3/ Les limites de la libre circulation des marchandises

L’article 16 de la Convention régissant l’UEAC dispose que « (…) les Etats peuvent interdire ou restreindre l’importation, l’exportation, ou le transit des biens, lorsqu’ils sont justifiés par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé ou de la vie des personnes et des animaux, de préservation des végétaux, de protection des patrimoines culturel, historique ou archéologique, de protection de la propriété industrielle et commerciale ». Ce texte autorise les Etats à déroger à l’article 14 pour protéger leur ordre public. Mais cette dérogation reste encadrée. Tout d’abord, un Etat ne peut invoquer l’article 16 pour légitimer une mesure prohibée que si cette dernière n’a pas un caractère économique, et si elle a pour objet de sauvegarder un intérêt prévu par le texte122. Ensuite, la mesure qu’il prétend soustraire à la prohibition doit être proportionnée dans son contenu à l’intérêt qu’elle entend sauvegarder. Faute de quoi, elle retombe sous le coup de l’interdiction123. Une mesure disproportionnée permettrait en effet aux Etats, si elle était tolérée, de réintroduire discrètement les obstacles illicites à la libre circulation. Enfin, l’article 16 ne peut être invoqué pour justifier une réglementation nationale qui entrave la libre circulation des biens que si le droit communautaire ne comporte pas lui-même des mesures pour protéger l’intérêt légitime invoqué. Lorsque la Communauté a déjà procédé à l’harmonisation complète d’un secteur de droit donné, l’article 16 ne peut plus être invoqué valablement.

La jurisprudence veille au respect des conditions auxquelles les restrictions à la libre circulation des marchandises sont autorisées. Elle juge ainsi que la sécurité publique n’autorise pas un Etat à démultiplier les conditions d’immatriculation des véhicules importés, lorsque rien ne prouve que ces exigences surajoutées soient nécessaires à la détection et à la répression du trafic des voitures volées124. Elle considère, de même, que le fait pour un Etat d’interdire les importations d’autobus usagés, dont la construction remonte à plus de sept ans, pour des raisons prétendument tirées des exigences de la sécurité routière, constitue une violation du principe de libre circulation, lorsqu’il ne s’y joint pas une interdiction d’utiliser les véhicules nationaux de fonction équivalente ayant la même ancienneté125. De même, les contrôles sanitaires ou techniques qui entravent l’arrivée des produits importés, lorsqu’ils ont subi un contrôle équivalent dans les pays d’origine, sont illicites. L’équivalence est présumée, conformément au principe de reconnaissance mutuelle126. A l’inverse, constitue une mesure licite, le fait q’un Etat fixe des restrictions dans le commerce de marchandises à usage militaire.

A côté de la limite textuelle que l’article 16 apporte à la libre circulation des marchandises, il existe d’autres motifs d’ordre public, au nom desquels les Etats peuvent faire obstacle au commerce des produits. Ainsi, les obstacles à la libre circulation résultant des disparités des législations nationales doivent être acceptés, lorsque ces prescriptions sont nécessaires à des exigences d’efficacité des contrôles fiscaux, de protection de la santé publique, la loyauté des transactions commerciales ou encore la défense des consommateurs127. Ces motifs légitimes, au nom desquels un Etat peut contrarier la libre circulation des marchandises, ne donnent pas un blanc-seing aux autorités nationales. Les mesures qu’elles prennent pour sauvegarder un intérêt légitime sont astreintes au respect de deux exigences. Elles ne doivent présenter aucun caractère discriminatoire, et doivent s’appliquer indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés. Ensuite, elles doivent être proportionnées dans leur contenu à ce que l’intérêt protégé requiert. A défaut de quoi, la qualification récurrente de mesure d’effet équivalent leur est applicable, lesquelles mesures redevenant illicites.

Ainsi, la libre circulation des marchandises implique la suppression des droits de douane et des taxes d’effet équivalent, et la prohibition des quotas et des mesures qui produisent les mêmes effets. Ces mesures ne sont maintenues dans les droits nationaux qu’à condition de protéger un intérêt légitime d’ordre public, et qu’elles aient un caractère proportionné et non discriminatoire. La Convention pose aussi le principe de libre circulation des personnes.

Notes
122.

CJCE 5 juin 1986, C 103/84, Commission c/Italie, Rec. 1759.

123.

CJCE 10 juillet 1984, C 72/83, Campus oil, Rec. 2727.

124.

CJCE 17 juin 1987, C 154/85, Commission c/Italie, Rec. 2717.

125.

CJCE 27 mars 1984, C 50/83, Commission c/Italie, Rec. 1633.

126.

CJCE 7 avril 1981, C 132/80, United foods, Rec. 995; CJCE 6 octobre 1983, C 2/82, Société Dalhaize & autres, Rec. 2973.

127.

F. Viangalli, La théorie des conflits de lois et le droit communautaire, Presse universitaires d’Aix-Marseille, année 2004, pages 59 à 60.