5. Synthèse des résultats concernant l’accès aux activités

Plusieurs tendances similaires ressortent de l’étude des quatre aires urbaines. D’un point de vue général tout d’abord, plus les citadins habitent loin du centre, moins ils sont nombreux à exercer leurs activités dans les pôles qui y sont associées. La seule exception à cette règle porte sur les résidents du péricentre aisé à Puebla, dont les accès aux pôles d’attraction ne sont pas plus fréquents que ceux du péricentre populaire, voire même moins. La différence porte alors, entre ces citadins et les autres, sur les modes utilisés, avec une plus forte pratique de la voiture particulière passager et conducteur par les premiers. Les populations poblanaises aisées semblent donc inscrire dans leurs pratiques l’image négative dont souffre le centre, accusé d’être pollué et dangereux. Ces représentations évoluent cependant, ou tout au moins se nuancent si l’on en croît le développement de la gentrification à Puebla comme dans plusieurs villes latino-américaines ([Bélanger, 2005], [Dureau, 2006b]).

La lecture économique des écarts dans les pratiques est particulièrement adaptée pour ce qui est de l’accès à l’emploi, avec un lien direct et positif entre les citadins qui accèdent aux territoires les plus attractifs et les niveaux de revenus des ménages auxquels ils appartiennent. Nous rappelons à ce titre la localisation centrale d’une partie importante des pôles d’emploi que nous avons mis en évidence. Ce même type de localisation (bien que les délimitations du centre diffèrent) est souligné dans diverses études pour les emplois dits supérieurs ou qualifiés ([Gaschet, 2003], [Bouzouina, 2008]). Il est possible également de s’appuyer sur les résultats des travaux de S. Wenglenski [2003], qui souligne la baisse du nombre d’emplois accessibles pour toutes les catégories sociales entre 1990 et 1999, plus marquée encore pour les catégories les plus modestes.

L’accès à l’enseignement secondaire est moins instructif pour comprendre les rapports des citadins aux pôles d’attraction dans la mesure où la proximité du logement semble être le critère le plus important dans le choix de l’établissement scolaire. Les pôles d’attraction secondaire regroupent les établissements les plus importants en nombre d’élèves, qui sont plutôt situés dans les zones centrales. Les territoires où sont réalisées les études universitaires évoluent peu selon le lieu de résidence, les grands campus universitaires concentrant les citadins de toute l’aire urbaine.

Pour ce qui est des achats, les pratiques des territoires les plus attractifs dépendent de leur proximité du logement (en particulier les jours de semaine). Les pratiques modales sont variables pour ces déplacements selon le lieu de résidence. A l’exception du cas niaméen, ces variations renvoient à une opposition entre les achats dans les espaces centraux et les pôles d’achats péricentraux ou périphériques. Les territoires pratiqués par les résidents des centres urbains diffèrent largement de ceux des autres citadins. Suivant une logique économique peu discutable, un moindre accès aux pôles d’achats se répercute sur les prix des denrées achetées.

Nous avons déjà évoqué dans la section précédente la plus forte propension des résidents centraux et péricentraux (vis-à-vis des citadins vivant en périphérie) à se déplacer pour leurs loisirs. Cette tendance se complète par une lecture quasiment unidimensionnelle de l’accès aux pôles d’attraction, diminuant avec l’éloignement du lieu de résidence au centre. Trois niveaux ressortent alors relativement à la fréquence de la pratique des pôles de loisirs, le centre, les zones péricentrales puis les zones périphériques. Une seule exception semble résister à cette règle, elle concerne les zones périphériques construites d’immeubles à Puebla. La bonne desserte de cette zone en transports en commun (dû en partie à la proximité de la B.U.A.P) semble donc permettre à ces citadins peu aisés en moyenne d’accéder assez largement au centre (pour les loisirs, mais également pour les achats).

Pour les quatre villes, nous avons caractérisé et comparé les populations accédant à chaque pôle d’activité, pour essayer de mettre en évidence d’éventuelles spécialisations (sociales, démographiques, ethniques, etc…) des territoires les plus attractifs. Les résultats ne sont présentés cependant que pour les emplois à Niamey, ceux obtenus pour les autres activités niaméennes et dans les trois autres cas ne permettant pas d’enrichir l’analyse des ségrégations dans les espaces du quotidien. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette absence de significativité dans les résultats obtenus. Les pôles d’activités mis en évidence attirent d’autres citadins que ceux qui habitent dans la zone. Leur aire de chalandise varie cependant selon les cas. A l’exception des zones centrales et de quelques autres pôles d’attraction, elle est souvent limitée et pour ces territoires, les caractéristiques socio-économiques et démographiques des visiteurs renvoient à celles de leurs résidents. Lorsque l’aire de chalandise est suffisamment grande, c’est notre échelle d’analyse qui est trop limitée, dans la mesure où l’on retrouve plusieurs filières sur un pôle d’enseignement supérieur, plusieurs types de magasins sur un pôle d’achats, plusieurs métiers, plusieurs entreprises et plusieurs domaines de spécialisation sur un pôle d’emplois. Sans remettre en cause l’existence éventuelle des ségrégations scolaire, professionnelle, etc., elles ne se situent pas à un niveau que nos données permettent d’atteindre.

Si l’on considère la question sous un angle différent, cela veut tout de même dire qu’il existe dans les pôles d’attraction dont l’aire de chalandise est grande, une certaine mixité parmi les populations qui s’y rendent. C’est le cas en particulier des centres des aires urbaines de Puebla de Lyon, et de Montréal (pour la plupart des activités), du quartier de la Part-Dieu à Lyon pour les emplois et des grandes universités pour les études supérieures. Il n’y a pas nécessairement d’interactions cependant entre les citadins qui pratiquent au cours d’une même journée un même espace, mais des répercussions positives peuvent être associées à ces coprésences. Nous ne rentrerons pas dans les détails des débats à ce sujet, parmi lesquels il est souvent fait référence à l’importance des liens faibles [Granovetter, 1973]. Le cas niaméen permet quant à lui de mesurer les effets manifestes de la planification du colonisateur dans la première partie du XXe siècle, avec une structure duale ville blanche/ville noire.

Les résultats finalement obtenus confortent l’idée selon laquelle il existe des territoires favorisés en termes d’accès aux pôles les plus attractifs, et à l’inverse des zones dont les résidents sont moins à même d’y accéder. Les espaces où vivent en proportion importante les plus défavorisés et les zones périphériques font partie de cette seconde catégorie. Avec une augmentation des prix du foncier dans les centres et par effet de contagion les zones péricentrales, un déplacements des lieux de résidence des populations défavorisées vers les périphéries peut alors prendre la forme d’une double peine pour eux (la mise à distance spatiale s’additionnant à la distance sociale).