2. Une lecture économique de la dialectique distance/proximité

Le second temps de cette troisième partie nous a permis de concentrer notre réflexion sur les pratiques individuelles des espaces urbains, l’immobilité et la proximité d’abord, la pratique du centre et des pôles d’attraction au quotidien dans un second temps. Une étude spécifique de l’accès à chacune des activités a introduit cette phase de notre réflexion, permettant une meilleure compréhension des tendances observées in fine. Nous n’associions initialement aucun présupposé laissant entendre que l’un ou l’autre des comportements spatiaux étudiés soit révélateur d’une situation socio-économique spécifique. Il ressort pourtant de nos résultats que l’immobilité, la vie locale et dans une moindre mesure le faible accès au centre et aux pôles d’activité sont d’autant plus développés que les citadins considérés vivent dans des ménages défavorisés et/ou ont un faible niveau de scolarité. Il semble donc que ces comportements puissent être lus en termes de contraintes. La facilité à se mouvoir s’interprète comme un avantage des plus aisés pour l’articulation de leurs modes de vie urbains. Sans surprise, il ressort qu’à distance au centre égale, les résidents des espaces résidentiels les plus riches sont plus mobiles et accèdent plus facilement aux territoires les plus attractifs. En ce sens et pour ces citadins, la mobilité permet de limiter la ségrégation résidentielle (si ils vivent dans des quartiers riches, ils en sortent fréquemment). Cela renvoie cependant à une étude assez générale des accès aux pôles d’attraction. Pour la plupart des pôles d’attraction (à l’exception de ceux situés dans les centres et quelques rares autres), l’aire de chalandise est limitée et les populations résidentes systématiquement sur-représentées (les plus riches sont sur-représentés dans les pôles d’attraction situés dans des quartiers aisés et inversement). Cela renvoie en partie à une mise en adéquation de l’offre (de services, d’activités, de produits) avec la demande locale. Ce résultat nuance donc en partie la limitation de la ségrégation résidentielle des plus aisés par l’étude des comportements de mobilités et d’activités. Notre échelle d’analyse ne permettait parallèlement pas de rendre compte de dynamiques fines de ségrégation dans les activités ou dans certains lieux précis.

A l’inverse, les citadins des zones défavorisées restent plus souvent dans ou à proximité de leur logement et accèdent moins facilement au centre et aux pôles d’attraction. Les difficultés éprouvées par les plus défavorisés dans leur mobilité ont déjà été mises en évidence dans divers travaux portant spécifiquement sur cette population sensible ([Guidez & Racineux, 1998], [Mignot & alii, 2001]). La transition entre ségrégation et exclusion peut vite concerner les citadins circonscrits à la proximité de leur logement (surtout dans certaines zones mal équipées en activités et services) ([Litman, 2003], [Church & alii, 2000]). Pour eux, la prise en compte de la mobilité constitue un facteur aggravant de la ségrégation résidentielle. A la distance physique entre le lieu de résidence et les territoires où se concentrent les activités (centre et pôles d’attraction), peut être ajoutée une distance individuelle d’ordre socio-économique, psychologique ou culturelle. Celle-ci varie selon le statut, le genre, les revenus, les niveaux de scolarité, etc.

Les résultats obtenus dans cette troisième partie nous ont également permis de différencier les citadins d’un même espace urbain, tant leurs rapports à la ville apparaissent différents. Certains statuts peuvent être perçus comme des opportunités pour éviter un glissement éventuel vers une situation d’exclusion. Les citadins actifs (et plus encore les salariés à Niamey) sont effectivement plus mobiles que les sans-activité par exemple. Et lorsque les rapports aux espaces urbains sont étudiés à statut fixé, ils sont alors peu dépendants du genre, de l’âge ou des niveaux de revenus. Les différences liées à ces trois variables sont donc principalement portées par le statut, une jeune femme active vivant dans un ménage peu aisé aura une relation à la ville proche de celle des autres actifs. Sur cette base et avec une perspective inverse, la ségrégation résidentielle est accentuée pour les citadins sans-activité, les chômeurs et dans une moindre mesure les retraités.