1. Délimitation du centre de Niamey

En abordant les notions de centralité historique et symbolique, parallèlement à notre approche fonctionnelle, il devient possible de préciser les territoires de Niamey qui constituent le centre-ville. L’histoire du développement de Niamey, présentée dans la première partie de cette thèse, fait apparaître comme foyers de population plusieurs villages relocalisés au fil de la planification coloniale. Kalley, Maourey et Zongo se sont vu ré-installés dans une zone allant du sud du Petit Marché au nord du Grand Marché. Cet espace apparaît comme le cœur historique de la capitale nigérienne.

La centralité symbolique trouve quant à elle un écho dans les discours des citadins sur la ville, discours dont le sens implique à la fois leurs pratiques, leurs connaissances des espaces urbains et l’idée qu’ils s’en font relativement à des critères divers. Déterminer la position d’un « centre-ville » s’avère assez théorique pour les citadins niaméens [Clément, 2000]. Tel que le souligne A.H. Sidikou [1980], 43 % des enquêtés ne savent pas placer le centre de la ville (qu’il s’agisse du quartier ou du point central). 10 % des hommes et 73 % des femmes enquêtés ne peuvent répondre à la localisation du centre de Niamey. Bien que l’analphabétisme ne soit pas étranger à ces résultats, cela souligne à quel point, en 1980, l’agglomération en tant que telle ne correspond pas à la ville telle qu’elle est vécue par chacun (les représentations sont intimement liées aux pratiques [Clément, 2000]). Au-delà de ce résultat, « les réponses montrent que le centre-ville en tant qu’espace n’a pratiquement pas changé et qu’il s’est formé un centre bipolaire avec d’une part la zone gravitant autour du Petit Marché et de l’autre, prenant de plus en plus d’importance, la zone centrée autour du Grand Marché » (Sidikou, 1980:255). D’autres quartiers proches comme Balafon et Lacouroussou sont cités par les citadins, malgré une faible attraction quotidienne relevée par nos analyses.

L’enquête-ménages de Niamey sur laquelle nous nous appuyons pour cette étude de cas permet également d’apprécier les territoires correspondant, selon chaque citadin, au centre. Les résultats ont déjà été présentés par C. Clément [2000], mais seules les réponses des chefs de ménages et de leurs épouses étaient considérées. Dans la mesure où nous cherchons à rendre compte de la relation de l’ensemble des citadins avec l’espace urbain, nous avons compilé les réponses apportées par tous les enquêtés pour construire la carte 29 ci-dessous. 10 % des enquêtés ne savaient localiser le centre et 3 % des résultats n’ont pu être géolocalisés. Les noms donnés aux territoires urbains par les citadins sont souvent les noms des marchés, tout particulièrement pour le Petit et le Grand Marché, tous deux très cités, tout comme la zone Maourey/Liberté. Lacouroussou, Banizoumbou, Kalley Amirou et Zongo, qui sont des zones largement résidentielles à proximité des Petit et Grand Marchés, apparaissent également (ce sont les anciens villages relocalisés autour desquels la ville s’est développée).

Les résultats concordent assez bien avec ceux obtenus dans notre analyse des fonctions urbaines. L’attraction est cependant concentrée sur certains territoires précis, que sont les zones Centre/Petit Marché, Grand Marché et Kassaï/Katako. Une analyse d’auto-corrélation spatiale locale réalisée avec l’indice de Moran souligne à quel point l’attraction des territoires même centraux (proches des Petit et Grand Marchés) est discontinue, aucun territoire ne ressort en effet en termes de ressemblances avec ses voisins. Les zones très dynamiques mises en évidence sont effectivement entourées de quartiers résidentiels (Lacouroussou, Banizoumbou, Kalley Amirou, Zongo, etc.) dans lesquels peu d’activités d’envergure métropolitaine se sont développées. L’urbanisation horizontale dense, qui rend difficile la mixité d’une fonction quelconque avec la fonction résidentielle, et la faiblesse et l’ancienneté des aménagements urbains expliquent en partie cet état de fait.

Sur la carte 29 apparaît le centre tel que nous l’avons délimité. Le Grand Marché et le Petit Marché articulent l’ensemble de ce territoire. Ce sont des lieux extrêmement attractifs, polyfonctionnels et concentrant des Niaméens de nombreux quartiers. Deux coupures nettes ont pu être distinguées pour délimiter le centre-ville des territoires qui l’entourent. La première était déjà utilisée comme tampon sanitaire par les planificateurs français à l’époque de la colonisation, il s’agit du thalweg du Gounti Yena. De part et d’autre de cette dépression s’étendent des quartiers aux activités et à la symbolique très différentes. L’architecture aérée et moderne du Plateau (à l’ouest du Gounti Yena) contraste avec la densité et la diversité des matériaux et des constructions dans le centre. Au nord du centre, la limite que nous avons choisie correspond au boulevard de l’indépendance (autrement appelée route de Tillabéry), qui constitue un axe majeur très achalandé. Aucun effet de coupure net n’est apparu au sud et à l’est du centre. Nous nous sommes donc appuyés sur les représentations des citadins et l’analyse fonctionnelle pour la délimitation. Au-delà des deux grands marchés de la ville, plusieurs quartiers sont donc regroupés dans ce que nous considérerons comme étant le centre de Niamey. Kalley Amirou (entre le Petit et le Grand Marché), Maourey/Liberté et Zongo sont trois quartiers anciens, qui ont été relocalisés au fil du développement de la ville et des planifications. Banizoumbou, Lacouroussou et Stade/Maisons Economiques en font également partie, tout d’abord parce qu’ils sont proches des Grand et Petit Marchés. Leur population est en partie originaire des trois villages anciens de Kalley, Zongo et Maourey et que ces quartiers sont fréquemment cités par les Niaméens comme symbolisant le centre-ville.

Carte 29 : Géolocalisation du centre selon les citadins niaméens
Carte 29 : Géolocalisation du centre selon les citadins niaméens