5. Synthèse comparative

Nous avons étudié dans cette section l’immobilité et les modes de vie locaux. Si les citadins qui sont restés chez eux apparaissent plus nombreux à Puebla et Montréal, il semble que ce ne soit pas étranger à une sous-estimation des petits déplacements de proximité, que semblent partager les enquêtes de ces deux villes. Les liens importants mis en évidence entre cette pratique spécifique de la ville et diverses caractéristiques individuelles des citadins (statut, âge, genre, revenus, etc.) assurent cependant une fiabilité des tendances mises en évidence. Nous pouvons donc confirmer la propension plus grande à l’immobilité vis-à-vis de la vie exclusivement locale à Puebla et Montréal (plutôt qu’à Niamey et Lyon). Mise à part cette différence, importante et riche en termes d’analyse des modes de vie urbains, les tendances observées dans cette section correspondent plutôt à des points communs (donc des tendances fortes) entre les cas.

Des différences hommes/femmes apparaissent dans les quatre cas, mais à des degrés différents. La position dans le cycle de vie s’associe également à des pratiques locales spécifiques : l’immobilité croît avec l’âge et les modes de vie exclusivement locaux sont plus répandus parmi les plus jeunes et les plus âgés. Les statuts restent toutefois les plus discriminants, et ce dans les quatre aires urbaines. Faire des études ou avoir un emploi implique en général une immobilité et une vie locale plus rare. Des chômeurs, des inactifs ou des scolaires peuvent être contraints de rester chez eux ou à proximité (leur potentiel de mobilité, ou motilité au sens de V. Kaufmann [1999], étant trop faible), mais on peut également lire ces tendances comme les résultantes d’une obligation à la mobilité pour les actifs ou les étudiants. Nos données ne nous permettent pas vraiment de faire la balance entre la force respective de ces deux types de contrainte, bien que l’immobilité et la vie locale ne semblent pas être choisis dans de nombreux cas.

Le pouvoir discriminant des variables de niveaux de revenus ou de scolarité permet de percevoir les comportements spatialement limités comme contraints (ou subis). Dans les quatre villes, moins les citadins sont instruits et riches, plus ils restent fréquemment dans ou à proximité de leur logement. Cette perception de l’immobilité et de la proximité renvoie à celle de l’insularité, telle qu’elle est abordée par E. Le Breton [2004]. Ce terme renvoie pour l’auteur au déroulement de la vie quotidienne au sein de territoires géographiquement restreints accessibles à pied, à un isolement relationnel des citadins concernés, et à la limitation des programmes d’activités à la proximité du logement, ce qui suggère une adaptation aux activités et aux services alors accessibles.

La déclinaison spatiale de l’immobilité et de la vie locale permet également de faire ressortir quelques grandes tendances similaires dans les quatre aires urbaines. La spécificité des comportements des résidents des centres se confirme, avec une vie locale particulièrement fréquente. Les citadins qui résident dans les zones les plus aisées ont des comportements de mobilité plus développés et plus étendus que n’en ont les autres citadins. L’inverse s’observe dans les espaces résidentiels les plus défavorisés (en particulier dans les noyaux populaires montréalais et les banlieues lyonnaises). Mis à part à Puebla et Niamey où les périphéries sont des espaces résidentiels plutôt défavorisés, la distance croissante au centre n’est associée qu’à une vie locale légèrement moins fréquente.

Les citadins les moins aisés et/ou les moins instruits restent plus fréquemment chez eux ou à proximité de leur logement. Dans le même temps, nous avons souligné des tendances similaires de repli pour les résidents des quartiers défavorisés. L’immobilité et la vie locale relève-t-elle alors de caractéristiques économiques individuelles ou d’effets de quartier (de nature spatiale) ? Pour répondre à cette question, les effets de la localisation résidentielle sur les comportements des citadins dans l’espace doivent être appréhendés à niveau de revenus fixé, mais également en bloquant le statut (dont nous avons souligné l’importance précédemment). Les effectifs à Niamey ne nous permettaient pas de faire cet exercice. A Puebla, aucun effet de quartier n’est mis en évidence, c’est-à-dire qu’à niveau de scolarité donné, les actifs et les sans-activité ont des comportements similaires (ou proches) qu’ils habitent dans le péricentre populaire ou aisé. A Lyon et Montréal, les effets de quartier se révèlent également limités, si ce n’est pour les chômeurs. Dans la métropole française, 25 % des chômeurs du premier quintile de revenus vivant dans les banlieues de grands ensembles sont restés immobiles alors qu’ils ne sont 14 % dans ce cas dans la première couronne populaire. Dans la métropole québécoise, 52 % des chômeurs du second quintile de revenus habitant dans les noyaux péricentraux populaires sont restés dans leur logement, ils ne sont que 37 % dans le péricentre-est et le péricentre-ouest. De telles différences n’apparaissent pas pour la vie exclusivement locale. Dans le cas de ces citadins en recherche d’emploi, il semble donc que la localisation résidentielle ait un impact direct sur leur comportements dans l’espace. Ce n’est pas le cas cependant pour les citadins des autres statuts. Ces effets de quartier sont également à mettre au regard des différences bien plus nettes mises en évidence selon les niveau de revenus. Nous retiendrons donc que l’immobilité et la vie locale sont déterminées en premier lieu par des caractéristiques individuelles, et en second lieu, pour certains citadins seulement, par des effets de quartier.

Nous proposons maintenant d’évaluer sur un même mode analytique que précédemment la pratique du centre de l’aire urbaine et celle des pôles d’attraction, en centrant cette fois notre approche sur les individus (quels sont ceux qui se sont rendus dans le centre ou dans un des pôles d’attraction ?).