prétexte d’une relocalisation vers le Nord des trois villages de Kalley, Maourey et Zongo (conservant leur nom et leur chef). Cette relocalisation va être coordonnée par les plans successifs de 1929, 1932 et surtout 1937. A un moment où la ville ne comporte que peu d’habitants, 1730 en 1931 [Sidikou, 1975], les colons français actualisent un plan en dessinant les grands traits de ce qu’est aujourd’hui la ville de Niamey. Ces grands traits sont d’abord ceux d’une planification duale Ville Blanche/Ville Noire datant de 1937. Trois zones sont distinguées, la ville blanche et la ville noire de chaque côté du Gounti Yena, le thalweg servant de tampon sanitaire, et une zone commerciale à proximité du port fluvial. Le village de Kalley reprend ses quartiers derrière l’Assemblée Nationale (autour de ce qui sera plus tard le grand Marché), celui de Maourey est relocalisé entre les actuels Grand et Petit Marchés et Zongo au sud du Petit Marché. Ces trois villages relocalisés constitueront le cœur de la Ville Noire dessinée par les Blancs. Quant à la Ville Blanche, appelée « le Plateau », elle concentre les populations les plus riches et un certain nombre de services et emplois qui leur sont destinés. Plusieurs quartiers voient le jour à cette période charnière de l’histoire du développement de Niamey. L’homogénéité ethnique y éclate pour faire place à des regroupements hétéroclites [Sidikou, 1980]. Les nouvelles constructions sont en banco pour limiter les risques d’incendies. Après la décolonisation, la ville va rapidement s’accroître, tout particulièrement à l’occasion du boom économique de l’uranium dans les années 70 et des sécheresses (1972 et 1984). Sa croissance annuelle se maintient en effet depuis la fin de la seconde guerre mondiale à des niveaux compris entre 10 et 12 %7, fortement alimentée par l’exode rural. L’histoire du développement de la ville telle que nous venons d’en faire état reste marquée au niveau de l’organisation même des espaces urbains et des pratiques des Niaméens au quotidien. La ville, telle qu’elle existait au moment de l’enquête-ménages (1994), est représentée sur la carte 2.

  • La population

La localisation géographique du Niger (qui relie le monde arabo-berbère et le monde noir) a participé à un brassage ethnique large. Deux pôles ethniques regroupent les deux tiers de la population nigérienne, à savoir les Haoussas d’un côté, et les Djermas-Songhaïs de l’autre (les Djermas, ou Zarmas et les Songhaïs). Les premiers sont souvent agriculteurs et occupent la partie centrale du pays. Leur aire culturelle dépasse largement les frontières nationales et s’étend jusqu’au Nigéria. Les seconds (Zarmas et Songhaïs), qui parlent la même langue, sont localisés dans la vallée du fleuve Niger. Les autres ethnies sont les Peuls, les Touaregs, et plus minoritaires (en particulier à Niamey), les Kanouris, les Toubous, les Arabes et les Gourmantchés. La langue officielle est le français, mais une partie importante de la population ne le parle pas. Chaque ethnie ou presque a sa langue (les Haoussas parlent haoussas, les Djermas et les Songhaïs parlent djerma, les Peuls parlent le fulfulde, les Touaregs parlent le tamasheq, etc.). La langue haoussa, qui est la plus répandue, est comprise par la plus grande partie des habitants.

La religion principale au Niger est l’Islam. Des mosquées sont visibles dans tout le pays, jusque dans les petits villages. De nombreux lieux de prière extérieurs occupent également les rues des plus grandes villes, en particulier à Niamey. Les religions catholique, protestante et animiste sont marginales.

Carte 2 : Carte de Niamey par zone
Carte 2 : Carte de Niamey par zone

Source : Emmanuel Ravalet

  • Le contexte économique national et urbain

La situation économique du pays est extrêmement fragile. Le Niger fait en effet partie des pays les plus pauvres de la planète. Son économie est largement tournée vers l’agriculture (qui mobilise près de 90 % de la population active), elle est donc vulnérable face aux aléas climatiques. Les exportations nigériennes concernent principalement l’uranium et dans une moindre mesure l’or. Les variations des cours du premier ont eu par le passé de graves répercussions sur l’économie du pays, dont la balance commerciale est déficitaire. D’éventuelles richesses pétrolières pourraient aider le Niger à sortir de l’impasse. Le P.I.B. par habitant est très faible, il atteignait quelques 850 dollars en 20008. Cette situation économique se répercute directement sur les populations nigériennes, dont les conditions de vie sont souvent difficiles, dans les campagnes, mais également dans les villes. Les politiques d’ajustement structurel, mises en place sous l’égide de la Banque Mondiale, ont eu un impact négatif sur les populations les plus défavorisées [Antoine, 1997]. Dans ce contexte, l’économie niaméenne ne peut se comprendre sans que nous évoquions la dichotomie formel/informel. Une promenade dans la ville permet rapidement d’en prendre la mesure. L’économie informelle est articulée autour des activités commerciales, elle est pourvoyeuse d’un grand nombre d’emplois, souvent précaires, tandis que l’économie formelle reste très limitée en termes d’emplois. L’administration de la ville (mairies, C.U.N.) et du pays (ministères, ambassades, consulats) mobilisent pourtant nombre d’activités et d’emplois. Après l’Indépendance et en particulier pendant la période faste de l’uranium, plusieurs entreprises publiques se sont développées. Plusieurs d’entre elles ont été privatisées dans le cadre des programmes d’ajustements structurels.

  • L’organisation administrative

Un schéma directeur et d’aménagement fut établi en 1984 pour coordonner et orienter le développement urbain de la ville [Motcho, 2006]. Niamey fut découpée alors en cinq districts, administrés par des chefs de districts que le préfet-maire coordonne. En 1989, la Communauté Urbaine de Niamey (C.U.N.) est mise en place, organisée sur la base de trois communes (Commune I au Nord-Ouest, Commune II au Sud-Est et Commune III sur la rive droite du fleuve Niger). Des découpages se succèdent ensuite en 1996 puis en 2001, avec des objectifs variés mais parfois « sans raisons solides » (Motcho, 2006:4). Niamey est aujourd’hui organisée en cinq communes, dirigées chacune par un maire sous tutelle du préfet-maire de la C.U.N.. Le pouvoir et l’autorité restent indirectement dans les mains de l’Etat à travers ce dernier personnage-clé. Ces nombreux découpages cachent mal les difficultés de l’aménagement de la ville, paralysé par un manque « d’encadrement technique et de moyens financiers suffisants » (Motcho, 2006:4).

  • Les transports à Niamey

Malgré les conditions climatiques difficiles (chaleur, poussière, ensablement, etc.), la marche à pied est très répandue dans la ville de Niamey. Ceci est lié au développement lent et limité aux populations les plus aisées de la voiture particulière, et à un système de transports collectifs encore perfectible. Ce dernier est constitué de deux composantes distinctes : le transport public proposé aujourd’hui par la SOTRUNI (Société des Transports Urbains de Niamey) et le transport privé de passagers assuré par les taxis collectifs et les Talladjé-Talladjé [Diaz Olvera & alii, 1999]. Le service de transport public est proposé par la SNTU (Société Nationale des Transports Urbains) jusqu’en 1977, lorsque la société, fortement déficitaire, est rachetée par la SNTN (Société Nationale des Transports Nigériens). Mais les problèmes de rentabilité de ce service restent les mêmes et les comptes sont équilibrés grâce aux recettes réalisées par la société pour le transport interurbain. La faible couverture spatiale, l’irrégularité des fréquences ainsi que de nombreux problèmes d’ordre organisationnels [Diaz Olvera & alii, 1999] (obligation de service public insuffisamment soutenue sur le plan financier, gestion contrainte du personnel, etc.) mènent à la création par l’Etat le 3 décembre 1996 d’une autre société d’économie mixte, la SOTRUNI. Celle-ci reprend à la S.N.T.N. l’activité de transport urbain de personnes à Niamey. L’engagement initial pour accroître le matériel roulant et les efforts réalisés avec la municipalité de Milan pour récupérer plusieurs bus (coopération décentralisée) se révèlent rapidement insuffisants. Au fil des années, le nombre de bus (photo 1) diminue, à cause de leur vétusté et faute de pièces détachées. Ceux-ci sont peu utilisés aujourd’hui et souffrent d’une image déplorable.

Pour pallier les insuffisances manifestes du transport public de voyageurs, les taxis collectifs privés, dits taxis têtes-rouges, se sont fortement développés avec le temps. Ils opèrent principalement dans le périmètre urbain, ou exigent une contrepartie tarifaire pour en sortir. Ces taxis se sont organisés de manière naturelle dans la ville, avec l’apparition de lignes (rues ou boulevards qu’ils fréquentent beaucoup) et de stations… Pour traverser le fleuve Niger, il faut par exemple aller jusqu’au Petit Marché dans le centre-ville car c’est de ce lieu que partent les taxis vers Harobanda (« de l’autre côté » en Djerma). Ce sont toujours les mêmes chauffeurs qui s’y trouvent. Les taxis qui n’ont pas de lieux de regroupement particuliers sont appelés les taxis-rallye (dans le jargon des chauffeurs), ils errent dans la ville à la recherche de passagers. Un passager ne monte dans le taxi que si sa destination est compatible (au libre jugement du chauffeur) avec celle des passagers déjà embarqués. Une des seules tâches assumées par la communauté urbaine de Niamey (entité responsable des transports dans l’agglomération) est le contrôle du nombre de taxis collectifs (un certain nombre de permis est délivré). Les contrôles de police réalisés aujourd’hui sont suffisamment fréquents pour dissuader les taxis sans permis de rouler (ce n’était pas nécessairement le cas il y a 15 ans, lors de l’enquête). La communauté urbaine œuvre également pour un maintien du prix de base de la course malgré l’augmentation du prix du pétrole en particulier (elle n’a été ré-évaluée qu’une seule fois depuis l’enquête, passant de 150 FCFA à 200 FCFA9). Ce prix de base ne concerne que les courses de courte distance car, lorsqu’il s’agit d’aller vers les quartiers périphériques lointains, le prix peut doubler, ou tripler.

Photo 1 : Un bus de la compagnie SOTRUNI, janvier 2006
Photo 1 : Un bus de la compagnie SOTRUNI, janvier 2006

Source : Emmanuel RAVALET

A ces taxis têtes-rouges viennent s’ajouter des Talladjé-Talladjé (nom répété du premier quartier desservis par ces véhicules dans les années 70). Ces véhicules se sont développés pour améliorer la desserte de plusieurs quartiers périphériques (ils desservent les quartiers Talladjé, Goudel, Aviation, Tondibia, Saga, etc. [Harouna, 1984]). Ce sont des camionnettes (Peugeot 504 break pour la plupart) transportant citadins et marchandises sur des parcours radiaux et pour un prix assez modique (les conditions de transports restent difficiles à cause des arrêts fréquents et de la surcharge des véhicules).

  • Synthèse

La ville de Niamey concentre finalement un grand nombre de caractéristiques des villes ouest-africaines non-côtières parmi lesquelles nous pouvons évoquer son développement récent et extrêmement rapide, l’étalement important et l’urbanisation horizontale, la dichotomie entre l’économie formelle et l’économie informelle, la faiblesse du niveau de vie de la grande majorité de la population et l’usage généralisé de la marche à pied.

Des spécificités propres à la ville de Niamey ont également été recensées au travers de la description de la ville telles que les contraintes topographiques liées à la présence du fleuve Niger et du thalweg du Gounti Yena, la localisation stratégique de la ville sur des corridors commerciaux entre le Golfe du Guinée et le Maghreb, ou encore la présence d’anciens villages rattrapés par la ville mais relativement préservés dans leur forme et leur organisation.

Notes
9.

200 FCFA équivalent à 30 centimes d’euros.